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Francis Scott et Zelda Fitzgerald. Lettres d’amour 1818-1940. Par Gaëlle Obiégly

édition mai 2024

Articles critiques

Il est toujours intéressant de porter son attention sur l’effet que produit un livre sur l’âme de son lecteur. La particularité de ce volume de lettres tient à l’amour contagieux qu’elles diffusent. Oui, ce livre nous fait tomber amoureux. Amoureux d’un couple. Leur relation n’est pourtant pas idyllique. À quoi cela est dû, alors ? D’où vient le sentiment que ces êtres nous procurent ? Il se pourrait que les lettres de Zelda, par leur puissance évocatrice et leur pureté, laissent une empreinte où germe l’attachement que suscite cette correspondance. Entrons maintenant dans la relation tumultueuse et passionnée de Scott et Zelda Fitzgerald.

Les lettres de Francis Scott Fitzgerald et de Zelda Sayre Fitzgerald, dans le recueil intitulé Lettres d’amour 1918-1940, révèlent la complexité de leur relation. Une relation amoureuse et fraternelle loin des stéréotypes et des racontars qui ont longtemps alimenté leur mythe. Leurs écrits dévoilent une tendresse profonde et une souffrance partagée. Ce sont deux âmes écorchées vives, chacune combattant ses propres démons.

Un amour entre souffrance et soutien se raconte au fil des pages de ce livre qui en compte six cents, certaines avec des photos qui viennent illustrer le style de vie transparaissant dans les lettres. Scott et Zelda Fitzgerald, couple emblématique des années folles, ont vu leur vie marquée par la gloire, le drame et la tragédie. Leur relation a souvent été perçue à travers le prisme déformant des rumeurs. Il a ainsi été propagé que Scott, par jalousie, aurait étouffé la créativité de Zelda, la poussant à la folie, tandis qu’elle aurait exacerbé l’alcoolisme de son mari. Cependant, les lettres échangées entre eux, éclairées par l’introduction de leur petite-fille Eleanor Lanahan, offrent une perspective renouvelée et plus authentique de leur vie commune.

Ces lettres montrent que Scott et Zelda, loin de se détruire mutuellement, se sont toujours soutenus et réconfortés face aux épreuves. Zelda, atteinte de troubles mentaux diagnostiqués comme schizophrénie en 1930, et Scott aux prises avec l’alcoolisme, partageaient une compréhension mutuelle de leurs souffrances. « Cher Scott, tout me semble plus vain, plus stérile, plus désespéré de jour en jour », écrit Zelda. Ici, comme dans d’autres lettres, elle exprime une douleur profonde que Scott reconnaît et tente de soulager.

Des éclats de vie et de nostalgie émaillent ces écrits épistolaires. La correspondance entre Scott et Zelda est souvent empreinte de nostalgie, rappelant les moments heureux de leur passé. Cela intervient à partir de l’internement de Zelda à la clinique de Prangin, en Suisse. Ils sont éloignés ; les lettres sont nombreuses et étoffées. Mais il y a peu à dire sur le présent ou bien il n’y aurait à dire que de tristes moments. Zelda se réfugie dans les souvenirs et leur potentiel de fiction. Elle écrit à Scott : « Tu dis que tu repenses au passé en ce moment. Moi aussi ces semaines où je n’ai pas pu dormir plus de trois ou quatre heures… ». Cette lettre, comme quelques autres, évoquent des souvenirs vivants des années folles, on voit en flash back des soirées animées à New York, des disputes passionnées à Wesport, et des moments intimes partagés. Les détails, les noms propres, les allusions sont probablement parlants pour Scott et certifient les liens qui les unissent et dont eux seuls connaissent la texture. L’épaisseur de leur existence commune, toute en nervosité, légèreté, tension, se manifeste dans ces instantanés qui constituent la prose gracieuse, impressionniste, spontanée de Zelda.

Ces réminiscences sont des tentatives de Zelda de recoller les morceaux de leur vie d’avant la maladie. Ce sont les fragments d’une existence qui est peut-être derrière eux, mais en rêverie Zelda lui donne une suite. Cette existence pleine d’excitation et de promesses la soulage et anime sa conversation écrite à son mari adoré dont elle est séparée pour raisons de santé. Scott, de son côté, se remémore leur bonheur partagé sur la Côte d’Azur, malgré les difficultés : « Quand on est arrivés sur cette magnifique Côte d’Azur, j’avais développé un tel complexe d’infériorité que j’avais besoin d’être saoul pour voir qui que ce soit. » Leur enfant, Scottie, est pris en charge par Scott seul. Certaines de ses lettres donnent des nouvelles de la fillette à sa mère et relatent des épisodes de sa vie d’enfant, activités, camarades, vacances, etc.

Une créativité partagée et des conflits inévitables constituent cependant l’essentiel de cette correspondance. La relation entre Scott et Zelda a également été marquée par des tensions autour de leur inventivité respective. De 1932 à 1934, ils se disputent souvent sur la question de savoir qui avait le droit de fictionnaliser des éléments de leur vie commune. Zelda, écrivain et peintre talentueuse, s’est souvent sentie étouffée par la notoriété de son mari, tandis que Scott luttait pour subvenir à leurs besoins, y compris les frais médicaux de Zelda. Gagner de l’argent pour la famille, il l’a fait en exerçant le seul métier qu’il connaissait, un métier difficile, un métier tuant : l’écriture.

Cependant, malgré ces conflits, leurs lettres témoignent d’un respect et d’une admiration mutuelle pour leurs talents respectifs. « Mon trésor, mon trésor, je t’aime tant », écrit Zelda en 1919 au début de leur relation, exprimant un amour et une admiration profonds pour Scott. Ses sentiments ne s’amoindriront pas, malgré l’adversité, malgré l’éloignement. Même dans leurs moments de désespoir, ils reconnaissent et apprécient les réalisations de l’autre.

La tragédie d’un amour tourmenté. La vie des Fitzgerald a été dominée par leurs maladies respectives, rendant leur amour à la fois beau et tragique. Scott écrit à Zelda : « Tu devenais folle et tu appelais ça du génie. Je sombrais et j’appelais ça du premier mot qui me venait à l’esprit… Nous nous sommes détruits nous-mêmes. Je n’ai jamais pensé que nous nous étions détruits l’un l’autre. » Ces mots illustrent la lucidité avec laquelle Scott perçoit leur situation, reconnaissant que leurs souffrances étaient intrinsèques et non le résultat de leur relation.

La vision populaire selon laquelle Scott aurait étouffé la créativité de Zelda omet de prendre en compte les défis qu’ils ont affrontés. Scott, malgré son alcoolisme et le déclin de sa réputation, a continué à écrire, tout comme Zelda, qui a persévéré dans ses efforts créatifs malgré sa maladie. Leur correspondance révèle une éthique du travail commune, une valeur cardinale qui a guidé leurs vies malgré les obstacles.

En définitive, la correspondance entre Scott et Zelda Fitzgerald offre un portrait plus nuancé et authentique de leur relation. Leur amour, bien que tourmenté, était profondément sincère et marqué par un soutien mutuel face aux épreuves. L’impression durable que laisse la lecture de leur correspondance, c’est peut-être le courage, la beauté et la lucidité qu’a engendrés leur amour aussi profond que tourmenté.

Ces lettres, témoignages d’une époque révolue et d’un amour inoubliable, nous rappellent que derrière les mythes et les rumeurs se cachent deux êtres humains, vulnérables et courageux, dont l’héritage littéraire et humain continue de nous inspirer des sentiments.