Elle naît en 1902, en Seine-et-Oise, à Verrières-le-Buisson, dans le château familial d’une illustre famille de botanistes et de grainetiers. De santé délicate, adolescente sujette à une convalescence de trois ans qui lui laissera à vie un déhanchement dans la démarche, Louise de Vilmorin vivra son enfance, rêveuse et mélancolique, dans un monde chatoyant, quoique assombri par la mort d’un père qu’elle adorait et que la guerre lui enlève, la présence inconsistante d’une mère mondaine et distante, au milieu de quatre frères protecteurs et d’une sœur aînée, et privilégiant la poésie et la nature. Femme du monde et d’esprit, un charme aristocratique certain, mariée deux fois, avec des amants célèbres ou riches qui l’aimeront, Louise de Vilmorin ne cherche pas à conserver, elle voudra conquérir, tout, « tout de suite », recevoir, être très élégante, toujours voyager, ne jamais résister à l’achat d’un bel objet. Dans les années 1930, elle s’adonne à la peinture, vit à Las Vegas, jeune mariée au riche Américain d’une grande famille, Henry Leigh-Hunt, avec qui elle aura trois filles, mais elle n’a rien d’une American mother. Elle rêvait d’exotisme, pensait le trouver, cependant elle s’ennuie, regrette aussitôt son monde parisien, ses conversations avec ses frères, le soleil, ses voyages. Avant ce mariage hâtif, elle a rompu des fiançailles avec le jeune écrivain prometteur Antoine de Saint-Exupéry – il n’a pas de fortune, de plus, il a un métier dangereux : pilote militaire. Quoique malheureux, il lui reste lié, et lors d’un séjour qu’elle fait à Paris, il la convie à une réception chez une lointaine parente à lui, Yvonne de Lestrange. C’est chez elle, dans son salon où se réunissent auteurs et collaborateurs de la NRF, qu’elle rencontre André Malraux, séduit lui aussi par son charme et son intelligence. Sur ses conseils, elle publie un premier roman en 1934, Sainte-Unefois, aux éditions Gallimard : l’histoire d’une jeune femme, Grâce de Sainte-Unefois, le cœur pris entre deux hommes, celui qu’elle a trahi, et celui dont elle s’est éprise, un bel indifférent. Un court roman empli de fantaisie, de drôlerie, qui gagne la sympathie des lecteurs, le soutien de Malraux, d’André Gide, l’admiration de Jean Cocteau qui déchaîne « un de ces tapages mondains dont Paris raffole », veut l’épouser, lui fait rencontrer Gabrielle Chanel, et signe avec elle le début d’une solide amitié. Tour à tour, femme de lettres, romancière, scénariste, poétesse, dessinatrice, journaliste, qui deviendra l’icône des grands couturiers et l’égérie bohème des années après-guerre, Louise de Vilmorin cultive d’emblée l’amour et la séduction avec une rare prodigalité ; André Malraux, compagnon qu’elle retrouvera par la suite et avec qui elle finira ses jours à Verrières, est séduit, la courtise, mais interrompt leur liaison pour une infidélité de Louise. Elle se dit inconsolable, a aussitôt d’autres amants, de Jean Hugo – arrière-petit-fils de Victor Hugo, illustrateur, peintre, décorateur de théâtre, qui aura une grande influence sur son œuvre et échangera avec elle une abondante correspondance aujourd’hui révélée* – à Pierre Brisson, directeur du Figaro, en passant par son éditeur, Gaston Gallimard, sans compter ses deux maris. Elle divorcera du premier qui emmènera avec lui aux États-Unis leurs trois filles, pour épouser, en 1938, le comte Pali Palffy, grand seigneur hongrois qui lui offre dans son château dans les Carpates la vie romantique dont elle croyait encore une fois rêver. Elle ne sera pas heureuse non plus, finira par revenir en France définitivement en 1944, et s’installer au début des années 1950 dans la demeure familiale de Verrières, près de Paris. « Tous ceux qui ont côtoyé Louise de Vilmorin ont pensé savoir qui était cette étrange ondine. L’auteur de Madame de a suscité des adorations ou des agacements. Nul n’est resté indifférent à sa présence (…). Toujours