Lettre à Sophie Machowitz, une jeune institutrice rencontrée lors de son séjour en Allemagne.
Tällberg, le 8 février 1947
Chère Madame Machowitz,
Tout d’abord je dois vous prier de me pardonner bien des choses. Je regrette beaucoup d’avoir trop promis. Bien évidemment, j’aurais pu vous écrire plusieurs lettres d’Allemagne, mais je peux vous assurer : j’ai voulu écrire, mais tout m’a semblé si embrouillé et si effroyable pendant mon voyage qu’il m’a presque été impossible de réfléchir. De Berlin, je suis donc allé à Hanovre, où j’ai habité chez la tante de ma femme (et me suis terriblement enrhumé), puis dans la Ruhr, que j’ai parcourue en long et en large des jours entiers dans une voiture anglaise (une voiture gigantesque avec de la place pour vous aussi). La Ruhr n’était pas du tout belle, ce que vous pouvez certainement vous imaginer, mais ce sera trop long d’écrire là-dessus, tout le papier que j’ai n’y suffirait pas. De la Ruhr je suis allé à Francfort par le train et à partir de Francfort j’ai fait un long trajet : Heidelberg, Stuttgart, Munich, Nuremberg, Darmstadt et retour à Francfort. Ensuite, j’ai à nouveau visité Hanovre et Hambourg et enfin le 10 décembre je suis rentré en Suède par avion depuis Francfort. À 6 heures de l’après-midi j’ai vu pour la dernière fois (en 1946) les ruines de l’Allemagne, ou bien il faut peut-être plutôt dire la ruine allemande, et à 11h30 le même jour j’étais dans ma ville natale intacte, rayonnante et repue. Les premiers jours, le contraste était si effrayant que j’ai de nombreuses fois regretté de n’être pas rentré par le train pour pouvoir me réhabituer à des conditions normales pendant le voyage plus lent. Oui, beaucoup de fois j’ai souhaité repartir auprès de vous en Allemagne.
Maintenant je vais déjà mieux. La lumière, les maisons entières et tout le bonheur matériel ici en Suède me semblent à nouveau si familiers – mais tout ce que j’ai vu en Allemagne, je ne peux pas l’oublier. J’ai beaucoup pensé à vous tous pendant le terrible froid que vous avez enduré juste quelques jours après mon départ. Comment avez-vous tenu bon ? Début décembre j’ai moi-même cru mourir de froid chez des amis à Francfort, et pourtant à ce moment-là le froid était modéré.
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Lettre à son éditeur Ragmar Svanström, à l’époque où Dagerman s’est installé provisoirement en Bretagne pour écrire son troisième roman, L’Enfant brûlé.
Kerné en Bretagne, le 4 juillet 1948
Cher Ragnar,
Merci pour notre dernière fois, en Suède ! C’était bon d’être à la maison et de retour, j’ai trouvé que je faisais une grosse bêtise de ne pas suivre votre judicieux conseil avec Johan de mettre fin là-bas à ma mission journalistique. À présent je sens que j’ai atteint un point où je n’ai plus la force de la remplir. Stressé, malheureux, j’ai parcouru les villages français sans pouvoir travailler, sans pouvoir nouer les contacts nécessaires, tout le temps j’ai ressenti une insupportable pression à la pensée de ce qu’on attendait de moi en Suède. Rien n’a donc été fait et tel que je me connais je n’arriverai à rien. Je comprends tout à fait qu’à Expressen on soit déçu de ma défaillance et c’est ce qui m’a fait si longtemps aller à droite et à gauche de cette façon absurde, dans l’espoir d’arriver enfin à faire quelque chose d’essentiel. Lorsque j’ai pris conscience que ça ne sert à rien d’espérer, j’ai écrit à Harrie pour lui faire savoir ce que je ressens. Il est vrai que j’ai, peut-être à bon droit, conçu mon accomplissement de ce voyage en France comme une question de prestige, mais en fin de compte il est bien raisonnable de faire passer la santé psychique avant le prestige. C’est que tout cela est aussi une question économique et sur ce point j’ai malheureusement dû demander de l’aide à la maison d’édition. (…)
En ce qui concerne mes projets, par ailleurs, j’ai pensé rester en Bretagne dans ce petit village de pêcheurs où Annemarie, René et moi séjournons actuellement. Nous nous y plaisons et sans la pression de ma mission journalistique, tout serait merveilleux. Nous lons une petite maison spartiate avec une vue double sur l’Atlantique, en effet le village est situé tout au bout d’une étroite langue de terre longue de dizaines de kilomètres sur la côte sud de la Bretagne tout près de la base détruite des sous-marins de Lorient. Des cochons et des lièvres courent dans la rue du village et notre seule distraction est d’aller chercher l’eau au puits. Nous ne portons pas encore les sceaux sur la tête, mais nous allons sûrement en prendre l’habitude. C’est donc ici que j’ai l’intention de passer juin et août en travaillant assidument à L’Enfant brûlé. Je crois pouvoir terminer la manuscrit au début du mois d’août et j’espère m’occuper des corrections quand je reviendrai en Suède dans la première moitié de septembre. Si la maison d’édition pouvait payer notre séjour ici, j’en serais très reconnaissant. (…)
Dans l’attente impatiente d’une lettre de toi, Annemarie, René et moi envoyons à Greta, à toit et à la maison d’édition les salutations les plus cordiales.
Bien à toi
Stig
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Lettre à son ami Tarjei Vesaas au sujet de l’édition de sa traduction de La Blanchisserie.
Kitzbühel, le 27 août 1950
Cher Tarjei,
Et maintenant tu as peur et tu te sauves dans la montagne ! Ou bien je suis devenu plus bête depuis la dernière fois ou bien tu écris de façon plus difficile à la fin de tes livres, pour renforcer le moral de tes traducteurs. Je n’ai pas osé compter le nombre de questions cette fois-ci, tu pourras le faire toi-même. Et rejeter la faute sur toi par la même occasion ! Tu trouves sans doute qu’on te pose beaucoup de questions idiotes et c’est aussi mon avis, mais il vaut mieux être sûr qu’incertain. Björn est-il rentré dans sa tanière ? Je n’ai toujours pas reçu la moindre nouvelle de sa part, si bien que je je ne sais pas si ça marche pour La Blanchisserie en automne. D’ailleurs je trouve que le titre est bon, même si d’une certaine façon je comprends les objections de Björn. Nous autres Suédois nous ne sommes pas aussi spontanément propres que vous. Et c’est pourquoi des mots comme linge, blancherie, lessive, séchoir, repassé de frais et d’autres n’ont pas la même résonance d’éclat et d’esprit que dans ta langue. J’espère seulement que les lecteurs suédois du livre ne sont pas crasseux au point de ne pas comprendre quel beau livre est La Blanchisserie ! Personnellement je me sens propre, pour changer, après m’être baigné ces trois mois d’affilée. Mais je me réjouis aussi de pouvoir, à partir de lundi matin, me vautrer à nouveau dans la boue de mon roman.
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Stig