FloriLettres

Dernières parutions, édition été 2024. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition été 2024

Dernières parutions

Romans

Philippe Garnier, Neuf mois. « J’écris (…) non pour me faire pardonner, ni pour la faire revivre, mais plutôt comme un tribut à la femme dont j’ai toujours cru tout savoir, et qui m’a surpris jusqu’au bout. » Philippe Garnier, critique de rock, de littérature et de cinéma, écrivain et traducteur de Fante, Bukowski et Salter, rend ici hommage à sa femme, l’écrivaine Elizabeth Stromme, disparue en 2006. Neuf mois, c’est le temps qui s’est écoulé entre l’annonce de son cancer et sa mort. Elle a préféré de ne pas suivre de traitement, déterminée à garder le contrôle de son corps et de son esprit. Les derniers moments, ils les passent dans une maison au milieu des bois, en Californie du Nord. Elle sait qu’elle ne reverra pas leur maison de Los Angeles. Ils ont tout prévu, pour ce dernier voyage ensemble. Philippe Garnier décrit ce temps suspendu, la douceur de l’été indien, la beauté du paysage qui s’offre à eux, l’odeur des séquoias, les tâches domestiques et les soins prodigués. Il se remémore sa crainte de ne pas être à la hauteur, son désir de se rendre totalement disponible pour cette femme à la force de caractère impressionnante. Le livre raconte sans détour cet accompagnement dans la mort mais célèbre aussi trente ans d’une vie à deux, excentrique et enthousiasmante. Ils se sont rencontrés à Londres, se sont installés au début des années 1970 à San Francisco, alors berceau de la contre-culture américaine, puis ont déménagé à Los Angeles. Elle était originale, espiègle, d’une intégrité redoutable, ce qui en déconcertait plus d’un. « Elizabeth avait souvent cet effet sur les gens. Elle leur restait comme un trouble au bas du crâne, une brûlure sous la peau. » Elle le suivait dans ses virées nocturnes pour ses reportages musicaux, était toujours la première à pousser la porte d’un bar louche pour une captivante partie de billard ou pour une bonne chanson jaillie d’un juke-box. Elle avait renoncé à une place confortable dans une agence de publicité pour se consacrer à l’écriture de romans policiers et d’articles sur le jardinage. Elle était sa joie, son esprit en alerte, et Philippe Garnier nous fait entendre la force de cet amour, sans dissimuler ses propres faiblesses. Éd. De l’Olivier, 120 p., 17,50 €. Elisabeth Miso

Couverture du livre

Gurvan Kristanadjaja, Amok, mon père. Un jour de septembre 1995, le père de Gurvan et de Joseph leur annonce qu’il part en Indonésie, et leur promet d’être de retour pour Noël. Dani n’est jamais revenu, laissant derrière lui deux petits garçons de quatre et six ans. Il envoie quelques rares cartes postales. Leur imagination d’enfant lui tresse une vie romanesque, d’agent secret ou d’aventurier, dans une jungle peuplée de tigres ou d’orangs-outans. Les deux frères grandissent à Brest, entourés de l’affection de leur mère et de leur grand-mère. Ni l’une, ni l’autre ne manifeste de rancœur et n’esquive leurs questions, brossant le portrait d’un homme chaleureux. Mais le mystère reste entier, pourquoi les a-t-il abandonnés ? Gurvan garde précieusement dans sa table de nuit deux photographies de Dani presque effacées et s’efforce de casser son image de grand sensible auprès des siens. « J’avais creusé un trou, y avais déposé mes larmes et mes courroux, puis j’avais coulé du béton armé par-dessus. » Quinze ans plus tard le père ressurgit et leur donne rendez-vous dans un hôtel parisien. Les retrouvailles furtives avec cet homme impénétrable sont décevantes. Les deux frères s’envolent alors pour Jakarta, bien décidés à obtenir des explications sur la désertion de leur géniteur. Ils découvrent ce pays dont ils ont si souvent rêvé, sont fêtés par tous les membres de leur famille paternelle. Très vite, ils prennent la mesure des mensonges élaborés par leur père, de son incapacité à se confronter à la vérité, à son passé. « Toutes ces années, il avait vécu dans une autre réalité que la nôtre, un monde dans lequel aimer, exprimer des sentiments ou des remords, un manque ou même de la colère ne faisait pas partie de son logiciel. Selon son humeur, il faisait de nous tantôt des princes, tantôt des étrangers. » Un de leurs jeunes cousins leur ouvre les yeux sur la pression sociale qui règne dans les familles asiatiques, sur ce sens de l’honneur familial à préserver coûte que coûte, sur l’importance de ne jamais perdre la face. Avec ce roman autobiographique, Gurvan Kristanadjaja, journaliste à Libération, déroule une touchante réflexion sur les origines, le métissage et la complexité des relations familiales. Éd. Philippe Rey, 208 p., 18 €. Elisabeth Miso

