Christian Penot, a 56 ans. Postier depuis 1989, il est Responsable des ressources humaines d’un établissement courrier. Engagé dans la vie citoyenne, il est élu municipal depuis 2008. Passionné par l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, il est membre de l’Association pour la Recherche sur la Résistance et l’Occupation en Creuse (ARROC) et de Rencontre des historiens du Limousin (RHL). Il est l’auteur d’une biographie du colonel Fossey-François, chef départemental des FFI de la Creuse, d’une histoire de la Milice en Creuse, et d’un essai sur la fin tragique d’un maquis implanté sur la commune de Compreignac. Auteur de nombreux articles, il a participé à plusieurs colloques et expositions.
Vous avez publié plusieurs ouvrages qui traitent de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, notamment en 2019 et 2020 aux éditions La Geste : Histoire de la milice en Creuse 1943-1945 ainsi que Questions autour de la mort de trois maquisards. Votre dernier livre, publié chez le même éditeur en 2022 et intitulé La Meute. Histoire de la Gestapo à Limoges, a été distingué, en ce début d’année 2023, par le jury du prix des Postiers écrivain. Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur ce sujet, l’Occupation allemande en France, et particulièrement dans le Limousin ?
Ch.P. Je mène des recherches sur ce sujet depuis une vingtaine d’année. Mes parents enseignants m’ont transmis le goût de l’histoire et de la lecture. Mon intérêt pour la période est né en raison de la participation à la Résistance active de plusieurs membres de ma famille. J’ai ensuite eu de très nombreux échanges avec des acteurs de ces événements. Mes rencontres au sein de plusieurs associations auxquelles j’appartiens ont favorisé l’approfondissement de mes recherches et m’ont permis la publication de nombreux articles et la participation à plusieurs événements comme des colloques et expositions.
Cet ouvrage, très documenté, qui analyse le système policier nazi en suivant le parcours des différents acteurs impliqués, représente certainement des années de recherches… Comment avez-vous procédé pour réunir autant de documents et reconstituer avec précision la trajectoire d’un grand nombre de protagonistes ?
Ch.P. J’ai travaillé essentiellement sur les archives maintenant largement disponibles. La période de la pandémie a limité parfois cet accès. J’ai utilisé la quasi-totalité de mon temps libre à la consultation de ces documents principalement des dossiers judiciaires et policiers à Paris comme dans plusieurs villes de province et en Allemagne. Cela demande un repérage précis des références archivistiques et de nombreux déplacements. Le choix de mon éditeur de publier un livre richement illustré a entrainé une passionnante recherche iconographique que j’ai pu mener à bien grâce à l’aide des conservateurs des archives et à de collectionneurs avisés.
Au début du livre, dans le chapitre intitulé « Une institution tentaculaire », vous montrez que la Gestapo (Geheime Staats Polizei), créée en avril 1933, est en réalité « un élément d’une plus vaste organisation policière ». Celle-ci s’implante en France bien avant le début de la guerre…
Ch.P. Initialement, cette Police secrète d’État, n’avait pas vocation à s’implanter en dehors des frontières du Reich. Plusieurs agents de premier plan, comme Karl Boemelburg qui deviendra le chef de la section IV du SIPO-SD et donc de la Gestapo en France, sont toutefois infiltrés avant-guerre sous différents prétextes. Plusieurs d’entre eux ont fait des études dans nos universités. Un travail d’approche est mené auprès d’individus ou d’organisations amies. En 1939, on en arrive au point que plusieurs dizaines de ressortissants allemands sont expulsés pour espionnage. Lors de l’entrée de la Wehrmacht en 1940, c’est clandestinement qu’une vingtaine de ces agents arrivent à Paris. Leur savoir-faire et le poids grandissant d’Heinrich Himmler, chef suprême de la SS et des polices du Reich, entraine rapidement une suprématie de ces services et donc un rôle prédominant de ce que l’on appelle la Gestapo.
Cette organisation répressive regroupe plusieurs sections et divisions – avec des luttes de pouvoir au sein de chacune – auxquelles s’ajoutent des indicateurs ainsi que de nombreux agents français. « Sans la collaboration de nombreux français, la seule présence d’agents allemands n’aurait pas suffi à mener une répression à grande échelle. », vous écrivez. Leurs motivations sont diverses…
Ch.P. Nous avons là la mise en pratique d’un principe énoncé par Adolf Hitler lui-même : « la participation indigène ». Elle consiste à intégrer dans les effectifs policiers allemands des individus recrutés localement. Cela permet simultanément de limiter l’engagement de moyens propres (la police allemande ne comptera pas plus de 2500 agents pour tout le territoire français) et d’impliquer des éléments nationaux dans les activités de répression. Les chefs nazis recrutent donc largement dans différents milieux. Les motivations sont effectivement diverses. Il y en a deux principales. Beaucoup s’engagent auprès des nazis par conviction politique. Le recrutement se fait alors parmi les ultras de la collaboration. Mais, le motif qui ressort le plus est sans doute l’intérêt pécuniaire. En effet, beaucoup par cet engagement trouvent l’occasion de s’enrichir considérablement. Les salaires sont substantiels dans une France appauvrie. La participation aux bénéfices, générés par le pillage systématique des ressources et des victimes de la répression mise en œuvre est conséquente.
