À Fernand Le Monnier
Paris le 31 du mois de Mars 94
Mon vieux cochon
Savez-vous que vous n’êtes point gentil, non plus qu’astucieux, subtil, bon compagnon, réjouissant au regard et de souvenir ou mémoire agréable ?
Le Diable m’emporte ou me couvre de poils fins et rares si je comprends votre impénétrable silence ; jamais dans mon passé je n’ai vu semblable chose même au temps de mes combats contre l’horrible Bibet.
Écrivez-moi vite, petit malheureux ; une lettre peut seule me rendre le calme délicieux dans lequel j’aime à vivre.
Ne soyez point cruel ; écrivez à votre pauvre petite femme puis à celui qui vous a connu alors que vous n’aviez pas encore de pieds.
Recevez, mon cher petit ami, mes meilleurs souhaits de bonne année ; vous trouverez aussi dans cette lettre un paquet d’amitiés très fraîches et très savoureuses ; c’est tout ce que je peux me permettre de vous envoyer. Je vous embrasse et vous écrase les bras en vomissant de toutes mes forces.
Votre domestique.
Erik Satie
6, rue Cortot, 6
Au Secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts
Paris le 30 du mois d’Avril 94
Très Honoré Maître,
l’Académie des Beaux-Arts vient de statuer sur la vacance du siège du Très Regretté Maître Charles Gounod.
J’ai l’honneur de vous demander de faire part à l’Illustre Compagnie de mon désir d’être compté parmi les candidats à cette vacance ; mon Art, fleur de l’École dont je suis le Pieux Initiateur, n’impose le devoir, avec l’assentiment de Dieu, de me présenter au fauteuil du Très Vénéré Maître trop tôt disparu de l’Auguste Assemblée.
Voici, Très honoré Maître,
au nombre de mes œuvres,
celles que je veux vous citer :
Le Fils des Étoiles, wagnérie kaldéenne du Sâr Peladan (trois actes représentés au théâtre de la Rose-Croix)
La Porte Héroïque du ciel, drame ésotérique en un acte de Jules Bois.
Deux Messes dont la Messe des Pauvres et la Messe de la Foi.
Recevez, Très Honoré Maître, l’assurance de mon plus profond respect.
Erik Satie
Maître de Chapelle de l’Église Métropolitaine d’Art
de Jésus Conducteur
6 rue Cortot
À Claude Debussy
Arcueil, le 14 août 1903
Mon bon vieux Claude,
Reçûtes-vous la lettre que vous écrivit le 20 juillet 1903 Monsieur Erik Satie ?
La reçûtes-vous, dites ? la prîtes-vous ? et la lûtes-vous ?
Monsieur Erik Satie vous demandait des nouvelles dessus le voyage que vous fîtes avec votre Dame ; de plus, il s’informait si vous eûtes quelque aventure, ture ture, ture tu ture.
De vos nouvelles ?
Et la Dame ? Toujours gentille et polie ? Monsieur Erik Satie, lui, est bien toujours le même : un peu con, si j’ose dire. Il se promène dans les pays qui entourent le lieu où il repose ; après quoi, prenant un des livres merveilleux que lui seul peut comprendre tant ils sont arides, il s’endort pour ne se réveiller que fort longtemps après.
Admirable vie de lutte, hutte hutte !
Nous eûmes ici un fâcheux événement : le Métropolitain fit naufrage du côté de Belleville
Il n’en faut par rire ; aussi, Monsieur Erik Satie en est encore tout chose, mais il se remettra.
Monsieur Erik Satie fur tourmenté, ces jours-ci, d’une méchante et encombrante sciatique qui l'obligeait de marcher tout courbé en deux à la manière incommode des poulets, et le faisait durement souffrir.
Monsieur Erik Satie se demande si l’on peut s’habituer à ce mal et y prendre goût.
Donnez-moi votre main, mon ami ; dîtes des meilleures choses à la Dame et présentez mes respects à Monsieur et à Madame Texier.
Erik Satie
À Vincent Hyspa
[septembre 1903 ?]
Vieux Pépère Amical,
Moi venir voir toi demain mardi vers une pièce de midi chez toi où tu restes toi-même histoire de vivre agréablement.
Nous causer tous les deux et rire l’un après l’autre, sans bruit ; après, moi partir moi-même avec bon souvenir temps passé.
Serrer bonnes grosses mains à toi avec mon cœur
camarade ami,
Ton trésor de frère :
Monsieur Erik Satie
ES
À Paulette Darty
Arcueil, le 6 janvier 1907
Ma bonne Dame,
C’est en tremblant d’émotion que je mets la main à la plume pour vous souhaiter timidement une bonne grosse année, ainsi qu’à ce bon Monsieur Dreyfus.
Quoi de neuf ?
Une chose étrange est arrivée mercredi aux Capucines. Monsieur de Féraudy s’est courroucé, à la répétition de notre petite pièce, avec le Directeur de ce théâtre.
Vous devinez pourquoi ?
Notre pauvre pièce est donc, comme qui dirait, au fond d’un canal, et y restera fortement de temps, pour ce que personne n’ira la chercher.
Pauvre de moi !
Et l’on dira que j’ai de la chance !
C’est à mourir de rire. Jamais on n’a vu ça, même dans les livres les plus burlesques.
Je veux aller vous compter cela un de ces jours : vos côtes éclateront.
Je vous salue et resalue plusieurs fois de suite ; et vous prie de présenter mes respects à Monsieur Dreyfus.
ES
À Madame Georges Cocteau
Arcueil-Cachan, le 23 sept. 1920
Chère Madame,
Merci de votre gentille carte. Vous avez songé amicalement au « monsieur-compositeur d’Arcueil ».
Je travaille comme un ours.
La Belle Excentrique ne va pas mal.
C’est de la « fantaisie ». Je m’amuse.
Il y a une « Marche Franco-Lunaire » & une Valse du « Mystérieux baiser dans l’œil » qui vont bien.
Comment allez-vous, chère Madame ?
J’écris à Jean, de ce pas, avec la même plume qui trace ces faibles mots.
Vous voyez Germaine Tailleferre.
Voulez-vous être assez gentille pour lui exprimer mes vieilles amitiés, & lui dire que Ravel — son Dieu — est un « veau », & mal cuit encore !
Bonjour, Chère Madame ; à bientôt. L’hiver sera personnellement très froid.
Respectueusement vôtre :
Erik Satie
À Jean Cocteau
Arcueil-Cachan, le 23 sept. 1920
Mon bon Jean.
La « surprise » ?
Je sais : un « truc » épatant, parbleu !
La « Belle excentrique » est très avancée. je n’ai plus qu’un morceau à faire.
Quand rentrez-vous ?
Je viens d’écrire à votre maman à St Jean-du-Luxe.
Elle m’a envoyé une très gentille carte.
Je ne sais si Auric est rentré. On l’attaque beaucoup, le vieux. C’est bon signe.
Bonjour, vieux Jean ; à bientôt.
Erik Satie