Essais

Couverture du livre avec portraits de Françoise Dorléac

Aurélien Ferenczi, Framboise. Quelques hypothèses sur Françoise Dorléac. « C’est comme si (…) sa mort avait recouvert sa vie d’un immense et opaque voile de tristesse, qui en gomme à jamais les détails, ne laisse entrevoir qu’une silhouette de beauté et de gentillesse. Mais il faut prendre au sérieux l’idée qu’il y avait chez elle une lumière, une présence à la fois joyeuse et fébrile qui, d’emblée, la distinguait. » Le 26 juin 1967, Françoise Dorléac se tuait dans un accident de voiture. Elle avait vingt-cinq ans, et avait imprimé de sa grâce L’Homme de Rio (1964), La Peau douce (1964), Cul-de-Sac (1965) ou encore Les Demoiselles de Rochefort (1967), dont elle partageait l’affiche avec sa sœur Catherine Deneuve. S’appuyant sur des fragments d’interviews et sur les multiples facettes de sa personnalité décelables dans ses rôles, le journaliste et écrivain Aurélien Ferenczi esquisse le portrait d’une actrice particulièrement douée et attachante.  Ses parents étaient comédiens, son père Maurice Dorléac était directeur de doublage pour la Paramount. Elle a très tôt nourri le désir de devenir actrice, au contraire de sa sœur qui a toujours affirmé s’être engagée dans cette voie, un peu par hasard. Elle parlait vite, débordait de fantaisie, dévorait la vie, se donnait totalement à son métier, sans pour autant parvenir à se défaire de ses inquiétudes, de sa mélancolie, de son insatisfaction permanente. Elle voulait être une star, mais doutait sans cesse de sa beauté. Elle craignait de rater sa carrière, de ne pas être aimée, de ne pas rencontrer l’homme de sa vie, la solitude. Avec sa sœur, elle s’est beaucoup amusée dans les boîtes à la mode de Paris et de Londres, dansant jusqu’au bout de la nuit. « La danse dit mieux que n’importe quel dialogue ce qu’elle est entièrement, une jeune femme, vivante, en perpétuel mouvement, ivre de l’instant, s’oubliant enfin. » Sur les traces de Françoise Dorléac, de film en film, à Paris, à Londres, à Rio ou à Helsinki, Aurélien Ferenczi rend palpable « (…) ce que la comédienne ne cessera jamais de répéter, par son corps et par sa voix : un désir absolu de vivre entièrement, et la peur panique d’en être empêchée. » Éd. Actes Sud, 160 p., 17 €. Elisabeth Miso

