BIOGRAPHIES
Maxime Donzel, Joan Crawford Hollywood Monster. Figurer sur la liste des « 50 plus grands méchants du cinéma » éditée par l’American Film Institute en 2003, aux côtés de Dark Vador, du Joker ou de Dracula, est bien éloigné de ce que Joan Crawford rêvait de laisser à la postérité. En 1978, un an après sa mort, sa fille adoptive Christina, publie Mommie Dearest, un portrait au vitriol de la star américaine aux cruelles méthodes éducatives. L’adaptation cinématographique du livre en 1981, avec Faye Dunaway dans le rôle de sa mère, finit d’asseoir cette réputation de monstre. Derrière la face sombre, le journaliste Maxime Donzel (signature du magazine Sofilm) s’est attaché à révéler les angoisses et la lutte acharnée d’une actrice légendaire pour exister et durer dans le monde sans pitié d’Hollywood. Repérée parmi les choristes du show de Mistinguett à Broadway, elle est engagée par la Metro Goldwyn Mayer et débarque dans la Cité des Anges en 1925. D’une ambition dévorante, elle comprend très vite comment piquer la curiosité du public et celle de Louis B. Mayer pour décrocher davantage de rôles. À la fin des années 20, elle enchaîne les tournages et le succès des Nouvelles Vierges (1928) la consacre star. Son mariage avec Douglas Fairbanks Jr en 1929 captive la presse et les fans. Le livre la suit ainsi au fil de ses joies et de ses déceptions, de ses rencontres amoureuses (avec Clark Gable notamment), de ses rivalités avec Norma Shearer, Greta Garbo ou Bette Davis, de ses bras de fer avec les studios pour obtenir des rôles consistants. En 1943, sa carrière bat de l’aile, elle se libère de son contrat à la MGM et rejoint la Warner Bros. À quarante ans, elle veut trouver un nouveau souffle, surprendre, marquer les esprits. Elle patientera deux ans avant d’être séduite par le projet du Roman de Mildred Pierce (1945), pour lequel elle raflera un oscar. « Ce rôle était une joie pour moi parce qu’il me sauvait de ce que MGM avait appelé la “ formule Crawford ”. J’avais été tellement cachée sous des tonnes de vêtements et de décors que personne ne savait si j’avais du talent ou pas. » Cette exigence atteindra des sommets lors du tournage de Johnny Guitare (1954) de Nicholas Ray. Jalouse de la performance de sa partenaire Mercedes McCambridge elle fait modifier le scénario. « C’est ainsi que Crawford transforme Johnny Guitare en film féministe inédit, où les femmes prennent en charge l’action, et exposent leur désir avec agressivité. » Des films muets aux premiers pas de Steven Spielberg en 1969, Joan Crawford n’aura eu de cesse de briller et de vouloir graver son nom dans l’histoire du cinéma. Éd. Capricci, 118 p., 11,50 €. Élisabeth Miso
RÉCITS
Lieve Joris, Fonny. Traduction du néerlandais Marie Hooghe. Connue pour ses livres sur le Congo, le Mali, la Chine, Dubaï, la Syrie ou l’Afrique du Sud, l’écrivaine voyageuse s’est lancée cette fois dans un périple des plus intimes au cœur de son histoire familiale. Elle travaillait à son projet sur Damas quand son frère aîné Fonny a eu un grave accident de voiture. Toute la famille s’est précipitée au chevet de cet être instable, autodestructeur, source d’inquiétude et de conflits permanents, que beaucoup préfèrent tenir à distance. Lieve Joris commence alors à prendre des notes, à observer ce qui circule, ce qui se dit à partir de cette nouvelle épreuve familiale et se remémore son enfance dans la commune flamande de Neerpelt. « Il y a une fausse note dans ma présence ici. Je l’ai laissé se damner, je l’ai évité et maintenant qu’il est frappé à mort, je viens pleurer à son chevet. S’il s’en remet, je ne l’aiderai pas plus qu’avant, je le sais, à travers mon chagrin. » D’une certaine manière elle a été la plus préservée de tous. Cinquième d’une fratrie de neuf enfants, elle passait beaucoup de temps chez sa grand-mère paternelle qui occupait une maison dans la même propriété en