À Ferdinand Martin
Bruxelles, 2 janvier 1871
Notre voyage s’est accompli sans encombres jusqu’à Bruxelles. L’adresse de l’ami Vollon nous a permis de chercher dans son quartier un logis improvisé – Nous avons trouvé cela sans peine dans le faubourg un peu perdu de St Gilles à cent pas du boulevard et de [la] gare du Midi – voyez le plan – Nous sommes assez bien logés – nous avons un appartement garni c’est-à-dire une grande chambre plus une pièce qui me sert d’atelier lequel [?] donne sur la gare et les jardins – jour très bon – mais il a fallu installer tout cela pour en faire une espèce d’atelier et c’est fait – Nous avons retrouvé notre client de Paris – on attend mes essais pour nous faire des commandes sous la condition que ce sera fini mais fini à la loupe – je m’évertue pour faire en sorte de les satisfaire...
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Il y a beaucoup de réfugiés français entre autres un certain nombre de peintres. J’ai retrouvé Diaz [illisible] et quelques autres moins connus
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Depuis notre départ du Havre nous avons toujours eu de la neige et nos vitres restent fleuries malgré nos deux poêles. Voilà notre situation d’émigré cher ami.
Cher ami – Nous ne serons pas trop éprouvés si comme nous l’espérons nous parvenons à gagner notre vie chez ces étrangers. La ville est belle on y trouve même d’assez jolies marines – on voit actuellement dans le bassin des navires de Quimper, de Vannes, etc. – Le marché au poisson est beau bien fourni et nous ne nous plaindrons pas trop de notre sort par ces temps d’orages.
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et si nous devons faire un souhait n’est-ce point, réservons-le pour notre pauvre France en ce commencement d’année.
Rue Mérode 69 à St Gilles
Le Passage de Plougastel, 8 novembre 1871
En jetant les yeux sur le calendrier, je vois avec stupeur que nous avons consommé nos 45 jours en Bretagne ce qui est plus que suffisant pour [des] gens n’arrêtant pas de traîner leurs individus depuis quinze grands mois à travers toutes sortes de bourgs & campagnes.
Nous quittons le Finistère cette semaine. Selon toute apparence nous serons pour lundi dans nos foyers.
Nous avions l’intention de prendre la voie de mer, par économie & aussi afin de passer par Le Havre & de finir encore une dernière fois les fugitives impressions de la mer, mais le temps est trop variable & l’approche des bourrasques nous fait peur.
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En effet nous n’avons écrit à qui que ce soit nous absorbant dans le travail & vivant comme les voyageurs au pôle, pays où la poste a peu de stations – Nous n’avons pourtant pas été trop favorisés car nous avons eu environ trente jours de mauvais temps sur les quarante-cinq que nous venons de passer.
Malgré cela nous avons employé le temps de notre mieux, bravant – trop souvent – le froid, le vent & la pluie. Aussi quelles névralgies n’ai-je pas endurées, pauvre martyr !!
La Camarade [Marie-Anne Boudin] tient bon. Malgré son esprit inventif en fait des choses du ventre, ou plutôt à cause de cela, notre pitance est encore passable dans ce pays dépourvu s’il en fut ! Elle déniche encore par-ci par-là quelque gibier, quoiqu’il soit cher, mais tout cela est maigre ; c’est la vie réduite à sa plus simple expression !
À Courbet
Paris, 2 janvier 1872
Mon cher Courbet,
Nous ne voulons pas laisser passer ces jours où l’on se fait un devoir de visiter tant d’amis plus ou moins heureux, sans vous envoyer un souvenir au fond de votre prison.
Nous serions satisfaits que ce faible témoignage de notre amitié pût, durant quelques instants, faire diversion à votre solitude.
Rentrés depuis peu à Paris, après une très longue absence, nous espérions pouvoir vous serrer la main, mais on nous assure qu’il est difficile d’obtenir la faveur de vous voir.
Je me fais ici l’interprète des sentiments de plusieurs [sic] de mes camarades, entre autres de Monet et de Gautier qui vous envoient également leurs bons souhaits et qui seraient non moins jaloux que moi de passer quelques instants auprès de vous.
Nous nous consolons en songeant que bientôt vous allez toucher au terme de votre captivité et que prochainement vous serez rendu à la liberté, à l’art et à vos amis qui ont eu de si vives appréhensions à votre endroit.
C’est tout ce que nous pouvons vous témoigner ici.
Nous serions heureux que ce souvenir de ceux qui n’ont pas cessé un instant de se préoccuper de votre sort vous parvienne bientôt.
Dans cet espoir, nous vous serrons la main bien cordialement.
Pour moi et pour les amis.
E. Boudin
31 rue St Lazare
À Braquaval
Deauville, 10 octobre 1890
[…] D’abord je dois vous accuser réception de la caisse de fruits qui nous est parvenue en bon état – nous y avons déjà goûté. Vous remercierez pour nous Mme Braquaval qui se prive sans doute pour nous faire goûter les fruits de son verger ! Voyez un peu ce que c’est, nous sommes partis en voyage laissant notre maigre récolte aux arbres en comptant bien la trouver mûre à notre retour… Des gens plus pressés avaient eu soin de la faire pour nous… tout comme on procède chez vous !! (...)
Enfin ? Nous n’en avons pas moins réalisé notre projet de voyage… en pensant bien que vous vous deviez à votre famille, à votre chère malade surtout, je n’ai pas voulu vous tenter en vous prévenant à l’avance. Au reste vous ne vous seriez pas récréé beaucoup avec nous. Nous avons été simplement à Étretat, petite plage de pêcheurs resserrée entre deux immenses côtes bien belles toutefois… puis un rivage des plus intéressants, couvert de barques, de filets, de cabestans [?], quelque chose de merveilleux de couleur et ton composé ce qui est mieux. Je n’avais pas eu la curiosité de revoir ce trou depuis 33 ans que j’y avais fait ma première visite avec Le Poitevin mais j’ai été fort surpris de retrouver tout cela dans le même désordre pittoresque en plus beau même que jadis.
Vous pensez bien que favorisé par un temps assez beau je n’ai pas perdu un quart d’heure – tous mes jours ont compté… et quoique trop hâtives j’ai fait une forte série d’études : de beaux motifs surtout avec ces hautes falaises et la mer bleue au fond. Depuis je bûche ici… le ciel est au bleu pur mais on en profite pour faire du paysage ou des animaux puisque la mer ne dit rien.
Voilà mon cher ami l’emploi de notre temps et cela continue malgré un refroidissement sensible. Ma foi nous restons encore et resterons jusqu’au mauvais temps.
Je suppose que vous-même en avez profité & en profitez encore… mais que le paysage est donc difficile !
Soignez vos études, je ne saurais trop vous le crier… ne vous pressez pas mais ne négligez point vos animaux, mettez-en partout tant que vous le pourrez. Le paysage sans étoffage [sic] ne vous donnera pas le même succès que les animaux.
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