entre deux amours, entre deux espaces, elle mène sa vie sur le mode de la perte et de l’idéal, refusant d’ajuster ses désirs aux réalités (…) » évoque Geneviève Haroche-Bouzinac, en préambule à sa biographie, Louise de Vilmorin, Une vie de bohème, ** récemment parue. Après la publication de Sainte-Unefois, suivront d’autres romans ; La Fin des Villavide en 1937, Le Lit à colonnes en 1941, ainsi que deux recueils de poèmes dans la même période. Son chef-d’œuvre sinon son roman le plus remarqué date de 1951 : Madame de, qui fera l’objet d’un film de Max Ophüls, en 1953. « L’amour en traversant les âges marque d’actualité les événements qu’il touche. » Ainsi commence Madame de, le ton est donné, comme ciselé, qui commence en comédie et se termine en drame. Madame de, obligée de payer quelques dettes, vend une paire de boucles d’oreille, des brillants en forme de cœur et cadeau de son mari, qu’elle prétend avoir perdues. Monsieur de n’est pas dupe qui rachète en secret le bijou et en fait cadeau à sa maîtresse. Madame de est adulée pour sa beauté et son élégance. « Elle donnait le ton à toute une société et comme les hommes la disaient inimitable, les femmes réfléchies s’efforçaient de la copier, de s’apparenter à elle par un peu de ressemblance qui leur rapportait l’écho des compliments qu’il ne cessait de lui adresser. Tout ce qu’elle choisissait prenait un sens nouveau ou une nouvelle importance ; elle avait de l’invention, elle éclairait l’inaperçu, elle déconcertait ». Et sans doute, faut-il voir là, comme en miroir, la personnalité de Louise de Vilmorin elle-même, éternelle inconsolable, séductrice conquérante et flattée à tous les âges, qui chercha à reconquérir André Malraux par une supplique, sa dernière lettre au grand écrivain, toujours marié et retiré de la vie politique : « Ne vous éloignez pas de ma pauvre âme. Écoutez ma prière. Tenez-moi dans vos bras. Je suis votre mendiante (…) ». « Peu d’êtres m’émeuvent autant que Louise de Vilmorin : parce qu’elle est belle, parce qu’elle boite, parce qu’elle écrit un français d’une pureté innée, parce que son nom évoque des fleurs et des légumes, parce qu’elle aime d’amour ses frères et fraternellement ses amants », confiera dans son Journal de mes mélodies***, son contemporain, le compositeur Francis Poulenc. De sa rencontre avec Louise, au milieu des années 30, était née, là encore, une amitié teintée d’admiration réciproque. Il comparait sa poésie à celle de Paul Éluard, Max Jacob, et mit en musique plusieurs de ses poèmes : Fiançailles pour rire (1939) Métamorphoses (1943), Trois poèmes de Louise de Vilmorin (1938)… Elle avait commencé son poème (Fiançailles pour rire) chez Jean Hugo, le premier soir de sa venue chez lui, dans sa maison. Officiers de la garde blanche / Gardez-moi de certaines pensées la nuit. / Gardez-moi des corps à corps et de l’appui. D’une main sur ma hanche. « Je craignais d’aimer », dira-t-elle de cette première rencontre pour expliquer les circonstances de la composition de ce poème. De son côté, celui qui demeurera longtemps pour Louise, un havre de paix, un appui, Jean Hugo, qui vivait avec sa compagne dans une propriété rurale à Fourques, dans le Gard, semble vouloir de toutes ses forces résister à l’attraction que provoque en lui Louise. Hélas, il est conquis. « En face d’elle, je faisais des croquis de son beau visage. De temps en temps, elle posait sa plume, levait la tête et ouvrait tout grand ses yeux verts. » Elle comprenait, écrivait alors, « Mon portrait frappant aux portes de son cœur ». ****
* Louise de Vilmorin, Jean Hugo, Correspondance croisée 1935-1954, Honoré Champion, 2019
** Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise de Vilmorin, Une vie de bohème, Flammarion, 2019
*** Francis Poulenc, Journal de mes mélodies, Grasset, 1964
**** Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise de Vilmorin, Une vie de bohème, op. cité, p.113