FloriLettres

Extraits choisis - À l'ombre des choses d'Anatole Édouard Nicolo

édition septembre 2024

Lettres et extraits choisis

J’étais donc là.

Un enfant moyen dans une ville moyenne.

Avec, au cœur de la ville, un château fort. Un vieux truc du XIIIe siècle, moyenâgeux. Dix-sept tours, hautes d’une trentaine de mètres. Mais les touristes n’avaient d’yeux que pour la tenture de l’Apocalypse, un ensemble de tapisseries médiévales, unique au monde. Ça donnait un peu de fierté à la ville moyenne.

Ici, vu de l’extérieur, tout était parfait.

Malgré l’hiver, la ville moyenne affichait un air heureux, tout comme les enfants qui peuplaient les nombreux parcs. Dans les allées, on n’entendait que leurs rires, les craquements de brindilles et de feuilles mortes sous leurs pieds, parfois le braillement d’un paon faisant la roue. Je ne sais pas pourquoi, dans mes souvenirs, les gens étaient tous habillés en bleu marine. Ils vivaient dans de belles maisons aux toits d’ardoises usées par le temps. En passant devant, on sentait l’odeur des feux de cheminée qui réchauffaient les intérieurs. Légèrement bourgeois, classiques, catholiques.

La ville était coupée en deux par une jolie rivière se jetant bien plus loin dans la Loire pour finir par se vider dans l’Atlantique. Des deux rives, la gauche, avec son petit port et son quai de la Savatte, était la plus sympathique. Non loin du port, ma grand-mère avait tenu une boutique de graines pour oiseaux de toutes sortes, exotiques, perruches, tourterelles… Elle vendait des oiseaux. Et des cages. On m’avait raconté ça. Mon grand-père s’occupait des fossés du château, en contrebas des tours. Aimer les oiseaux, sa passion ! Son truc, c’étaient les canaris de posture. Des titres de champion de France d’élevage d’oiseaux en avalanche. Ça ne payait pas le loyer, mais cela faisait rêver la famille.

Je n’ai jamais connu ni mon grand-père, ni les oiseaux, mais on m’avait aussi raconté ça. C’était une ville moyenne. Au climat tempéré. Douce. Elle se classait régulièrement parmi les villes les plus agréables. À une trentaine de minutes du centre : mon quartier. Et une seule ligne de bus pour y arriver, la ligne 7. Jusqu’au 43, boulevard Gaston-Ramon.

Nous habitions là, ma mère, mon frère G. et moi, depuis le divorce de mes parents. Mon père vivait ailleurs, pas très loin. Le 43 était un foyer social que l’État mettait à disposition des familles démunies. Un bâtiment rempli d’histoires de tous les horizons, où les boîtes aux lettres débordaient de courriers froids que personne ne voulait ouvrir.