FloriLettres

John Lennon & Brian Jones : Portrait croisé. Par Corinne Amar

édition février 2021

Portraits d’auteurs

Imaginons que ce fut votre époque : celle de votre naissance ou de votre enfance ou de votre adolescence ou encore, de votre âge adulte ; peut-être, qu’un jour la question vous est venue : Alors, plutôt Beatles ou plutôt Rolling Stones ? Plutôt John ou plutôt Brian ? « Des controverses, il y en a eu et il y en aura toujours. Mais l’une d’entre elles a marqué la fin du XXe siècle et résonne encore : Beatles ou Rolling Stones ? Mieux qu’aucun autre, mais chacun à sa façon, ces deux groupes ont incarné leur époque et la génération qui les a portés : génie créatif, jeunesse, insolence, libération, sexe, drogue… »
Lorsqu’ils racontent de manière fouillée, documentée, avec « tendresse pour ces deux géants » – l’histoire des Beatles et des Rolling Stones, qu’ils intitulent Beatlestones, un duel, un vainqueur, Yves Delmas et Charles Gancel révèlent autant d’humour que de générosité, un sens rock’n’roll de la fête et du sujet, bref, ils ont du talent. Et pour nous annoncer qu’ils ne prendront pas parti d’emblée, les auteurs commencent par évoquer ce mot de Mick Jagger invité à s’exprimer sur ce qui différenciait les deux groupes – on est en 1966, au Melody Maker : « Je ne vois pas Ringo, par exemple, avec un flingue en main en train de tuer quelqu’un dans un film. Je crois que cela ne nous surprendrait pas si c’était Brian… »*

Au cœur du groupe, il y a John Winston Lennon né en 1940 à Liverpool. Une enfance difficile, abandonné par le père, négligé par sa mère, élevé par sa tante. Adolescent, au lycée, il est fou de rock’n’roll , écoute Bill Haley, Buddy Holly, Elvis Presley. Il fonde les Quarrymen avec son ami Eric Griffith, joue de la guitare, compose, à ce moment où le skiffle – cette musique folklorique d'influence jazz, country et blues qui incorpore aussi des instruments bricolés – déferle sur Liverpool. Ils se produisent dans des petites fêtes, et puis John rencontre Paul McCartney dans l’une d’elles. Il a tout juste quinze ans, mais impressionne déjà par sa maturité musicale. Lennon résume ainsi cette rencontre décisive : « C'est à partir du jour où j'ai rencontré Paul que les choses se sont mises à avancer. » ** Ensemble, ils vont être ce tandem d’auteurs compositeurs inégalable, devenir, dès 1963, avec Please, please Me, le premier album du groupe – auquel s’est ajouté George Harrison et, enfin, Ringo Starr –, l’un des plus grands phénomènes de l'histoire de l'industrie discographique, innovant musicalement, et mélangeant aussi bien les genres que les influences.
Lennon occupera cette place centrale dans la réussite populaire du groupe, composant des œuvres majeures, et plusieurs albums vont se succéder à un rythme fou de près de deux disques par an, dont A Hard Day’s Night, un album de treize chansons sur lequel dix sont de Lennon. C’est le début de la période hippie de Lennon. Le groupe va connaître son apogée avec les albums qui suivent, comme Revolver, en 1965 et Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, deux ans plus tard. C’est l’époque où Lennon compose ses chansons parmi les plus envoûtantes, de Strawberry Fields Forever à Lucy in the Sky with Diamonds ou I Am the Walrus. Partie du Cavern Club de Liverpool, la beatlemania gagne tout le pays, dès le début de 1961.

