Bruno Bourdet est Chargé de Clientèle à la Banque Postale. Il est aussi peintre et dessinateur. Il a exposé dans différentes galeries, à Paris où Il a vécu plusieurs années et à Nantes où il s’est installé en 2003. Avec la naissance de ses enfants, il s'est trouvé une nouvelle source d'inspiration : écrire pour la jeunesse. Il a publié aux éditions Ex Æquo, Hibiscus et la Conquête de Balaou (oct. 2022), Hibiscus et la gardienne du temps (avril 2023), pour lequel il vient de recevoir le prix des Postiers écrivains 2024, et Hibiscus et la Malédiction Delacabossière qui a paru en novembre dernier. Ces trois romans sont illustrés par l'auteur.
Vous êtes le lauréat du prix des Postiers écrivains 2024. Votre livre récompensé, Hibiscus et la gardienne du temps, publié aux éditions Ex Æquo, est un roman illustré pour la jeunesse qui est le 2e volet d’une série mettant en scène une petite fille créole âgée de 10 ans. Le premier tome s’intitulait Hibiscus et la conquête de Balaou… Comment est né ce personnage qui porte le nom d’une plante tropicale ?
Bruno Bourdet : Hibiscus a d’abord été une bande-dessinée que j’ai réalisée il y a une vingtaine d’années, mais qui n’avait pas trouvé preneur chez les éditeurs. C’est donc un vieux personnage qui conserve malgré tout, ses 10 ans d’âge, privilège de grand nombre de héros jeunesse.
Plus tard, étant père de trois jeunes enfants, j’ai voulu reprendre les aventures de cette fillette créole. Je l’ai donc ressortie de son état d’hibernation pour concevoir cette fois-ci des romans. J’en ai écrit deux dans la foulée, et Suzanne Max, directrice du rayon Jeunesse aux éditions Ex Æquo présidées par Laurence Schwalm, m’a alors proposé de publier ses aventures dans une collection qui lui serait dédiée.
Hibiscus était à l’origine un personnage de BD, il était donc tout naturel que je réalise les illustrations et les couvertures. Pourquoi une petite fille créole ? La réponse est toute simple, j’avais envie de créer une gamine qui fasse résonnance avec le milieu antillais que j’ai côtoyé pendant 12 ans à Paris quand je travaillais au Centre Financier de Paris Saint Romain. Ma compagne était martiniquaise et j’allais souvent aux îles. D’autre part, j’aimais beaucoup les aventures de Caroline par Pierre Bropst et je pensais qu’une petite fille noire serait sympathique. Mon cœur avait parlé naturellement, tout comme il s’est réveillé à nouveau quand j’ai eu mes enfants à la quarantaine.
Le thème d’Hibiscus et la gardienne du temps est l’esclavage et se poursuit dans le 3e tome qui a paru en novembre dernier, Hibiscus et la malédiction delacabossière. La magie, la possibilité de voyager dans le temps, permet à la petite fille de découvrir l’Afrique, la terre de ses ancêtres, de rencontrer de réels explorateurs de l’époque victorienne. Est-ce que les aventures d’Hisbiscus ont sciemment une visée pédagogique, en plus du plaisir de la lecture ?
B.B. : Hibiscus est avant tout un divertissement à la fois pour les enfants et les grands. Quand j’écris, je pense également aux adultes. Ma narration est donc adaptée à toutes les tranches d’âge, comme peut l’être Tom Sawyer de Mark Twain. Mais écrire des livres divertissants n’interdit pas d’aborder les problèmes actuels et passés. Bien au contraire, cela enrichit l’aventure. Il y a donc une vraie vision pédagogique, et derrière l’amusement, de multiples questions peuvent être abordées.
