NATHALIE LÉGER
PRIX WEPLER FONDATION LA POSTE
Ça se passe un dimanche, la nuit est tombée depuis longtemps, il pleut. Une dernière fois, vous ouvrez mélancoliquement le merveilleux petit dossier du Prix Wepler reçu par La Poste, affiches, affichettes, cartons : de toutes façons, il est trop tard maintenant, vous ne l’aurez pas ce fameux Prix, vous ne l’aurez pas, vous décevrez : vos amis, votre éditeur – vous vous dites une fois encore cette phrase dont vous ne savez plus si elle est de Barthes ou de Gide : « Seul un dieu accepte de décevoir » — histoire de vous remonter le moral. Eh bien, voilà ! vous décevrez, il faut y consentir.
Et puis le téléphone sonne.
La voix de Marie-Rose Guarniéri.
Et derrière : un fond sonore de jubilation, celle de tout un jury, des exclamations, une présence vibrante, euphorique, semble-t-il. Alors brutalement, presque douloureusement tant c’est soudain, l’affolement joyeux chasse toute morosité, c’est une frénésie, une discrète électrisation qui empêche d’ailleurs de répondre intelligemment à l’annonce qui vous est faite. Parce que c’est étrange et c’est bête, mais, à ce moment-là, ce coup de fil ressemble un peu à une annonciation. Vous êtes plongée dans l’écriture, dans la construction d’une abstraction ; vous êtes plongé dans ce travail, dans cette solitude — et on vient vous en tirer pour vous annoncer que vous êtes un écrivain. Vous n’y pensiez pas, vous pensiez à cette chose un peu folle (écrire), mais on vous dit : vous l’êtes. Parce que c’est ça un Prix, un Prix, c’est le réel. Et le réel de l’écriture, ce sont les lecteurs, tous ces ardents lecteurs qui ont passé, par exemple ici, au Wepler, leur été dans nos livres, ceux qui autour d’une table hier, ce fameux dimanche de pluie, ont été furieusement attentifs à nos livres, l’ont été dans les livres, attentifs et combattifs, ce sont bien eux qui nous éclairent sur qui nous sommes. Et c’est heureux.
Mais dans cette surprise émue, je voudrais dire surtout ceci : l’émotion vient de ce prix-là, le Prix Wepler, pour ce livre-là. Un Prix à qui le mot de littérature ne fait pas peur, un Prix qui déclare, avec entêtement, que la littérature est follement désirable, c’est plus rare qu’on ne croit. Et si je dis : ce prix-là pour ce livre-là, c’est que j’ai cherché dans la texture de cette Robe blanche, dans l’intention de cette artiste dont je raconte le périple, cette artiste qui voulait faire régner le bien par la seule grâce de sa robe de mariée, j’ai cherché, dans la force impuissante de sa bonté, à réparer, par les mots, l’humiliation faite à une autre femme, ma mère, j’ai cherché non pas à faire justice, mais, pour sécher enfin ses larmes, à dire le juste.
En reconnaissant ce livre, le jury du Prix Wepler donne de la voix et fait écho à ce désir fou : dire, dans la pesée des mots, l’amplitude du sentiment, l’exactitude de l’émotion.
Et je veux dire enfin, que c’est aussi : ce prix-là pour cette maison-là. P.O.L. Ce prix-là, avec vous, amis, jury, soutiens, ce prix-là pour l’histoire de cette maison, pour sa vitalité, pour la fierté d’y appartenir, la fierté !, ce Prix pour celui qui l’a créée, ce Prix pour celui qui aujourd’hui dessine son avenir, pour toute cette équipe qui lui donne souffle chaque jour. Ce Prix pour une maison qui a tant d’esprit.
BERTRAND SCHEFER
MENTION SPÉCIALE DU JURY DU PRIX WEPLER FONDATION LA POSTE
Les choses ont parfois du sens... une mention spéciale, pour un livre qui restera pour moi justement très spécial, parce qu’il a marqué un tournant dans le travail entrepris depuis quelques années avec Paul Otchakovsky-Laurens – et ce n’est pas facile à dire aujourd’hui – à qui j’avais donné jusqu’alors des textes sensiblement plus autobiographiques. Paul s’est engagé à m’aider sur ce projet qui nécessitait du temps et des recherches et un tout autre rapport à la fiction. Il m’a épaulé, il a eu la patience d’attendre, il m’a fait confiance. Et pour reprendre le dernier mot de son film Éditeur, je pense à lui ce soir qui m’a dit « oui » pour la dernière fois, et je remercie Frédéric Boyer, de tout cœur, qui m’a dit « oui » pour la première fois.
Spécial aussi, parce qu’il s’agit d’un livre sur un fait divers inédit en France, le premier grand kidnapping médiatisé, qui s’inspire lui-même pour la première fois à la lettre d’un roman. J’ai tenté de comprendre le lien qui unissait ici la réalité des faits et la réalité des livres, et voir comment les deux pouvaient communiquer et parfois s’échanger au point de brouiller toute notre perception des événements. Et j’ai constaté une chose : ce qui démarrait comme une enquête documentaire devait se transformer en roman pour parvenir à son terme.
Chemin faisant j’ai essayé de retraverser une époque étrange, le début des années 1960, dont je n’arrive pas à savoir s’il reste encore quelque chose aujourd’hui, hormis dans la mémoire de quelques films. Quand on pense que tout a disparu, que la marche du monde a consciencieusement effacé toutes les traces, tous les usages et les modes de vie, il suffit parfois de se promener dans Paris pour sentir ces temps remonter à la surface et les époques se superposer. Les personnages de cette affaire habitaient et hantaient justement le quartier où nous sommes, entre République, les Batignolles, Clichy et Pigalle. Et lorsqu’ils n’étaient pas dans un café de Montparnasse ou un club de Saint-Germain-des-Prés, c’est au Wepler qu’ils se retrouvaient, j’en ai la preuve formelle. Ils élaboraient là un nouveau plan devant des huîtres et une coupe de champagne, et ce plan se retrouverait dans un livre qui, avec un peu de chance, et c’est finalement ce qui rend les choses si spéciales, se retrouverait à son tour au Wepler un soir comme celui-ci, en si bonne compagnie.