FloriLettres

Volcanique. Le thème du Printemps des Poètes. Par Gaëlle Obiégly

édition mars 2025

Articles critiques

Le printemps des poètes a pris pour thème en cette année 2025 : la poésie volcanique. Je n’ai rien à dire sur les volcans, n’en ayant pas fait l’expérience. Du moins pas directement. C’est pourquoi je parlerai ici de biais ; à travers des œuvres et notamment l’œuvre d’un volcan. 

Je suis allée à Pompéi. C’était l’hiver. Il faisait froid, humide. Le ciel avait une couleur de cendres. Une journée d’hiver normale. Dans la navette qui relie Naples à Pompéi, j’ai observé le style capillaire de la jeunesse locale. Les garçons portent sur leur tête des architectures de cheveux. Cette fantaisie capillaire des hommes italiens m’est apparue dans ce petit train. Je l’avais déjà constatée dans le musée archéologique de Rome, le musée Massimo, où sont exposés des hermae d’empereurs et de sujets romains. Tandis que les têtes de femmes sont similairement coiffées, d’une manière simple, les hommes affichent une recherche, voire une coquetterie dans leurs coiffures. Ils adoptent la coiffure de l’empereur. Chaque empereur a son style de cheveux. J’étais assez contente de voir une continuité entre la Rome antique et l’Italie contemporaine. A partir de là, je me suis sentie connectée à Pompéi. Et même, je me suis sentie intime avec ce lieu et sa population fossilisée. 

Après un court trajet par le chemin de fer, je suis entrée dans Pompéi dont je garde des images rouges et vertes. Bien que ce soit une ville en ruines, ce lieu diffuse une espèce d’énergie. Du moins, je percevais le souffle jamais éteint des gens de Pompéi. Par chance, c’était désert ce jour-là. J’étais en compagnie d’une amie. Elle s’appelle Josephine Halvorson. C’est une peintre de nationalité états-unienne. Elle peint le réel, la vie matérielle. Elle a repéré des détails, les a dessinés dans son carnet. Un pan de mur avec une fissure, de la mousse. J’étais happée par d’autres visions. Les corps des victimes. Leurs corps subsistent grâce à des moulages réalisés à partir des formes qu’ils ont laissés dans la matière volcanique meurtrière. Ce sont des images qu’on ne peut pas oublier. Ce sont des présences, elles débordent de leur carcan, elles excèdent leur matérialité. Ce sont des restes qui sont comme des œuvres d’art. 
Nous étions entourées d’autres Américaines, chercheuses, dont une paléographe rouquine. Celle-ci avait fait le déplacement pour relever les nombreux graffitis présents sur les murs de Pompéi. Notamment, dans un des bordels de cette ancienne ville prospère où, je l’ai alors senti, a dû régner avant même l’éruption une ambiance volcanique. Au sens d’énergique. Une joie collective. Les obscénités inscrites au poinçon sur les parois du bordel nous ont été traduites par la paléographe états-unienne qui maîtrise le latin, ses registres classiques et tardifs, son argot. En arpentant Pompéi, je n’ai éprouvé aucune tristesse bien que je connaisse le sort de ses habitants. J’étais davantage émue par le caractère collectif de tous les aspects de leur vie. L’architecture de la cité t’amène à en percevoir les mœurs. Ainsi les espaces où s’alignent les latrines nous font comprendre qu’ils et elles déféquaient en groupe et peut-être en conversant et en chantant. Les bains étaient pris en public, et sans complexe, dans des thermes. Les pièces de réception sont plus importantes que les chambres individuelles. S’isoler devait être une manie d’hurluberlu. Ils allaient au bordel, ils gravaient des messages sur les murs, des messages destinés à tout le monde, ils faisaient l’amour en groupe. Les rues sont larges et sans doute étaient-elles gonflées de processions. Bref, on perçoit dans ces ruines que Pompéi fut une cité où les gens faisaient toutes sortes d’activités ensemble. 

