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Claude Simon. La lettre à Frederico Mayor. Par Gaëlle Obiégly

édition janvier 2025

Articles critiques

Claude Simon a obtenu le prix Nobel de littérature en 1985. Quelques mois après le discours à Stockholm, il doit faire une série de conférences au Japon. Mais il reporte ce voyage. Pourquoi a-t-il pris cette décision ? Ce petit livre en est le résultat.

En effet, Claude Simon a accepté une invitation de l’écrivain khirgize Tchingiz Aïmatov. Ce dernier, au nom de l’Union soviétique, souhaite l’inclure dans une délégation d’acteurs du monde culturel afin de réfléchir « aux objectifs de l’humanité dans le troisième millénaire à l’échelle mondiale ». Le dessein est ronflant ; les participants plus ou moins prétentieux ; l’ensemble assez bête. C’est ce qu’il ressort de l’expérience vécue par Claude Simon lors du voyage en Union soviétique à l’occasion de ce colloque auquel il a, finalement, accepté de participer. Le voici donc pris dans un groupe de « quinze invités, quinze interprètes et les cinq ou six accompagnateurs dont on ne savait au juste s’ils étaient là pour prendre soin d’eux, les surveiller ou se surveiller entre eux », comme il en est question dans son livre L’invitation.

De retour d’un déplacement en Suisse où il a assisté à des conférences sur son œuvre, Claude Simon trouve un courrier de Frédéric Mayor. Il l’a connu à l’occasion du forum en URSS auquel il a pris part quelque temps auparavant. Frédéric Mayor est alors biologiste, professeur à l’université de Madrid. Il deviendra directeur de l’Unesco. C’est par son entremise que la délégation précédemment évoquée a rencontré Mikhaïl Gorbatchev, à l’automne 1986. Tout comme il a été accablé par le déroulement du voyage en Union soviétique, Claude Simon est ulcéré par la vacuité des échanges et la démagogie de l’ensemble de la délégation. Homme conséquent, il refuse donc de signer la déclaration rédigée à l’issue du forum de Kyssik-Kul. Il s’est également abstenu de prendre la parole au Kremlin lors de la visite à Mikhaïl Gorbatchev. Ce dernier est à ce moment le dirigeant de l’URSS. Mondialement connu, apprécié en Occident, beaucoup moins par ses compatriotes, il a réformé le gigantesque État en y introduisant des valeurs bannies depuis les années 1920 ; parmi elles, la liberté et la transparence (glasnost). Claude Simon est-il sceptique quant aux intentions de Gorbatchev ?

Dire non est tout aussi engageant que dire oui. Et dans cette lettre adressée à Frédéric Mayor, l’écrivain fait entendre une certaine éthique, ou plus simplement ses convictions d’écrivain. On trouve ainsi dans le présent volume la déclaration issue de ce voyage officiel dans l’URSS de la Perestroïka, déclaration que Claude Simon a fini par parapher et, pour accompagner ce document, une lettre de mise au point. L’ensemble est présenté par Mireille Calle-Gruber, grande spécialiste du Nouveau Roman et de l’œuvre de Claude Simon en particulier.  

L’écrivain, cet écrivain-là, ne se contente pas de signer un document dont l’intention paraît louable. Il l’examine. Il transforme la banalité de formules emphatiques en une matière à penser. La rhétorique creuse se trouve enrichie par la dialectique de Claude Simon. Il cite avec précision des parties de la déclaration, rédigée en anglais. « […] l’idiome indifféremment employé par les stars platinées, les grooms d’hôtel et les marchands de tout ce qui peut se vendre et s’acheter dans le monde […] », comme il l’écrit dans L’invitation qui dépeint dans tous ses aspects le voyage en URSS d’une délégation bien intentionnée.

Le choix de mépriser un certain style, les conventions et règles traditionnelles, repose sur une exigence intellectuelle. Sans dévoiler trop de cette passionnante lettre, il faut dire qu’elle énumère moins de vérités qu’elle n’ouvre la voie à des questions. Et, notamment : quelle est la fonction de l’art ?