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Paul Éluard : Portrait. Par Corinne Amar

édition janvier 2021

Portraits d’auteurs

Il était fils unique d’un comptable et d’une couturière, né Paul-Eugène Grindel (1895-1952). À l'âge de dix-sept ans, lors d'une cure en sanatorium, près de Davos, en Suisse pour soigner une tuberculose, Paul-Eugène – qui choisira rapidement de se faire appeler Paul Éluard, patronyme de sa grand-mère maternelle – rencontrait une jeune Russe en exil, Helena Diakonova. Elle aussi venait se faire soigner, elle aussi avait dix-sept ans. Elle l'initia à la poésie, il la surnomma Gala, tomba éperdument amoureux d’elle. Paul Éluard épouse Gala en 1916, aussitôt devenu majeur. C’est à elle, qu’il dédie son premier recueil de poèmes publié dix ans plus tard, Capitale de la douleur, et c’est elle qui illumine, entre tous, l’avant-dernier, sans titre, La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur / Un rond de danse et de douceur / Auréole du temps, berceau nocturne et sûr / Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu / C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu – reconnaissance pour toujours et placée sous le signe de la joie d'aimer et du partage amoureux. À Gala, qui vécut avec lui jusqu'en 1929, date à laquelle elle allait lui préférer Salvador Dalí, il n’allait cesser d’écrire, jusqu’en 1948*.

En dehors de l’amour, du désir, de sa fondamentale liberté, les grands événements qui feront la source poétique du jeune Éluard, c'est la guerre. En 1914, mobilisé, sur le front comme infirmier militaire puis, éloigné des combats en raison d’une grave bronchite et traumatisé par cette violente expérience de la guerre et de ses champs de bataille, il écrit Poèmes pour la Paix (publiés en 1918). En décembre 1916, d'un hôpital d'évacuation du front, il fait parvenir à une douzaine de personnes une fine plaquette de poèmes polycopiés, intitulée Le Devoir et l’Inquiétude. En 1918, il a 23 ans, est mobilisé depuis quatre ans, vit les affres de la Première Guerre mondiale dans toute son horreur, ses ténèbres. C’est alors qu’il écrit Pour vivre ici.
Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver,
Un feu pour vivre mieux.
Je lui donnai ce que le jour m’avait donné :
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.
Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur ;
J’étais comme un bateau coulant dans l’eau fermée,
Comme un mort je n’avais qu’un unique élément**

La poésie telle une manière d’exorciser le réel ? Lui rendre grâce ? Écrire comme on appelle au secours de l’atrocité humaine, comme on appelle la chaleur, ou le courage quand on a vingt-trois ans, comme on invoque le contact direct avec les mots et les choses.
« Éluard n'a d'autre biographie que celle des amours personnelles et des deuils – écrivait de lui, l’écrivain Claude Roy*** : la séparation d'avec Gala en 1930, la rencontre avec Nush, la mort brutale de celle-ci en 1946, la crise atroce qui va suivre, et la vie ensuite revenue grâce à Dominique, en 1949. Dès ses vingt ans, il y a le réfractaire stupéfait, celui qui écrivait du front : On a honte d'être là, devant le spectacle d'un camarade agonisant ; celui qui écrira plus tard : Le principal désir des hommes, dans la société où je vis, est de posséder [...]. Tout se dresse, à chacun de nos pas, pour nous humilier, pour nous faire retourner en arrière [...] »
Mais ce sera l'expérience vécue de la guerre et du front qui va déclencher en lui « un étonnement sans terme, une indignation de voix blanche, et cette douceur inextinguible de la stupeur indignée. (…) »
Après la guerre, Paul Éluard adhère au mouvement Dada initié par Tristan Tzara, puis au surréalisme avec André Breton (1896-1966), devenu ami intime, alors que la revue Littérature que ce dernier créait avec Louis Aragon et Philippe Soupault voyait son premier numéro paraître en février 1919.