Notre petite bande a exploré cette célèbre cité jusqu’à la connaître intimement. Jusqu’à les voir marcher, manger, coucher ensemble. Jusqu’à les croire liés d’amour, inséparables. Seule la mort pourrait les séparer. Mais la mort ne les a pas séparés. La mort les a gardés tous ensemble. 
Ils et elles ont fait tant de choses en chœur, jusqu’à mourir collectivement. En un instant. L’instant de leur mort est figé. Il est matérialisé. Une pluie de cendres s’est abattue sur Pompéi après l’éruption du Vésuve en 79 de notre ère. Les corps pétrifiés visibles sur le site ont une aura. Ils ne sont pas enfouis dans le temps. Ils restent. Comme s’ils étaient rejetés par la mort. Ces présences s’insinuent en vous, à jamais. A la fois vives et éteintes. 

Les Pompéiens pétrifiés sont à la fois vivants et morts. La physique quantique parvient à démontrer qu’un chat peut être en même temps mort et vivant. Ici, le temps n’existe pas. Pourtant le lieu est millénaire. Disons que le temps est sans effet matériel. De toute façon, c’est un lieu d’atomes et d’ondes. Et le temps, dans ces ruines n’abîme plus rien. Il ondule. Il fait des reflets. Léger.

Pompéi, en raison d’un déferlement de lave, de cendre et de pierre ponce, est devenue un lieu emblématique. Une œuvre d’art façonnée par la nature. Les formes, ici, sont créées autant par les humains que par la catastrophe naturelle. Et la beauté des ruines, leur vitalité, vous font prendre le Vésuve pour un volcan poétique. Un volcan qui fabrique. Il paraît que toute personne sur le point de mourir revoit sa vie sous forme de flash. Cette éruption de souvenirs a sans doute une fonction. Sans doute le mourant cherche-t-il dans tous les moments vécus des situations où il a été proche de la mort. Sa mémoire les fait jaillir pour qu’il comprenne comment il a survécu. Le souffle de la mort provoque un élan de vitalité psychique. Un jet de réminiscences non pas nostalgiques mais, au contraire, pour aller de l’avant, pour vaincre la mort. 

Dans le film de Rossellini, Stromboli, Karin, interprétée par Ingrid Bergman affronte le volcan et la mort qu’il promet pour, précisément, fuir la mort lente d’une vie conjugale horrible. Horrible est un mot qu’elle prononce à plusieurs reprises quand elle est prise dans la réalité aride du village auquel son mari l’assigne. Karin est différente. C’est son crime. Elle ne correspond pas aux mœurs, à la brutalité, à la bigoterie de l’île dont elle est captive. Le film se passe en 1945. Telle une bagnarde, elle prend la fuite. Pour traverser l’île et gagner le port où elle pourrait trouver un bateau qui l’exfiltrerait, il n’y a qu’un chemin. Un chemin potentiellement mortel. Comme l’est aujourd’hui la méditerranée pour les embarcations surchargées de migrants qui fuient leurs pays natals. Une fois en haut, la jeune femme s’adresse à Dieu. Il lui répond aimablement en déployant un ciel étoilé qui semble la rassurer. Puis le volcan, c’est-à-dire Dieu, émet ses fumées, déborde, s’écoule. Des pierres jaillissent. Elles tombent comme des obus. On ne sait pas si Karin parviendra à s’enfuir. Le film culmine dans cet affrontement, une étreinte quasiment, entre deux forces de la nature. L’une pleinement ; l’autre par son désir de liberté. Qui dépasse la peur. Qui devrait triompher du péril. Mais le film est réaliste. Et non mythologique. 

L’adjectif volcanique évoque l’éruption. Ce qui jaillit. Ce qui monte. Le désir est un appel. La joie est un sentiment qui monte. La colère aussi. Ce sont des mouvements de l’âme qui cherchent le partage.