Dans Hibiscus et la Conquête de Balaou, je critique l’expansion à outrance de l’urbanisation et du déclin des valeurs culturelles traditionnelles. Une riche femme d’affaires, Claudia Vitriolovsky, veut s’emparer de l’île pour créer un super complexe touristique, transformer le paisible village en ville balnéaire avec hôtels 3 étoiles, casino et parc d’attraction. Et surtout, elle veut acheter le phare de Balaou, l’oncle d’Hibiscus. C’est là qu’elle se confronte à la résistance d’une gamine de 10 ans qui s’alliera à Nectarina, une coquette sorcière haute en couleurs et au caractère bien trempé. Le reste de l’histoire, je vous la laisse découvrir de vous-même…
Dans Hibiscus et la Malédiction Delacabossière, j’aborde le sujet de l’esclavage. Un vieux domaine de planteurs est victime d’un sortilège vieux de plus de 200 ans. Chaque nuit de pleine lune, maîtres et esclaves reprennent leur activité agricole dans une plantation de cannes à sucre. Là encore, Hibiscus et ses camarades d’école vont déjouer la malédiction et libérer les fantômes. Ce roman dénonce toute une page sombre et peu glorieuse de notre histoire, mais toujours teinté de cet optimisme qui caractérise Hibiscus.
Dans Hibiscus et la Gardienne du Temps, c’est un voyage initiatique sur la terre de ses ancêtres en Afrique noire, par le biais d’une porte spatio-temporelle régie par une vache géante qui amène notre petite amie à l’époque du début de la colonisation.
La grande vache n’est pas issue d’un délire personnel. Dans les légendes caraïbéennes, c’était elle qui accueillait les esclaves « marrons » qui s’enfuyaient dans la grande forêt et disparaissaient sans laisser de traces. On disait que la vache les avait happés par sa bouche pour les conduire en Afrique. Dans ce roman, Hibiscus est assistée de deux personnages récurrents des contes créoles : frère Lapin et Zamba.
Arrivée en Afrique, elle luttera contre des trafiquants d’esclaves, mais rencontrera aussi l’explorateur David Livingstone au destin légendaire. C’est Hibiscus qui fera la jonction entre lui et Stanley, leur permettant de se rencontrer.
Vraisemblance et invraisemblance se mêlent dans votre récit. Est-ce que vous vous documentez beaucoup avant de commencer à écrire ?
B.B. : Hibiscus et La Gardienne du Temps m’a poussé à lire la vie de David Livingstone. C’était un homme passionné de l’Afrique, avec une obstination sans bornes à vouloir découvrir les sources du Nil, et même y reposer mort. Henry Morton Stanley était beaucoup moins sympathique, il tirait dans le tas quand des villages s’interposaient à lui ; il est l’archétype du cruel explorateur tel qu’on le voit dans les films de Tarzan.
Pourquoi avoir parlé de David Livingstone ? Tout simplement parce que j’ai toujours eu une grande fascination pour les explorateurs d’antan : Marco Polo, Vasco de Gama, Magellan, Amundsen et Scott, etc. Cette histoire véridique, de Livingstone perdu sans nouvelles au cœur de l’Afrique, que tout le monde croyait mort et qu’on retrouve quelques années plus tard, bien vivant mais malade, est tout simplement incroyable.
Cependant, il ne faut pas se leurrer, ces explorateurs ont été les géniteurs de la colonisation aux lourdes conséquences. Hibiscus, petite fille des temps modernes, en a d’ailleurs conscience. Elle exprime son point de vue et déplore certains comportements.
Je me documente aussi sur les plantes médicinales, remède qui sera fort utile dans l’histoire.
Vous illustrez vous-même vos livres et d’ailleurs le dessin est votre passion première. Comment en êtes-vous venu à l’écriture ?
B.B. : Avant l’écriture, j’ai peint et exposé dans des galeries d’art pendant une quinzaine d’années. Puis avec la naissance de mes enfants, je n’avais plus le temps. La peinture est un plaisir de solitaire, on peut rester seul pendant des heures devant sa toile qui retient toute notre attention. Quand on devient père, il faut consacrer son temps au foyer et sortir de sa bulle, chaque minute a son importance. La métamorphose s’est faite en trois semaines. J’étais arrivé à une situation où je ne pouvais plus créer à mon aise, et finalement une nouvelle solution s’est présentée : l’écriture ! Depuis, j’y ai trouvé un parfait équilibre. Il suffit d’une feuille de papier, d’un stylo et je peux tranquillement m’évader en présence de ma famille, notamment le soir où cette détente fait contrepoids avec une longue journée de travail et d’obligation diverses.
