Formé aux arts appliqués à l’école Duperré, Michaël Cailloux, né à Paris en 1975, se passionne pour la sculpture et la gravure à l’eau forte. L’ensemble de son œuvre commence par des dessins aux feutres fins qu’il utilise pour ses créations en série limitée : bijoux muraux, papiers peints, estampes papeterie d’art... Intrigué par la mouche, cette dernière est devenue la signature de son travail. Son atelier est situé dans le 18e arrondissement de Paris.
Marie Desplechin est née à Roubaix en 1959. Elle a fait des études de lettres et de journalisme. Ses nombreux romans pour la jeunesse mêlent humour et tendresse. En parallèle, elle a aussi publié pour les adultes : un recueil de nouvelles, Trop sensibles ; des romans, notamment Sans moi (L’Olivier) qui a connu un succès exceptionnel ; des récits à quatre mains comme La Vie sauve, écrit avec Lydie Violet (Le Seuil), récompensé par le prix Médicis en 2005, et Danbé avec Aya Cissoko (Calmann-Lévy), entre autres. Elle travaille aussi régulièrement comme journaliste pour différents magazines. En 1998, elle a obtenu le prix Tam-Tam pour son roman Verte paru à l'école des Loisirs. En 2020, elle a reçu la Grande Ourse du Salon du livre et de la presse jeunesse, pour avoir « marqué durablement la littérature jeunesse ».
Vous venez de publier un album, Le ventre de Joseph, aux éditions Thierry Magnier. Vos dessins, Michaël Cailloux, accompagnent une histoire que vous, Marie Desplechin, avez écrite sous la forme d’une correspondance du XVIIIe siècle. Comment a débuté le projet de ce livre et comment avez-vous travaillé ?
Marie Desplechin : Thierry Magnier m’a proposé de réaliser un livre avec Michaël Cailloux. Je ne le connaissais pas mais j’avais vu ses ouvrages et les trouvais magiques ! Grâce à Thierry, nous nous sommes donc rencontrés et c’est au cours de notre discussion que le thème du livre s’est imposé. Je disais à Michaël, qui représente beaucoup de motifs végétaux et d’animaux, que ses dessins m’évoquaient le XVIIIe siècle parce que c’est le siècle de la grande classification des espèces dont il subsiste des planches magnifiques. À cette époque, une véritable passion pour la botanique, et notamment pour la technique de greffage, se développe. J’ai pensé également au roman épistolaire car il est très prisé au XVIIIe. On est donc parti sur cette idée qui allie botanique et correspondance, et j’ai commencé à écrire l’histoire.
Michaël Cailloux : Thierry Magnier voulait faire un livre autour du langage des fleurs. Nous avons échangé Marie et moi sur ce qu’on aimait et je lui ai dit que j’adorais le XVIIIe siècle et Les Liaisons dangereuses. Quand nous avons déjeuné ensemble, nous avons eu tous les deux un peu mal au ventre…
Marie Desplechin : Je suis très familière du mal au ventre, comme beaucoup de gens. Un jour, j’étais tordue de douleurs et j’ai appelé un médecin un peu mystique qui m’a conseillé de prendre un certain type d’eau et de nourriture, notamment des bouillons de poulet. Il m’a également donné la marque d’un engrais dont il fallait avaler tous les jours une petite cuillérée. C’était radical, paraît-il. C’est pourquoi, dans le livre, les remèdes que prodigue Frère Rémy-des-Anges à Joseph sont ceux-là mêmes. Je ne les ai pas inventés !
Dans ces lettres, il y est notamment question de jardins, d’insectes… Une thématique qui anime de façon récurrente vos compositions, Michaël…
Michaël Cailloux : J’ai l’impression que c’est moi, Joseph ! Il a mal au ventre, moi aussi. C’est un enfant assez fragile, je l’étais également. En plus, mon grand-père s’appelait Joseph. Je ne l’ai pas dit à Marie mais c’était comme si elle avait saisi certaines choses. Elle m’a d’ailleurs dit, à propos des dessins qui accompagnent son texte, qu’elle les avait imaginés ainsi. Les papillons, les insectes, les scarabées, l’esprit XVIIIe siècle animent effectivement mes compositions. En fait, je ne suis pas illustrateur, les livres que je fais avec Thierry Magnier sont toujours autour de mon univers. Quand j’ai reçu le texte de Marie, Thierry m’a dit que je n’étais pas obligé de dessiner des personnages. J’étais libre. Mais comme il s’agissait d’échanges épistolaires, j’ai pensé qu’il était préférable d’identifier les différents correspondants.