À Limoges, qui était dans la zone non occupée jusqu’en novembre 1942, les Allemands installent leurs bureaux dans différents bâtiments et la gestapo investit une villa à l’angle de l’impasse Tivoli et du cours Gay-Lussac… Quelques mots sur la Villa Tivoli, aujourd’hui disparue, antichambre de la déportation ?
Ch.P. La Villa Tivoli fait partie d’un ensemble immobilier dont la famille Lacaux (vieille famille d’industriels locaux) est provisoirement dépossédée début 1943. Elle se trouve comme vous le précisez à l’entrée d’une impasse. Cette situation permet une proximité avec la caserne Marceau qui sert pendant une période de prison, avec la gare lieu de transit, avec les hôtels qui logent une partie des agents, enfin elle est discrète et facilite la défense des locaux. Baptisée « maison brune » elle abrite plusieurs services. Elle est l’entrée d’un vaste parc qui comprend plusieurs bâtiments. Une grande maison bourgeoise (la maison blanche) héberge des services le lieu d’habitation du Kommandeur et des salles d’interrogatoire. Au fond du parc, on pratique la torture « du palan » dans les anciens chais.
Comment se structure la Résistance à Limoges ?
Ch.P. La Résistance limousine se structure assez précocement autour de figures emblématiques. Georges Guingouin, instituteur communiste du sud du département, entre en Résistance dès 1940, tout comme le briviste Edmond Michelet activiste catholique. Trois grandes tendances animent l’action clandestine : les communistes grâce à leurs organisations le Front national et les Francs-tireurs et partisans (FTP), les démocrates-chrétiens principalement au sein de COMBAT et les Socialistes souvent francs-maçons autour d’une autre figure marquante Armand Dutreix au sein de LIBÉRATION. Le mouvement FRANCS-TIREURS et le réseau ALLIANCE sont également très actifs. L’évolution est ensuite la même qu’au niveau national. Les maquis sont particulièrement puissants et actifs. La stratégie d’implantation en zone rurale chère à Georges Guingouin permet de se prémunir contre la répression et d’organiser, avec l’aide d’officiers alliés parachutés, la Libération.
Pour faire face aux actions de la Résistance, le régime de Vichy crée la Milice à partir de janvier 1943. Quels sont les membres de cette police politique supplétive de la Gestapo ?
Ch.P. La Milice est créée dans la région de Limoges dans les mêmes conditions qu’au niveau national. Elle ne pourra jamais s’imposer dans un secteur qui lui est dès l’origine hostile. Elle recrute à la fois dans les milieux traditionnalistes d’extrême-droite et chez les opportunistes du régime. De très nombreux conflits opposent les tenants de la liqne collaborationniste aux partisans d’un positionnement plus national. Ce climat engendre une certaine instabilité et des positionnements fluctuants vis-à-vis notamment de la police allemande. La Milice est pourtant impliquée dans de nombreuses actions contre les maquis (en particulier grâce à son bras armé, la Franc-garde) et dans la politique de répression antisémite. La période la plus sombre est certainement celle qui débute après l’arrivée de Jean de Vaugelas, ancien Officier, qui prend la direction des opérations du maintien de l’ordre en avril 1944 pour les régions de Limoges et Clermont-Ferrand.
Du 8 au 13 juin 1944, des opérations de répression, des meurtres de masse ont lieu en Limousin. Le 10 juin, le bourg d’Oradour sur Glane est anéanti. Comment ce massacre a-t-il pu être mené et préparé ?
Ch.P. La division SS Das-Reich a avant tout une mission de répression lors de sa montée vers le centre de la France. Elle agit en effet dans le cadre d’une directive de l’état-major ouest de l’armée préconisant « des actions brutales » contre « les bandes » qui agissent dans la région. La méthode est donc la même que celle utilisée sur le front de l’Est : la violence exponentielle. De fait, le trajet suivi par la division est parsemé de cadavres et de souffrances. Le point culminant est bien sur le massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. À l’heure actuelle personne n’est en mesure d’établir avec certitude le déroulement du processus qui a abouti à cette tragédie. Les procès et enquêtes, au grand dam des familles de victimes, n’ont pas apporté de réponses définitives. Cela a malheureusement laissé le champ libre à certaines conjectures allant jusqu’au négationnisme. Il y a toutefois quelques certitudes. Les chefs de la division ont comme objectif de frapper fort pour effrayer les populations qui apportent un soutien aux maquis. Ces hommes ne connaissent pas la région donc on doit les guider. Plusieurs réunions préparatoires sont organisées à Limoges et à Saint-Junien (ville la plus proche du lieu du drame). Des miliciens semblent avoir participé à celle de Limoges. Des miliciens et des membres de la Gestapo sont à proximité d’Oradour les 9 et 10 juin 1944. Voilà les certitudes. Les chercheurs ont encore du travail… Peut-être ne saura-t-on jamais les raisons exactes de ce massacre. Les auteurs ont tous disparu, certain précocement lors des combats de 1944.
Avez-vous rencontré le dernier survivant de ce massacre, Robert Hébras, décédé le 11 février dernier ?
Ch.P. Je n’ai malheureusement croisé pour un rapide partage qu’une seule fois Robert Hébras lors d’un salon du livre. Je l’ai vu une dernière fois au salon de Limoges en 2022. Je n’ai pas pu avoir un échange avec lui. C’était un homme extraordinaire. Porteur infatigable de la mémoire de ce massacre, il a également grandement contribué au rapprochement avec l’Allemagne dans la région. C’est une grande perte.