L’illustration ne m’a jamais lâché pour autant. Depuis 10 ans, je travaille sur un personnage de petit dragon qui est la mascotte du quartier Ragon de la ville de Rezé, près de Nantes, et je réalise également des BD personnalisées avec un binôme scénariste, Sylvie Kerjean. Ces BD répondent essentiellement à des événements de type mariage, déclaration d’amour, naissance, départ en retraite, réussite sportive… On peut les voir sur le site https://cadeaux-bd-art.com/
Comment choisissez-vous les sujets de ces romans pour la jeunesse dans lesquels il y a une part de sérieux, d’humour et d’invention ?
B.B. : Jusqu’à présent, l’inspiration me vient facilement. Le quatrième tome d’Hibiscus est en cours d’écriture et s’intitulera Le Maître des Pensées. Nouvelle histoire, nouveau méchant, nouveau contexte, mais toujours sur l’île de notre héroïne. C’est important qu’elle ait un pied à terre fixe et qu’elle ne se disperse pas trop. Certes, elle s’est rendue sur la terre de ses ancêtres, mais je n’escompte pas la faire voyager sans arrêt. Il y a tellement de choses à raconter sur une île tropicale : cyclone, pollution, éruption volcanique, etc. Très certainement qu’un jour elle viendra à Paris. Dans ce cas-là, je lui ferai peut-être goûter à la banlieue et les cités HLM, histoire de la faire sortir de son cocon douillet ; qu’elle puisse tisser des relations avec d’autres gamines de son âge qui n’ont pas la chance de vivre sur une île des mers chaudes. J’aimerais bien lui faire rencontrer des enfants d’émigrés, dont les parents ont fui leur pays pour l’espérance d’une vie meilleure, mais aussi les réfugiés de guerre. En mêlant bien évidemment ces personnages dans la fantaisie et des aventures divertissantes !
Pouvez-vous expliquer votre intérêt pour « l’écriture Jeunesse » ? Pensez-vous écrire aussi pour les adultes ?
B.B. : J’attends qu’un éditeur me réponde favorablement à deux romans destinés aux adultes que j’ai écrit l’an passé : « La Tanière de Robur » et « La Captive de l’Île des Morts ». J’aime le concept de série, car je suis moi-même friand et collectionneur de ce genre. Les protagonistes sont donc les mêmes. Pour Hibiscus, je l’ai déjà dit, c’est le plaisir d’être un heureux papa qui m’a poussé à écrire des romans jeunesse.
Quels artistes ou bédéistes vous inspirent ?
B.B. : Il y en a beaucoup trop, je demande un joker ! En littérature, j’aime les grands auteurs classiques, mais aussi plein de nouveaux auteurs jeunesse que je découvre chaque jour davantage. Le fait d’écrire pour les enfants m’incite à lire ce que font mes contemporains, me permettant de quitter un peu le Club des Cinq et les Bob Morane de mon enfance. Il en est de même pour les livres illustrés et bande-dessinées. Je suis un grand collectionneur et j’ai des passions dévorantes. Quand j’ai un coup de cœur pour un écrivain ou un dessinateur, il faut que je possède tout de lui. Mais quand je dis tout, c’est vraiment tout ! Cela a commencé très tôt pour Jules Verne : Voyages extraordinaires, poésies, théâtres, essais… Mais ce n’est qu’un exemple ! De nombreux autres auteurs trônent dans ma bibliothèque. En dessin, j’avoue avoir une « culture très Pilote et Spirou », mais pas uniquement. Heureusement que le numérique compense l’invasion des livres et albums à la maison.
Que représente pour vous cette récompense, le prix des Postiers écrivains ? N’est-ce pas difficile de concilier votre travail pour le Groupe La Poste et votre travail d’écrivain-dessinateur ?
B.B. : Je suis très content de cette récompense car c’est un plaisir que je partage avec mes collègues. J’ai toujours eu la chance d’avoir d’excellentes relations avec eux et avec les cadres qui nous dirigent. L’écriture et le dessin sont de merveilleux palliatifs à la vie de travail et à la vie familiale qui peuvent parfois épuiser. Ils m’apportent un équilibre essentiel. Je suis d’autant plus content que ce sont justement deux collègues, confidentes et complices, Anne-Marie Mathias et Geneviève Prévot du CREC de Nantes (que je remercie), qui lisent, donnent leur avis et corrigent les coquilles de chacun de mes romans, avant que je transmette le manuscrit à mon éditrice.