À quelques kilomètres de Liverpool, en 1963, dans la banlieue de Londres, le tout jeune Andrew Loog Oldham, futur producteur, arrangeur et manager, découvre les Rolling Stones dans un club. Le groupe s’est formé un an plus tôt, par le guitariste et leader original, Brian Jones, le pianiste Ian Stewart, le chanteur Mick Jagger et le guitariste Keith Richards. Leur musique plus agressive et leur allure de bad boys rebelles est à l’exact opposé des Beatles. Face aux Beatles en pleine gloire, Oldham mise sur le charisme sulfureux de Mick Jagger et l’outrance du groupe – à l’image du guitariste Brian Jones – pour devenir le plus grand groupe de rock’n’roll du monde.
Dans une interview avec Stéphane Davet pour Le Monde (17/08/2017), le critique musical Philippe Manœuvre soulignait combien il était fasciné par l’arrogance de mauvais garçons des Rolling Stones, à cette époque où les adolescents aiment s’identifier aux histoires de ces bad boys de l’Amérique « qui racontent leur vécu et leur sexualité comme des fables ». Parmi ces jeunes gens passionnés par le blues, et sans doute, l’un des plus visionnaires, il y a Lewis Brian Hopkins Jones, dit Brian Jones, né le 28 février 1942, dans une famille de classe moyenne supérieure, à Cheltenham, dans la banlieue londonienne. Il donne des concerts en solo sous le nom d’Elmo Lewis, choisi en hommage au bluesman Elmore James, et il a foi en l’ingéniosité de cette musique qui s’invente. Il mène une vie de bohème dans la capitale anglaise, accepte des petits boulots le jour pour subsister et pour, la nuit, écouter du blues et rencontrer les musiciens de la jeune scène R’n’B. Il fonde les Rolling Stones, dont le nom fait référence à un morceau de Muddy Waters. À partir de 1964, et en l’espace de quatre ans, Brian Jones a participé à l’enregistrement de tous les albums des Rolling Stones dont Aftermath, Their Satanic Majesties Request, Beggars Banquet, mais l’ascension du duo de songwriters Mick Jagger/Keith Richards se fait sentir sur le reste du groupe. Dès 1966, alors qu’il abuse des drogues et de l'alcool, l’état de santé de Brian Jones se détériore, sa vie sentimentale connaît des déboires ; dépressif, il déserte de plus en plus les studios d’enregistrement, accumule les problèmes judiciaires qui l'empêchent de participer aux futures tournées. Il est alors évincé du groupe en juin 1969. Le bassiste original des Stones, Bill Wyman dira de Jones : « … Il a créé le groupe. Il a choisi les membres. Il a nommé le groupe. Il a choisi la musique qu'on jouait. Il nous a trouvé des concerts… Très influent, très important et puis il a perdu son pouvoir peu à peu – extrêmement intelligent – et il l'a gâché et tout s'est envolé. »***
Le 3 juillet 1969, Brian Jones disparaissait, noyé dans sa piscine, trop de drogue et trop d’alcool dans le corps. Il avait 27 ans. Sa mort prématurée allait faire de lui l’une des icônes rock des années 60.

Lorsque Brian Epstein meurt en août 1967 et que les Beatles ont alors besoin d'un nouveau leader, c'est Paul McCartney qui prend la relève. Lennon vit très mal la situation, pratique la méditation, le yoga, cherche de plus en plus une paix intérieure, se rapproche d'une artiste japonaise d'avant-garde, Yoko Ono (membre du mouvement Fluxus), rencontrée lors d'une exposition à l'Indica Gallery de Londres en 1966. Il divorce pour l’épouser. Il a trouvé sa muse, c’est à prendre ou à laisser : il l’impose au sein du groupe et lors des séances d'enregistrement. Poussé par elle, il se tourne vers des voies plus spirituelles et d'avant-garde, se désintéresse des Beatles, décide de sortir du cadre restrictif des Fab Four, rompt avec ses compagnons. Entre 1968 et 1969, il publie trois albums de musique expérimentale attribués à « John Lennon et Yoko Ono ».
La vie de John Lennon s'arrête le 8 décembre 1980 : il regagnait avec son épouse son appartement dans New-York, lorsqu’il est abattu par Mark D. Chapman.

.........................................

* Yves Delmas, Charles Gancel, Beatlestones, Un duel, un vainqueur, Le mot et le reste, 2021, p.15
** Hunter Davies (trad. Jean-Luc Piningre), Les Beatles : la biographie, Le Cherche-midi, 2004.

*** Bill Wyman, The Stones, archive sur Daily News. Los Angeles, CA: thefreelibrary.com, 27 octobre 2002