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George Sand, Nouvelles lettres retrouvées. Par Gaëlle Obiégly

édition avril 2023

Articles critiques

George Sand a maintes facettes et le cœur sur la main, c’est ce que l’on découvre dans cette correspondance. L’édition établie par Thierry Bodin est riche. Et il est fortement conseillé de lire les notes qui accompagnent chaque lettre, cela augmente le plaisir et l’intérêt de chacune d’elles. Dans les notes on trouve plus de quatre-vingt lettres qui ont été adressées à George Sand auxquelles elle répond. Le dialogue entre les deux correspondants est rétabli grâce à ce travail éditorial qui s’attache à compléter chaque lettre dans le but d’éclairer le contexte et les allusions du texte. Ainsi, le lien entre le courrier, la vie et l’œuvre de George Sand s’approfondit au fil des pages. À la multiplicité de ses rôles s’ajoute une énergie considérable décelable autant dans les lettres développées que dans les billets courts. Et, quel que soit le propos, on ne peut que reconnaître la vigueur qui est la sienne.

L’ouvrage réunit quatre cent quatre lettres retrouvées, qui couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu’à quelques jours avant sa mort. La plupart de ces lettres sont entièrement inédites et viennent s’ajouter au corpus de la Correspondance déjà publiée. Certaines lettres, dont les spécialistes connaissaient l’existence parce que George Sand a tenu une liste des lettres qu’elle écrivait, sont enfin apparues. D’où ce titre donné à cet ultime volume de la correspondance de Sand: Lettres retrouvées.

Plus de deux cent soixante-dix correspondants sont ici représentés. Certains sont inconnus, d’autres sont illustres, comme Barbey d’Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Pauline Viardot. À côté de ces célébrités, les interlocuteurs de Sand sont des personnes aux profils divers ayant tous joué un rôle dans la vie de l’épistolière : parents, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d’affaires, etc.

Si George Sand a autant de destinataires, on devine qu’elle a également de nombreuses relations et amitiés. Est-ce que cela nuit à son travail ? C’est ce qu’elle semble dire à l’abbé Rochet dans une des cinq longues lettres où elle philosophe et épanche son cœur. Fin novembre 1840, elle lui écrit de Paris, « rue Pigale ». L’orthographe de George Sand est parfois bizarre. Cela s’explique par le fait que cette correspondance s’étend sur plus de cinquante ans, à une époque où certains usages orthographiques ne sont pas encore bien fixés. L’éditeur a tenu à suivre au plus près l’orthographe. Toutefois des modifications ont été apportées au texte pour en faciliter la lecture. Les accents aigües et graves souvent oubliés par George Sand sont restitués. Curieusement employés, les accents circonflexes sont absents là où il en faudrait et présents où il n’en faut pas. Survolant d’une manière étrange certaines voyelles ils donnent une indication sur la prononciation de certaines syllabes. L’oralité est particulièrement notable dans une lettre adressée à Adolphe Duplomb, son « cher Hydrogène », courtier en vin. L’objet initial du courrier porte sur une offre commerciale mais l’intérêt principal surgit en second lieu. Alors plongée dans les complications de son procès en séparation, elle évoque une scène violente avec Casimir Dudevant. Sans perdre son sens de l’humour, malgré les circonstances affligeantes, elle se met à raconter ses déboires conjugaux avec une orthographe cocasse qui fait entendre la prononciation du français dans la région où elle vit : le Berry. Son mari, le baron Dudevant, s’est mis à la battre. Elle dit : « j’veux pû dçà ». Et tout le reste s’exprime dans un parler de villageoise berrichonne, comme pour dédramatiser une situation conjugale sinistre. « J’ai tété trouver le grand juge, à la Châtre, et j’y ai dit. Et vlà qu’y m’ont démariée et j’en suis pas fâchée. Ils disont que le Baron fera son appel. J’en sas rin. » À ce moment, elle est hébergée par un ami, son mari l’ayant chassée de la maison. Dès les formalités légales accomplies, elle retournera chez elle et se promet qu’on ne la mettra plus jamais à la porte de sa propre maison. La vie parfois mouvementée de George Sand se reflète dans sa ponctuation que l’éditeur a tenu à respecter, tout comme son orthographe.

C’est dans une toute autre veine que George Sand s’adresse à l’abbé Rochet. Les cinq lettres à l’abbé philosophe et non orthodoxe, avec leurs réponses, nous renseignent sur ce prêtre familier de Nohant. Avec lui, Sand s’interroge sur la vie et sur Dieu. Dans une première lettre, George Sand s’adresse à un homme qui vit seul parmi les livres, c’est du moins ce que l’on comprend, mais qui lui semble moins seul qu’elle parmi toutes ses connaissances et « amités ». À partir de cette vague désespérance, la femme de lettres fait un état des lieux de la spiritualité de son époque. Son cas personnel est tributaire des temps où elle vit, et qu’elle décrit à son contemporain sous l’angle de la foi. Leur époque est celle de l’incertitude, de la tristesse. Le doute et le travail caractérisent son siècle. C’est exactement l’inverse des périodes où l’on croit en une vérité reconnue, formulée autour de laquelle tout le monde s’unit. On ne sait pas dans quels moments historiques Sand situe cette grande communion. À l’opposé, « les siècles de désabusement », sont ceux où l’humanité s’élève un degré de plus et sa vision change. Ainsi l’individu voit les choses autrement. Ou plutôt, il s’interroge. Cette incertitude, associée à la tristesse au tout début de sa lettre, devient un moteur. La vérité, dans ce siècle, a un nouvel aspect et surtout elle oblige chacun à « chercher, marcher, vouloir, aspirer ». Sinon, on tombe, on dépérit. Dans cette lettre, on perçoit le caractère de George Sand. Dans tout ce qu’elle entreprend, elle s’engage avec détermination. Ses missives philosophiques adressées à l’abbé Rochet parlent de sa vie spirituelle et débouchent sur des propos théoriques soutenus par une réflexion profonde. La force de ces lettres-là tient à leur conviction. La pensée s’enracine dans l’expérience. Et l’expérience, chez George Sand, est riche et variée. En témoignent les divers objets des lettres qu’elle écrit. On la voit traiter avec ses éditeurs ou les directeurs de revues et de journaux, chercher des livres afin de documenter ses ouvrages, mais aussi s’occuper de faire réparer sa calèche, de chercher une femme de ménage, de faire sa provision de bois de chauffage, de monter à cheval, d’acheter du tissu, de se faire faire une veste, de choisir un fermier pour ses terres, de commander des fleurs pour son jardin. À tous les âges, on constate que Sand est infatigable. En dehors de son travail d’écrivain, elle met son extraordinaire vigueur au service des personnes de son entourage plus ou moins proche. En effet, elle écrit de nombreuses lettres pour recommander, intervenir en faveur de proches ou même d’inconnus, prodiguer des conseils, réconforter. Pour aider, par exemple, un couple de vieux artisans infirmes et désargentés à être admis dans un hospice où ils pourront vivre leurs dernières années paisiblement.