JE N’EN FAIS PAS une affaire d’État et n’en tire aucune gloire personnelle, mais à partir de 1983, François Mitterrand et moi avons entretenu une correspondance assidue. Et même si nous nous sommes, par la force des choses, quelque peu éloignés l’un de l’autre, le fil n’est pas tout à fait rompu.
Le premier élément que je souhaiterais vous présenter est une lettre datée du 10 septembre 1983. C’est à vrai dire une carte postale que j’ai envoyée d’Arcachon, et dont voici le texte :
Cher François Mitterrand,
Je voulais vous féliciter – fût-ce avec un léger retard – de votre élection voici deux ans déjà. Je suis à Arcachon où je passe de bonnes vacances. Hier, à table, c’est incroyable, nous parlions justement de vous. Nous avons mangé des huîtres, excellentes, bien qu’un peu laiteuses.
Encore bravo.
Hervé Le Tellier
La réponse ne s’est pas fait attendre, puisque peu après, le 12 décembre 1983 exactement, François Mitterrand me faisait parvenir ce courrier, dont voici le texte intégral :
Présidence de la République
Paris, le 12 décembre 1983
Cher Monsieur,
Votre lettre en date du 10 septembre 1983 vient de me parvenir et je vous en remercie.
Ne doutez pas, cher Monsieur, que vos remarques recevront toute l’attention qu’elles méritent et qu’elles seront prises en considération par nos services dans les délais les plus brefs.
Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Le Président de la République.
C’était, ma foi, une missive fort courtoise, même si, en raison sans doute du poids des charges de l’ État, le Président s’y montrait quelque peu distrait, évoquant une lettre et non une carte postale. Quoi qu’il en soit, le second paragraphe insistait à juste titre sur la prise en considération par ses services de mes remarques : j’y repensai l’année suivante, lorsque, de retour à Arcachon, je m’aperçus avec satisfaction que la qualité des huîtres s’était améliorée.
J’ai aussitôt répondu à cette lettre, car une amitié naissante n’est pas chose négligeable. Voici le texte intégral de ma deuxième lettre, envoyée le 20 décembre 1983 :
Cher François,
Je vous remercie de votre charmant courrier. Je suis malheureusement très occupé en ce moment et ne puis vous répondre plus longuement. Je vous souhaite malgré tout une heureuse fête de Noël en famille.
Chaleureusement,
Hervé Le Tellier
C’est vrai, j’étais très occupé, car je venais de déménager de manière quelque peu précipitée de chez mon amie Madeleine, à la suite d’une dispute dont les raisons m’échappent aujourd’hui encore. François devait être aussi débordé que moi, car sa réponse ne m’est pavenue à ma nouvelle adresse que deux mois plus tard.
Le Président me disait ceci :
Présidence de la République
Paris, le 15 février 1984
Cher Monsieur,
Votre lettre en date du 20 septembre 1983 vient de me parvenir et je vous en remercie.
Ne doutez pas, cher Monsieur, que vos remarques recevront toute l’attention qu’elles méritent et qu’elles seront prises en considération par nos services dans les délais les plus brefs.
Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Le Président de la République.
Dès les premiers mots, j’ai tout de suite reconnu le style de François, si aérien, si littéraire, et en même temps tellement précis et direct. J’ai apprécié ce « cher Monsieur », distant et proche à la fois, ce signe de pudeur des sentiments naissants, ce reste de distance si touchant, malgré ou peut-être à cause de l’affection grandissante.
J’étais, comme je le disais, très occupé. Depuis ma séparation avec Madeleine, je sous-louais à un ami un petit studio au sud de Paris et j’assurais dans une ville de la banlieue nord un interim de bibliothécaire adjoint, un poste un peu en dessous de mes compétences, mais les circonstances exigeaient que je ne fusse pas trop difficile. Cette dernière surcharge de travail s’est soudain beaucoup allégée au début du Printemps. J’ai en effet été quelques longs mois sans emploi, disons-le carrément au chômage, et j’en ai profité pour aller voir à Charleville-Mézières.
C’est de cette ville que j’ai répondu, mi-juin 1984, à François Mitterrand.
Cher François,
Cher ami,
Je suis chez ma cousine à Charleville-Mézières, patrie de ce Rimbaud que nous aimons tous les deux. Je suis sans nouvelle de vous depuis quelques mois déjà, mais je vous ai vu à la télévision hier et j’ai trouvé, tout comme ma cousine, que vous étiez très en forme. J’en suis heureux. Je dois vous avouer que, pour moi, la situation est moins florissante, car je suis depuis peu séparé (quelle curieuse expression) et je me retrouve sans emploi. C’est ma cousine – à qui j’ai parlé de notre amitié toute récente – qui insiste pour que je vous parle. Mais je ne veux pas vous importuner avec tous mes soucis. Vous en avez vous-même. Je vous dis simplement à bientôt, et vous assure de mon affection.
Hervé
François m’a répondu presque aussitôt, si l’on veut bien prendre en considération tout le chambardement dû aux mouvements ministériels. En octobre 1984, j’ai reçu du Président une lettre charmante, très encourageante pour moi.
Présidence de la République
Paris, le 5 octobre 1984
Cher Monsieur,
Votre lettre en date du 12 juin 1984 vient de me parvenir et je vous en remercie.
Ne doutez pas, cher Monsieur, que vos remarques recevront toute l’attention qu’elles méritent et qu’elles seront prises en considération par nos services dans les délais les plus brefs.
Je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
Le Président de la République.
François n’avait pas menti. Six mois plus tard, jour pour jour, je retrouvais du travail, certes une nouvelle fois sous-qualifié, me semble-t-il, mais après tout, je n’avais pas envoyé de curriculum vitae à François, et je ne doute pas qu’il a fait ce qu’il a pu.