Aristocrate écœuré par l’injustice de ses privilèges, né laid en plein milieu d’un siècle où les apparences sont tout, doublement enlaidi par la petite vérole mais futur orateur au puissant pouvoir de conviction, grand séducteur, jouisseur, corrompu aussi, multipliant les frasques de jeunesse avant de chercher sa voie dans la lutte contre l’oppression et dans la Révolution et l'avènement d'une monarchie constitutionnelle, Honoré Gabriel Riquetti (1749-1791), comte de Mirabeau, s’imposera à tous – postérité comprise – comme l’une des figures phares de la liberté.
Enfant, il montre d’emblée de brillantes qualités, mais elles ne lui valent ni l’amour ni la complaisance de son père ostensiblement éprouvé par sa disgrâce physique. Ses parents s’étant séparés alors qu’il a une douzaine d’années, il lui faudra compter sans l’appui de sa mère et grandir dans une totale solitude sentimentale. Bien plus tard, devenu homme, il se souviendra, dans ses Lettres écrites du donjon de Vincennes de cette excessive sévérité paternelle, lorsque gémissant, il croupira au fin fond du cachot où son père l’aura fait jeter. « Mon père, je pourrai dire que dès mon enfance et mes premiers pas dans le monde, j’ai reçu peu de marques de votre bienveillance ; que vous m’avez traité avec rigueur avant que je puisse avoir démérité de vous ; que vous avez dû voir de bonne heure que cette méthode excitait ma fougue naturelle au lieu de la réprimer… ; que je n’étais pas fait pour être traité en esclave. […] Je vis que j’aurais toujours tort, parce que je n’étais point aimé. » *
Une autorité qui conviendra mal à son tempérament et dont il se défend : son père voudra le punir qui n’aura de cesse de le faire éloigner, le faire enfermer. Placé à quinze ans dans l'école de l'Abbé Choquart, sorte de maison de correction pour les fils de famille indisciplinés, Mirabeau y est à bonne école avec une formation salutaire dans laquelle, outre les études traditionnelles, les exercices physiques et les manœuvres militaires sont de rigueur. À dix-sept ans, entré comme sous-lieutenant dans le fameux régiment de Berry-cavalerie – régiment du Royaume de France –, il y multiplie les frasques. Il s'échappe de l'armée ce qui lui vaut une première incarcération à l'île de Ré, part se battre en Corse, épouse par un coup d’audace, une riche héritière, Émilie de Marignane dont il ne tarde pas à se séparer. Multipliant les dettes et les écarts de conduite, il est condamné à nouveau ; son père le fait interner à Manosque puis au château d'If, au large de Marseille, enfin au fort de Joux près de Pontarlier. Le régime de semi-liberté dont il jouit, pouvant aller et venir en ville, et la fréquentation des salons et des bals, l'amènent à séduire en 1775 une jeune femme de vingt ans, Sophie de Ruffey, marquise de Monnier, jeune épouse d'un vieux magistrat au parlement de Besançon, le marquis de Monnier, et à se sauver avec elle en Hollande. Épris l’un pour l’autre d’une violente passion, ils y passent neuf mois de liberté et de bonheur avant que leurs familles respectives n’exigent leur extradition. Ils sont ramenés en France par un agent de police. Condamné à la peine de mort pour rapt et adultère et conduit au donjon de Vincennes, Mirabeau est jeté en prison le 7 juin 1777. Quant à la jeune femme, qui plus est enceinte, elle est expédiée au couvent. D’elle, les lettres montreront un tempérament passionné, courageux, qui n’ignorait rien des risques encourus. Béatrice Didier résumera ainsi sa vie : « Triste existence : en dehors des neuf mois qu’elle passa avec son amant en Hollande, Sophie vécut d’abord sous les ordres d’une mère tyrannique, ensuite aux ordres d’un très vieil époux et enfin, dans le fond d’un couvent. » Elle accouchera d’une enfant qui mourra, finira elle-même par se suicider.
Dans la solitude de sa prison, Mirabeau passe ses jours à écrire et notamment pour demander sa mise en liberté.