Récits

Couverture du livre

Artem Chapeye, Les gens ordinaires ne portent pas de mitraillettes. Au lendemain de l’invasion de son pays par la Russie, le journaliste écrivain ukrainien, Artem Chapeye, né en 1981, marié et père de famille décide de s’engager dans l’armée. Il sait qu’il laisse derrière lui, sa femme, ses deux enfants, son métier, son quotidien connu. Un récit à la première personne, rédigé sur le front et tout entier porté par la question sartrienne de l’existentialisme et de l’engagement : pourrais-je encore me regarder dans la glace si je ne le faisais pas ? Car pour tout Ukrainien désormais, « ce sont deux vies différentes : avant le vingt-quatre et après le vingt-quatre ». Ce 24 février 2022, Artem Chapeye et sa famille, fuyant Kiev que les chars russes menacent déjà, se retrouvent faisant halte pour manger dans un village inconnu. L’écrivain, féru de Sartre, de Camus, de littérature française, pense au jeune homme qu’il a été, regarde devant lui un paysan maigre proche de la retraite, le voit alors mobilisé sur la place, avec les hommes du village qui ont fait leur service militaire. Il pense à la honte, celle que chez lui on appelle la honte espagnole, il pense qu’il lui est impensable justement de fuir, car le regard de son fils de neuf ans sur son manque de courage lui serait douloureux. « Imaginons. Les années 1940, la France est sous l’occupation nazie. Question : que dois-je faire dans cette situation, moi, personnellement ? Rester avec ma mère qui a tant besoin de moi, son fils, ou bien rejoindre la Résistance ? La réponse est simple, nous dit-il : il ne connaît pas le choix tant qu’il ne l’a pas fait. » À l’âge de quarante ans, il est face à un dilemme d’une même puissance : « À mon âge, la famille, c’est une mère âgée et mes propres enfants qui ont tant besoin de moi, leur père. » Un texte courageux, lumineux, qui questionne le courage d’être soi, les limites de soi, la haine mais aussi l’immense humanité de l’homme, sa capacité d’amour et de compassion. Éd. Bayard, coll. Bayard récits, 118 p., 17 €. Corinne Amar.

Couverture du livre

Hervé Le Tellier, Le nom sur le mur. « Je voulais une maison où j’aurais pu m’inventer des racines et aussi, une maison dans un village vivant où on fait ses courses à l’épicerie et boit l’apéro au café, dans cette Drôme provençale où j’avais des amis depuis longtemps ». Ainsi commence le récit de l’auteur qui va mêler l’intime et l’histoire (la grande), pour raconter la brève existence d’un jeune héros de la Résistance dont le nom lui apparaît en toutes lettres, André Chaix, gravé sur le crépi de la façade de sa nouvelle maison, alors que l’ancienne propriétaire, céramiste, a retiré certaines de ses plaques d’émail. Plus loin, sur la place du village, sur le Monument aux morts, il retrouve ce nom inconnu, anonyme doublé d’une date de naissance et de mort : Chaix André (mai 1924 – août 1944). L’occasion pour l’écrivain – on est en plein confinement, il est venu se réfugier avec des amis dans ce village et cette maison – de partir à la recherche de ce nom énigmatique. André Chaix, fils d’un boulanger de Montjoux, engagé dans les Forces françaises, à peine sorti de l’adolescence, et mort avec sept autres résistants dans un accrochage avec des chars allemands. De témoignages en archives, tel un minutieux parcours de combattant, Hervé Le Tellier parvient à prendre contact avec la famille d’André Chaix et à avoir entre les mains une précieuse boîte en carton rassemblant les reliques « précieuses et minuscules » du jeune disparu : des lettres à sa fiancée, Simone, une carte d’identité, un tract de la Résistance, une dizaine de photos, une boîte de bonbons… Raconter une brève existence, lui rendre hommage et sans doute aussi, exorciser un autre deuil, intime celui-ci ou encore, apprivoiser sa propre mort, tel pourrait être le propos de ce livre, le message pudique de son auteur à son lecteur. Éd. Gallimard, 176 p., 19,80 €. Corinne Amar.

