FloriLettres

Gustave Courbet : Portrait. Par Corinne Amar

édition été 2019

Portraits d’auteurs

Gustave Courbet (1819-1877) eut un grand amour, la peinture, laquelle devint une obsession dont même les femmes ne parviendront à le distraire. Né à Ornans, petite ville située au cœur de la Franche-Comté, dans une famille unie de notables campagnards, seul garçon aîné d’une fratrie de quatre enfants, maître peintre – comme d’autres étaient maîtres charpentiers – fougueux, ne cherchant pas à plaire, ne s’adonnant jamais à la facilité, anticonformiste, vrai réfractaire à la morale, il déclenchera tout une révolution érotique et plastique, bousculant un siècle et un ordre esthétique et moral puritains. On lui devra d’avoir substitué les Vénus et le corps de la femme idéalisé par des représentations de femmes nues, à la chair vivante. On lui devra d’avoir accouché d’œuvres mémorables, de L’Autoportrait au chien noir à Un enterrement à Ornans, de L’Atelier du peintre aux Demoiselles des bords de Seine ou encore, à l’une des plus troublantes, des plus énigmatiques, L’Origine du monde (1866), exposée au Musée d’Orsay depuis 1995.
Dès l’âge de quatorze ans, Courbet est sensibilisé à la peinture par un professeur d’Ornans. Installé à Besançon à partir de 1837, il y poursuit sa formation. Se cherchant picturalement, c’est au cours de cette période qu’il compose ces tableaux où il se met en scène non sans emphase ; Le Désespéré, en 1841, L’Autoportrait au chien noir un an plus tard ; L’Homme blessé, peint entre 1844 et 1854, L’Homme à la ceinture de cuir, en 1845 ; Portrait de l’artiste, en 1846… Il a vingt-sept ans et il a de l’allure.
« Il était mince, grand, portant de longs cheveux noirs et aussi une barbe noire et soyeuse. […] Ses longs yeux langoureux, son nez droit, son front bas et d’un relief superbe, ses lèvres saillantes – moqueuses aux commissures, comme les yeux aux angles lui donnaient la plus étroite ressemblance avec ces profils de rois assyriens qui terminent des corps de bœufs. Son accent traînard et mélodieux ajoutait un charme paysannesque à sa parole ou très caressante ou très fine. » C’est le portrait de Courbet que dresse le critique d’art, Philippe Burty et qu’on reconnaît sans mal dans les autoportraits. Dans Autoportrait au chien noir ou Portrait de l’artiste, dit Courbet au chien noir, peint en 1842, un jeune homme élégant appuyé contre un gros rocher, tenant une pipe et portant un chapeau est assis par terre, un chien noir à ses côtés. Tous les deux regardent le spectateur. En fond parmi les herbes, un livre et une canne ; au loin, un paysage sous un ciel bleu et nuageux. Dans Autoportrait ou l’homme à la pipe, peint quatre ans plus tard, en 1846, c’est un visage de très près qui nous regarde, en blouse bleue d’ouvrier, barbe et cheveux noirs en broussaille, personnage mi-bohème, mi-prolétaire, tel qu’à l’âge de vingt-sept ans, il se revendique. Fidèle à ce qui structure son être, sa personnalité, Courbet témoignera toute sa vie de l’affection qu’il porte aux siens, laissant d’eux des portraits parfois au milieu des personnages de ses grandes compositions, tout comme il gardera le regard fixé à son pays natal qui lui sert de décor pour ses tableaux. Il professera qu’il n’a jamais eu de maître, et qu’en tant qu’autodidacte (il lui sera égal de savoir ses lettres emplies de fautes d’orthographe), il ne pouvait être le maître de personne. Seuls le travail sans relâche à l’écoute de la nature et la fréquentation des musées et des grands peintres du passé pouvaient lui apporter le savoir nécessaire.
Au Salon de 1849, il présente onze œuvres, dont sept sont admises : quatre paysages, un portrait, un dessin, et L’Après-dînée à Ornans. Le peintre y montre son père et ses trois plus proches amis d’Ornans – le premier, Cuenot chez qui se passe la scène, Marlet que l’on voit de dos et Promayet au violon. Premier essai réussi pour Courbet d’une composition autre que lui-même avec plusieurs personnages, une nature morte, le pelage doux d’un chien, un climat paisible, l’empreinte de l’influence hollandaise.
Urbain Cuenot est l’ami cher, l’un des plus présents dans sa correspondance, l’ami d’enfance de Courbet, celui avec qui il étudia au Collège royal de Besançon. Fils d’un avocat, il fait partie d’une famille de notables de la ville, s’avoue volontiers rentier. Il sert souvent de modèle à Courbet pour certains de ses tableaux. Il apparaît dans L’Atelier du peintre, dans Un enterrement à Ornans, et c’est chez lui encore que Courbet installe le décor de L’Après-dînée à Ornans. « C’était au mois de novembre, nous étions chez notre ami Cuenot, Marlet revenait de la chasse et nous avons engagé Promayet à jouer du violon devant mon père », confie Courbet dans sa correspondance qui vient d’être éditée sous le titre Courbet en privé, à l’occasion du 200ème anniversaire du peintre et regroupe, par correspondant, en dix chapitres, toutes les lettres du peintre que possède l’Institut Gustave Courbet. Lettres à sa famille, ses amis, ses modèles, missives aux marchands, aux collectionneurs, aux mécènes, dont certaines sont inédites. Deux lettres de Courbet à Cuenot y sont répertoriées, dont celle où il lui fait part de son allégresse lors d’un séjour qu’il passe en Normandie, à Trouville, et du succès coquet qu’il y rencontre. « Trouville, 16 septembre 1865, Mon cher Urbain, Je suis ici à Trouville dans une position ravissante. Le Casino m’a offert un appartement superbe sur la mer, et là je fais les portraits des plus jolies femmes de Trouville, j’ai déjà fait le portrait de Mlle la Comtesse Karoly de Hongrie, ce portrait a un succès sans pareil. Il est venu près de 400 dames pour le voir (…) ». Trouville est devenue une station balnéaire que tout le monde élégant de Paris fréquente, à cinq heures en liaison ferroviaire de Paris. Courbet y retrouve des artistes comme Eugène Boudin, Whistler, il se fait mondain, et le jeune peintre impressionniste, Bazille, mort trop tôt (1841-1870) confirmera sa renommée florissante : « J’ai vu Courbet hier ; il nage dans l’or. Cette année, il expose de fort belles choses il est vrai. (…) Ses tiroirs sont bourrés de billets de banque, il ne sait plus qu’en faire, tous les amateurs courent chez lui. » Courbet aime la côte normande, il la savoure lors de séjours fréquents. De Deauville-Trouville à Étretat, loin du vert de son pays, il y retrouve son enchantement devant « la mer sans horizon » et s’attache à traduire dans plusieurs tableaux de mer, dans ses plus fines nuances l’effusion de la couleur dans l’espace. L’autre réalité que le peintre assimile à cette nature est la femme. Ses biographes diront qu’avec Ingres, il en a été le plus grand peintre au XIXe siècle, la chérissant nue et voluptueuse, sans pour autant lui dénier les pouvoirs de la pensée, et malgré tout, la peignant passive et noyée dans le plaisir ou la contemplation.
En 1865, homme aimant les femmes, réfractaire au mariage, multipliant les aventures – principe de communication et levain social – Gustave Courbet est un jouisseur, a quarante-six ans et il lui reste douze années à vivre.