Dans une missive adressée au préfet de police, il expose ses griefs ** : « À M. Lenoir, juillet 1777 : (…) J’ose vous demander, monsieur, si le roi ne pardonne pas tous les jours des délits plus sérieux, plus essentiels, plus importants dans leurs suites. En vérité, je ne puis m’empêcher d’observer qu’il arrive très fréquemment des choses plus étonnantes et plus graves que la fuite de la femme d’un mari septuagénaire, et que ces choses n’attirent pas aux coupables une punition aussi cruelle. » Car si Sophie Monnier certes, était mariée, elle a rejoint Mirabeau de son plein gré, il ne l’a pas enlevée. Il faut voir dans la sévérité de ces peines, nous explique Béatrice Didier dans une introduction aux Lettres écrites du donjon de Vincennes (1777-1778), autant un désir de la monarchie de vouloir montrer des exemples de rigueur morale qu’une volonté des familles – et Mirabeau qui s’insurge contre l’arbitraire des lettres de cachet a contre lui la fureur de trois familles : la famille de Sophie, la famille Monnier et la sienne, c’est-à-dire surtout son père. (…) C’est sur les imputations d’un père, que ses ressentiments rendent ma partie, et qui seul a été entendu, que je suis jugé et condamné. Ceux qui s’intéressent à moi ne savent pas où je suis, ni comment, me défendre. Il faut donc que j’attende, que je gémisse, jusqu’à ce qu’un heureux caprice de mon persécuteur accrédité brise mes chaînes, ou que j’expire sous leur poids, s’il est inflexible !!! » La correspondance nous apprendra que Lenoir, lieutenant de police de Paris chargé de la surveillance des prisons n’est pas sans cœur, il permettra aux amants de s’écrire, d’échanger des mots d’amour et d’espoir. On fournit à Mirabeau des livres, du papier, il peut à la fois entretenir une double correspondance avec Sophie – l’une officielle, l’autre, parallèle plus secrète, libertine et libératrice, mais pour ce jeune homme de vingt-huit ans, fou de vitalité et de passion, l’absence de liberté, de nouvelles de l’extérieur, l’ignorance de la durée de son emprisonnement, rendent le supplice cruel. À Sophie, ses lettres les plus enflammées, les plus intimes, d’interminables lettres dans lesquelles, pour elle, il traduit Tacite et les poètes ou encore ses rêves érotiques dans de brefs écrits licencieux. Si l’influence de Sade s’y reconnaît, c’est que depuis 1779, Mirabeau a pour voisin le fameux marquis. Mais c’est aussi un homme épris, absorbé par l’amour, attentif, lui qui, jusque-là, n’avait connu qu’un commerce de galanterie qui n’était point l’amour mais le mensonge de l’amour. « À Sophie, …août 1777 […] Tu es si jeune, si malheureuse, si tourmentée ; je suis si amoureux, et par cela même si exigeant au fond de mon cœur, qu’il n’est pas étonnant que je tremble quelquefois ; mais ce n’est jamais que lorsque tu te tais, lorsque tu ne relèves pas le cœur abattu de ton ami. (…) Je reviens de la promenade, j’y ai été assez longtemps aujourd’hui. Il faisait très chaud, j’ai peur que tu n’en aies été incommodée, et le poids qui te le rend plus difficile à supporter augmente tous les jours. Heureusement, les chaleurs seront absolument abattues lorsque tu accoucheras. (…) » ***
Les trois années de sa captivité sont pour Mirabeau des années d’intense activité d’écriture. Il y écrit son fameux essai, Des lettres de cachet et des prisons d'état, des romans licencieux, des traités d’érotisme. Finalement libéré de Vincennes, il obtient la réformation du jugement qui le condamnait à la peine de mort, mais il est ruiné. Favorable à la Révolution et magnifique orateur, il est élu député et siège au tiers état d'Aix-en-Provence puis à l'Assemblée nationale. Il s'impose par son éloquence foudroyante alors que sa laideur impressionne. Cherchant à réconcilier le roi et l'Assemblée nationale, il se montre favorable à une monarchie constitutionnelle forte, tout en continuant à défendre le peuple. Il contribuera à la nationalisation des biens du clergé. En mai 1790, il entre secrètement au service de Louis XVI, qu'il informe et conseille en échange d'argent pour payer ses dettes. Sa mort prématurée un 2 avril 1791 est un deuil national. Inhumé en grandes pompes au Panthéon, il en est retiré en 1792, lorsque la découverte de sa correspondance renvoie à sa trahison.