Revues

Couverture de la revue avec noms des auteurs

Les Moments littéraires n° 52 : À la Une du n°52 : Anne Coudreuse
Écrire pour oublier. 
Major de la promotion Lettres 1988 de l’École normale supérieure de Fontenay, docteur ès lettres, agrégée de lettres mo­dernes, Anne Coudreuse enseigne à l’uni­versité Sorbonne Paris Nord. Son oeuvre littéraire est double ; nous y trouvons à la fois des essais et des oeuvres de fiction où la part autobiographique est plus ou moins ouvertement revendiquée. Dès son premier roman Comme avec une femme sont apparus les thèmes qui seront à la base de son oeuvre littéraire à savoir : l’enfance, le suicide, la folie, l’homosexualité, la relation avec une écrivaine.
Jusqu’à présent, lire l’ensemble de son oeuvre était impos­sible si l’on ne savait pas qu’elle avait publié sous son patro­nyme un roman et de nombreuses nouvelles - dont cer­taines sont parues dans Les Moments littéraires - et d’autres livres et nouvelles sous pseudonyme. Au cours de l’entretien qu’elle a accordé à la revue, Anne Coudreuse s’explique sur le choix d’un pseudonyme, évoque son enfance, son projet d’écriture et ses méthodes de travail. . Parution : 1er juillet 2024.

Le dossier Anne Coudreuse :
• Anne Coudreuse et moi de Annie Ernaux
• Son nom d’arbre sur le pont vide de Fabienne Jacob
• Entretien avec Anne Coudreuse
• Souvenirs de la maison du mort de Anne Coudreuse

Également au sommaire du n°52

Kimiko Yoshida, L’inépuisable éclat de ce qui manque & portfolio.
Les autoportraits de Kimiko Yoshida procèdent d’une dé­marche singulière et paradoxale. À l’opposé de ceux réali­sés le plus souvent par les photographes occidentaux, elle maquille son visage ou masque ses traits pour aboutir tout à la fois à la présence et à l’absence du modèle.

Diane de Margerie, Haïkus du confinement.
Avec Mon éventail japonais et De la grenouille au papillon, Diane de Margerie nous avait fait partager sa passion pour l’art et la littérature japonaise. Pour ce qui fut sa dernière oeuvre, elle s’est inspirée des haïkus pour nous dire « la beau­té du partage » et l’importance de « l’amour de l’autre pour aider à vivre ».

Hervé Ferrage, Carnet grec, 2022-2023.
Depuis qu’Hervé Ferrage a découvert la Grèce comme une ouverture sur le monde des dieux, chaque année, il attend son été grec. « La Grèce, pour moi, salvatrice, encore et toujours, depuis trente-cinq ans. Mieux qu’un mariage, une alliance sans règle fixe ni contrainte. Je peux être infidèle et absent un été, cela ne change rien, ma Grèce intérieure mûrit en moi, même à mon insu. »

Jacqueline Fischer, Des riens.
De son enfance, Jacqueline Fischer a gardé très peu de sou­venirs. Aussi écrit-elle sur des riens qui, une fois regroupés, donnent une vision fragmentée de sa jeunesse.

Les chroniques littéraires d’Anne Coudreuse. Présentation de l'éditeur : https://lesmomentslitteraires.fr/

La première sélection du Prix Clarens du journal intime 2024 :
 

Couvertures des livres sélectionnés

Piero Calamandrei, Journal 1939-1945, traduit de l’italien par Arnaud Clément, Éditions Conférence
Imre Kertész, Le spectateur, Notes 1991-2001, traduit du hongrois par Charles Zaremba et Natalia Zaremba-Huzsvai, Actes-Sud
Sándor Márai, Journal, Les années d’exil, 1968-1989, traduit du hongrois par Catherine Fay, postface de András Kanyádi, Albin Michel
Yves Navarre, Journal, Séguier
Chantal Thomas, Journal d'Arizona et du Mexique (Janvier - juin 1982), Seuil
https://lesmomentslitteraires.fr/