Est-ce que les dessins de Michaël ont influencé votre texte ? Je pense notamment aux insectes, aux papillons qui virevoltent autour de Joseph…
Marie Desplechin : Quand j’ai fini l’histoire, Michaël m’a dit : « Mais, c’est mon histoire ! » Et quand j’ai vu les planches, j’ai pensé qu’en effet, Joseph c’était lui ! Il s’était dessiné ! Les dessins de Michaël ont influencé la thématique du texte, parce que je connaissais son travail, toute l’importance chez lui du monde végétal, des insectes... J’ai pensé à son univers en faisant l’histoire, évidemment. Mais nous n’avons pas échangé comme j’ai pu le faire pour d’autres livres en cours d’écriture. J’ai tout écrit et après, il a tout dessiné. Par exemple, je ne savais pas s’il ferait figurer des personnages. Je ne savais pas comment il allait utiliser ce matériel.
En 2020, je vous interviewais, Marie, à propos de la revue Dong ! Dans ce numéro, vous aviez choisis la forme épistolaire… Vous disiez que la lettre est idéale car elle permet de tout faire… Dans Le ventre de Joseph, vous utilisez la correspondance pour raconter l’histoire…
Marie Desplechin : C’est formidable, la lettre ! Elle fait exister les personnages : tout le monde utilise « je » dans sa lettre. On sait qui écrit à la manière dont « je » écrit. Pour la narration, l’échange épistolaire inclut toutes les ellipses. La lettre favorise les malentendus, les quiproquos, l’implicite, les choses à moitié dites et permet tous les flashbacks qu’on veut, puisqu’ils vont constituer le récit de ce qui s’est passé et créer des situations d’attente… C’est donc parfait ! J’adore cette forme d’écriture. Dans Pauline voyage (L’école des loisirs, 2023), un album réalisé avec l’illustrateur François Roca, j’ai utilisé la lettre aussi, mais il n’y a pas de réponses. On comprend ce qui s’est passé et à qui Pauline s’adresse dans la manière qu’elle a d’écrire…
Vous avez travaillé la langue, le lexique, pour les lettres façon XVIIIe siècle du Ventre de Joseph…
Marie Desplechin : Plus ou moins parce que c’est une forme de parodie et il faut que ça reste lisible. La langue des XVIIe et XVIIIe siècles est splendide. Pour les lettres de Fanette qui écrit sans bien maîtriser la langue, j’ai consulté, par exemple, les ouvrages d’Arlette Farge (historienne spécialisée dans l’étude du XVIIIe siècle). Il est fort probable aussi que tous les épistoliers et épistolières faisaient des fautes à l’époque parce que l’orthographe n’était pas aussi précise qu’au XIXe siècle.
Vous abordez différentes thématiques par le biais de ces échanges de lettres, comme mieux se nourrir, la relation parents/enfant, les secrets de famille, etc.
Marie Desplechin : Il y a la douleur, la nourriture, les mariages d’intérêt et les amours hors mariage, les secrets de famille, les rapports de la gouvernante avec les deux adultes, le petit garçon qui dessine et qui grandit, l’évolution du personnage. Et Dieu, aussi. Tout cela est dans mon stock de connaissances livresques obtenues, entre autres, grâce à mes études classiques. Frère Rémy-des-Anges a vraiment existé. Il s’appelait de Montisambert, si je me souviens bien. J’ai vérifié dans les ordres monastiques sur les changements de noms et ce Rémy-des-Anges vivait au début du XIVe siècle.
