© Marie Desplechin
Éditions Thierry Magnier
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De Marie-Adélaïde de Silly, veuve Tétar,
au Frère Rémy-des-Anges
Mon père, il faut que je sois au désespoir pour prendre la liberté de vous écrire. Mais la réponse que vous avez apportée à mon petit ange m’encourage à le faire.
Mon mari est mort il y a maintenant une année, emporté par la fièvre. Il m’a laissé un grand domaine, une petite fortune, et le rosier qui fleurit sur sa tombe. Je consacre aujourd’hui ma vie à Joseph qui est ce que j’ai de plus précieux au monde.
Or, voilà des semaines que mon enfant se plaint de douleurs que je suis impuissante à calmer.
Je mets tout mon espoir en vous. Votre réputation de botaniste a franchi les murs de l’abbaye. On vous connaît comme un savant, à l’égal d’un grand médecin.
Joseph vous fera le compte de ce qu’il mange et boit.
Pour moi, je ne vous écrirai pas trop souvent pour ne pas gâcher votre retraite par de lointains souvenirs.
Marie-Adélaïde de Silly, veuve Tétar
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Frère Rémy-des-Anges à
Marie-Adélaïde de Silly, veuve Tétar
Songez, Madame, de quels éléments précieux nous sommes faits, vous, comme moi, comme votre jeune fils, comme les bêtes et les plantes. Nous sommes faits d’air, d’eau et de terre, des plus petites pervenches aux plus gros éléphants.
C’est de ces éléments dont vous devez vous souvenir si vous voulez que Joseph retrouve sa vigueur.
D’abord je veux que l’eau que l’on prend au puits soit bouillie avant qu’on la donne à boire. Qui sait les humeurs qui prolifèrent dans les eaux d’un puits, même les plus claires ? Vous interdirez ensuite que l’on y ajoute de l’alcool. Pas de bière ni de sureau non plus. Quant au lait, laissez-le aux petits des vaches. Votre Joseph n’est pas un veau !
Et pourtant, comme un jeune animal, il a besoin de s’ébattre. Qu’il le veuille ou non, trainez-le hors de sa chambre (dont vous ouvrirez largement les fenêtres).
Mettez-le au contact du ciel, du soleil et du vent.
Avez-vous vu une fleur s’épanouir quand elle est privée d’air et de lumière ? Traitez votre fils comme une jacinthe.
Cessez le lard et toutes sortes de pâtés, ils encrassent.
Cessez le pain et la bouillie qui amollissent.
Nourrissez l’enfant de soupe de pois et d’herbes, et de tout ce que vous trouverez de légumes verts et orange cuits.
Je vous enverrai bientôt d’autres remèdes. En attendant, dites-moi les premiers résultats de ces aménagements.
Et rappelez à Joseph de m’écrire. La pratique de l’écriture aère l’esprit, qui aime respirer aussi.
Frère Rémy-des-Anges