« Elle voulait offrir à son fils le meilleur des futurs et ne devinait nulle part de lendemains qui chantent au milieu des rues de Wilno. À lire les nouvelles du monde, à entendre les bruissements de haine, elle sentait comme une menace, quelque chose de trouble et de confus mais qui semblait couver, gronder au-dessus d’elle, des coups de tonnerre lointains et dont l’écho se rapprochait. » Laurent Seksik, Romain Gary s’en-va-t-en guerre, Flammarion, page 32.
Mina Owczynska-Kacew rêvait son fils diplomate, français, écrivain célèbre. Romain Gary (1914-1980) a réalisé tous les vœux de sa mère à qui il a rendu hommage dans La Promesse de l’aube. De son père, il n’a presque rien dit, ou lui a inventé une identité, en prétendant qu’il était Ivan Mosjoukine, le plus célèbre acteur russe du cinéma muet. C’était en réalité un fourreur du ghetto de Vilnius, la « Jérusalem de Lituanie », qui s’appelait Arieh Kacew. Il a quitté sa femme et son fils en 1925 pour construire une autre famille avant d’être assassiné avec les siens par le régime nazi. Laurent Seksik, écrivain et médecin, qui est l’auteur des Derniers jours de Stefan Zweig et du Cas Eduard Einstein vient de publier aux éditions Flammarion, Romain Gary s’en va-t-en guerre, son huitième roman. Il s’appuie sur l’œuvre de Gary, sur les biographies existantes, sur des archives récemment accessibles, sur ses intuitions et sa profonde connaissance de la nature humaine pour raconter un épisode charnière de l’enfance de Roman Kacew qui deviendra Romain Gary, et sera le seul écrivain à recevoir deux fois le prix Goncourt dont l’un sous le pseudonyme d’Émile Ajar.
Avec beaucoup de finesse, de dextérité, d’émotion aussi, Laurent Seksik « anime » ses personnages dans une sorte de récit enchâssé qui octroie à chacun plusieurs chapitres dans lesquels Nina (Mina Kacew), Roman ou Arieh s’expriment, agissent, pensent et rêvent. Ces différentes séquences dressent des portraits souvent bouleversants et restituent, à la lisière du réel, la « tragédie du père absent ».