Vous aimez les personnages qui protestent…
Marie Desplechin : Je n’ai fait que des personnages qui protestent ! Joseph proteste beaucoup en disant que les conseils du moine ne sont pas adéquats. Fanette aussi, ainsi que Marie-Adélaïde… Pauline (dans Pauline voyage) proteste de la première à la dernière lettre. Dans les autres livres que j’ai réalisés pour les enfants, Le journal d’Aurore, Verte, il en est de même… J’essaie d’imaginer un personnage qui ne proteste pas : il serait ennuyeux d’autant plus s’il porte l’histoire. Un de mes héros préférés est le capitaine Yossarian dans Catch-22 (publié en 1961 aux USA et 1964 en France) de Joseph Heller. C’est un chef-d’œuvre. Le Capitaine Yossarian proteste tout le temps !
Michaël, quels matériaux employez-vous pour le dessin ?
Je vous ai entendu dire que vous utilisiez l’ordinateur pour les couleurs et aussi pour composer les planches…
Michaël Cailloux : J’utilise du papier Arches, Hahnemühle (pour les tirages d’une œuvre gravée) ou Canson. Tous mes dessins sont au feutre fin de 0,03 à 1 millimètre avec un tracé précis pour être au plus près de l’effet gravure, car à l’origine, ils servaient de base pour les eaux fortes. Il s’agissait de travaux préparatoires qui n’avaient pas pour but d’être montrés.
Je fais parfois des compositions directement sur le papier ou, comme pour Le ventre de Joseph, je dessine tout ce que m’inspire le texte et je compose après en sachant plus ou moins ce que je vais faire. Toutes les recherches sont donc au feutre fin, en noir et blanc, dans des carnets. Chaque carnet correspond à un personnage. Les fleurs simples pour le jardin du moine, Frère Rémy-des-Anges, des tulipes dans les jardins du château de Marie-Adélaïde, des insectes, la fleur de lys et en même temps des fleurs simples pour son fils Joseph, puis le côté alimentaire, les champignons, les carottes et citrouilles, etc., les animaux, poules, lapins, vaches, pour Fanette Martin, la cuisinière. Mes dessins sont scannés, numérisés. Je peux ensuite passer les couleurs par le biais d’un logiciel, avec différents calques. C’est un peu comme de la sérigraphie. Parfois, je fais aussi des gammes de couleurs en direct. Les compositions sont comme une sorte de collage graphique. Ce qui m’intéresse aussi c’est de jouer sur des techniques traditionnelles, comme la taille douce et le dessin à la main, et d’avoir un moyen pour moderniser ce travail qui pourrait sembler suranné par la technique du dessin.
L’identification des personnages, dans Le ventre de Joseph, nécessitait aussi une gamme de couleurs différentes pour chacun. Et l’utilisation du noir et blanc permettait d’avoir une gamme qui contraste et fasse le lien avec les autres, surtout que Joseph dessine aussi dans l’histoire. On est dans un esprit de croquis, de naturaliste en herbe. C’est d’ailleurs la première fois que je mets autant de noir dans un projet.
Quant à la gravure, d’où vous est venue l’idée de découper la plaque de cuivre et d’en faire une sorte de sculpture murale après avoir fait des tirages ?
Michaël Cailloux : J’avais fait de la gravure quand j’étais étudiant en arts appliqués à l’École Duperré, mais je n’ai pas continué, je me suis tourné à l’époque vers la peinture (gouache et acrylique). Quand je suis parti en 2009 de la société Atelier LZC que j’avais créée avec des camarades de classe, je me suis formé à la technique de la gravure à l’eau forte. Un jour, en visitant une exposition au musée des Arts décoratifs, j’ai découvert une pièce consacrée aux peignes Lalique. C’était merveilleux. Je me suis dit à ce moment-là que je voulais faire des « bijoux muraux » en découpant mes plaques de cuivre. Je me suis donc formé à la découpe de bijou avec une scie bocfil. Puis, j’ai fusionné la découpe du cuivre et l’impression : les sculptures en cuivre, ou « bijoux muraux », sont accompagnées de leurs estampes.
Quelles sont vos sources d’inspirations, vos influences ?