La rencontre de Paul Éluard et d’André Breton commence par la littérature. Le 4 mars 1919, Breton écrit à Éluard après avoir lu Le Devoir et l’inquiétude, et l’invite à collaborer à la revue Littérature. « Cher Monsieur, êtes‑vous à Paris et puis‑je faire votre connaissance ? Nous avons, paraît‑il, le même âge. On décourage presque toujours un poète en lui parlant de son œuvre. (…) J’attends pour vous parler du plaisir que m’a fait Le Devoir et l’Inquiétude, que vous sachiez au moins de qui cela part. »**** Ils se rencontrent, prennent l’habitude de s’écrire, s’échangent des livres, se lient davantage, partagent leurs difficultés sentimentales et leurs bonheurs, s’envoient même des billets lorsqu’ils sont tous les deux dans la même ville, à Paris. Leurs échanges se font aussi par cartes postales illustrées, support en vogue de l’époque. On sait combien Éluard en fut un fervent collectionneur, projetant même de leur consacrer un ouvrage dont demeure un texte fameux consacré à leur iconographie dans la revue surréaliste Minotaure de décembre 1933.*****
Il arrive à Éluard, de santé fragile, d’aller régulièrement en Suisse soigner sa tuberculose ; Breton s’ennuie de lui. Les lettres ont ce privilège de perpétuer entre eux une communauté fraternelle des goûts, d’entretenir un même engagement sur ce que devrait être la poésie ou le sens de la vie, jusqu’à cette « attitude générale partagée (plutôt prédatrice) vis-à-vis des femmes », évoquée par l’universitaire, Étienne-Alain Hubert, dans son introduction à la Correspondance Paul Éluard - André Breton (op. cité).
En 1926, avec Louis Aragon et André Breton, Paul Éluard entre au Parti communiste français (avant d’en être exclu en 1933). En 1929, il publie L’amour la poésie, dédié à Gala, il se lie aussi avec René Char qui adhère au mouvement. L’année d’après, il fait paraître, avec Breton, L’Immaculée Conception – un recueil de poèmes en prose.
Il fait la rencontre de Nusch (de son vrai nom Maria Benz), une artiste issue du monde du cirque – son père était propriétaire d’un chapiteau – d’origine alsacienne, qu’il épouse en 1934. Gala n’est pas revenue. Il continue de lutter pour toutes les révolutions, s'insurge notamment contre la rébellion franquiste en Espagne, aux côtés de Pablo Picasso.
Picasso aimait la compagnie des poètes et fut un grand ami de Max Jacob, de Guillaume Apollinaire, avant de devenir celui de Paul Éluard. Ils avaient des personnalités apparemment dissemblables, pourtant ils s’admiraient réciproquement et tissèrent, en même temps qu’une longue période de collaboration professionnelle, de profonds liens d’amitié.

À partir de la seconde moitié des années 30, l’engagement politique d’Éluard est indissociable de sa production poétique, qui dit grandement ses préoccupations à propos de la guerre ou ses craintes de la menace fasciste, depuis Les yeux fertiles (1936) ou Donner à voir (1939) à Chanson complète (1939). Pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint définitivement le Parti communiste et entre dans la Résistance, anime le Comité national des écrivains, voit son poème « Liberté » largué au-dessus de la France occupée par les avions anglais sous forme de tracts.
À la mort de Nusch, Éluard s’étourdit de voyages, de rencontres pour ne pas sombrer dans la dépression. En 1949, au Congrès de la Paix de Mexico, il rencontre Odette Lemort, dite Dominique, qu’il épouse deux ans plus tard. Françoise Gilot et Pablo Picasso sont les témoins de leur mariage. Lorsqu’Éluard meurt, le 18 novembre 1952, à l’âge de 52 ans, Picasso veille le corps de son ami et dessine ce même jour une colombe portant l’inscription « Pour mon cher Paul Éluard ».

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* Paul Éluard, Lettres à Gala, 1924-1948, édition établie et annotée par Pierre Dreyfus, préface de Jean-Claude Carrière, Gallimard 1984
** Paul Éluard, Œuvres complètes, coll. La Pléiade, Paris, Gallimard, 1968, t. i, p. 1032
*** Claude Roy, D’Eugène Grindel à Paul Éluard, Encyclopædia Universalis France
**** Paul Éluard, André Breton, Correspondance 1919-1938, édition Étienne-Alain Hubert, Gallimard, 2019
***** Paul Éluard, Les plus belles cartes postales, article publié dans le numéro 3-4 (1933) de Minotaure, cité par le journal, Le Monde, 3 décembre 2008