Michaël Cailloux : J’aime beaucoup les gravures très anciennes comme celles de Dürer, ou encore des XVIIe et XVIIIe siècles, et les gravures de Goya. En fait, quand j’ai commencé ce travail de gravure et de dessin, c’était dans un esprit Art nouveau, inspiré aussi des natures mortes flamandes, de l’art du papier découpé chinois... Depuis 2015, mes sources d’inspiration sont aussi mes voyages, le Japon, le Portugal, et mes observations de la nature, avec toujours une touche Art nouveau. Dès que je vais dans un pays, j’ai mes carnets avec moi et je dessine toujours et partout.
Ce qui me plaisait dans les natures mortes flamandes, c’est que l’insecte, en l’occurrence la mouche, donnait vie à la peinture et la rendait plus tangible.
J’ai obtenu mon diplôme des arts appliqués (en 1998) avec un mémoire entièrement consacré à la « mouche » du XVIIIe siècle. Le grain de beauté est un accident physiologique qui était une arme de séduction. La « mouche » du XVIIIe est donc une représentation de l’accident physiologique détourné. En 2009, j’ai repris cette idée de la mouche, qui m’a toujours intrigué, et elle est devenue ma signature.
Et Jérôme Bosch dont les peintures fourmillent de détails ?
Michaël Cailloux : C’est certainement une inspiration pour moi. Un tableau de Jérôme Bosch est un énorme « cherche et trouve ». J’adore quand il y a quantité d’éléments, de détails. J’aime travailler sur le contre-fond. Ce qui était intéressant pour moi, avec Le ventre de Joseph, c’était de travailler comme pour des enluminures ou des vitraux, d’avoir une histoire et de jouer sur plusieurs plans.
Vous avez réalisé une affiche pour le prix Wepler Fondation La Poste ainsi que pour la Sant Jordi, la fête de la librairie indépendante, deux événements organisés par Marie-Rose Guarnieri (librairie des Abbesses, Paris 18e)…
Michaël Cailloux : En effet, j’ai dessiné l’affiche du prix Wepler Fondation La Poste 2017 et une autre pour la 25e édition de la Fête de la librairie indépendante, en avril 2023. Et comme on s’entendait bien avec Marie-Rose Guarnieri, elle m’a aussi demandé pour la Sant Jordi de faire l’album intitulé Plumes unissant les oiseaux et les écrivains.
Le prix Vendredi a été remis le 5 novembre dernier à Maureen Desmailles pour son roman La Chasse (Éd. Thierry Magnier). Marie, qu’est-ce qui a décidé le jury dont vous faites partie à voter pour ce roman ?
Marie Desplechin : Parmi tous les romans que j’ai lus, c’est celui qui m’a le plus touchée. Le livre de Maureen Desmailles est dans la collection l’Ardeur des éditions Thierry Magnier où il est question du corps et de la sexualité. Elle est destinée aux lecteurs âgés de 15 ans et plus. L’histoire de La Chasse est la suivante : c’est l’été, un adolescent est en vacances, ses parents sont partis, et dans la maison d’en face, il n’y a pas d’adultes non plus mais un couple d’ados. Le personnage principal est attiré successivement par chacun des ados en couple. C’est le roman qui m’a le plus évoqué mon adolescence. Il y a quelque chose qui est impalpable, difficile à saisir, une ambiance générale sur l’attirance, le désir, des sentiments très puissants entre 15 et 17 ans. Le pari du livre est assez amusant car l'identité de genre du narrateur ou de la narratrice n’est pas révélée. Il n’y a pas d’indices. À l’intérieur du jury, certains pensaient que c’était un garçon, d’autres une fille. On était d’accord pour dire que c’est un roman remarquable en ce sens-là et il s’avère être un premier roman.
Vous serez au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil qui fête ses quarante ans…
Marie Desplechin : Oui je serai sur le stand des éditions Thierry Magnier pour la signature du Ventre de Joseph le dimanche 1er décembre avec Michaël et sur celui de L’École des Loisirs pour Le fantôme de Suzanne Fougères publié en septembre dernier. J’ai été lauréate de la Grande Ourse en 2020 et cette année, c’est Susie Morgenstern, avec qui j’ai des rapports amicaux, qui remporte le prix 2024. Je participe aussi à deux tables rondes dans le cadre des conférences « Une histoire, des artistes, des livres ».