bordure du canal campinois, échappant ainsi à l’agitation de son foyer. Bobonne la berçait de récits familiaux sur ses frères missionnaires ou sur son fils. Fonny s’est très tôt montré difficile et rebelle, se faisant renvoyer de tous les établissements scolaires et pensions, martyrisant son frère cadet Rik, manipulant son entourage. Adolescent, beau et magnétique, il est le héros de sa jeune sœur. ElIe aime l’écouter répéter avec son groupe de musique ou découvrir avec lui Leonard Cohen et Bob Dylan. Puis la spirale des drogues dures fait de son existence et de celle de ses proches un enfer. Des années durant, il abuse du dévouement de ses parents protecteurs, totalement dépassés et dans le déni de sa toxicomanie. Certes les événements relatés sont souvent dramatiques et pourtant Lieve Joris parvient à glisser de l’humour dans les pires situations, laissant entendre au fil des pages son profond attachement aux siens et son besoin viscéral d’ailleurs. Elle dévoile comment elle s’est construite dans cette tribu tourmentée et explore les mystérieux mécanismes à l’œuvre dans les liens familiaux. « Aussi divergentes que soient désormais nos vies, dès que nous sommes ensemble, nous nous retrouvons en terrain connu, dégringolons comme à travers une trappe dans notre passé et reprenons nos positions antérieures. » Éd. Actes Sud, 320 p., 22,50 €. Élisabeth Miso
ROMANS
Emmanuelle Grangé, Les amers remarquables. Le deuxième roman de la comédienne Emmanuelle Grangé est une histoire de famille, la sienne, et une déclaration d’amour d’une fille à sa mère. L’auteur a grandi à Berlin dans les années 60 entre un frère, un père diplomate et une mère au foyer « fantasque, un jour délirante d’amour, le lendemain, mutique », cultivée, créative, éprise de paysages marins et de natation, qui fait des entrées remarquées dans les soirées mondaines en smoking et cheveux courts à la Jean Seberg. La petite-fille déchiffre Jane Eyre, absorbe toutes les histoires que sa mère lui raconte, se languit terriblement dès qu’elle est séparée d’elle et n’aime rien tant que de fendre l’eau à ses côtés. L’épouse modèle voudrait travailler, se sentir libre, s’installer au bord de la mer, rompre avec leur milieu berlinois si pétri de convenances et d’ennui. Cette vie domestique bien réglée est une souffrance, alors elle s’enfuit une première fois laissant ses proches abasourdis. Il y aura encore d’autres fugues, d’autres périodes d’inquiétude. À la retraite, le père consent à rentrer en France. Le choix se fixe sur un appartement dans le bassin d’Arcachon. Près de la mer, la mère déborde de vie à nouveau, mais l’enthousiasme sera de courte durée, au fil des ans le couple parental s’enfonce dans un quotidien terne, dans le renoncement et le repli sur soi. Emmanuelle Grangé retrace avec lucidité et tendresse le destin corseté de sa mère, revisite l’expérience de l’abandon, les incompréhensions, les frustrations, les non-dits familiaux, mais aussi les souvenirs harmonieux, les éclats d’intense bonheur partagé. Éd. Arléa, 176 p., 17 €. Élisabeth Miso
CORRESPPONDANCES
Monet - Clémenceau, Correspondance. Édition établie par Jean-Claude Montant, révisée et augmentée par Sophie Éloy. « Je vous aime parce que vous êtes vous, et que vous m’avez appris à comprendre la lumière. Vous m’avez ainsi augmenté. Tout mon regret est de ne pouvoir vous le rendre. Peignez, peignez toujours, jusqu’à ce que la toile en crève. Mes yeux ont besoin de votre couleur et mon cœur est heureux de vous. » On pourrait croire à une lettre d’amour enflammée, tant le ton est passionné, c’en est une, si tant est que l’amitié est une des formes de l’amour : c’est la lettre que l’homme politique, Georges Clémenceau, (1841-1929), déjà octogénaire, envoie à l’artiste Claude Monet (1840-1926), de Saint-Vincent-sur-Jard, en Vendée, un 17 avril 1922. À peu de chose près, ils naîtront et mourront en même temps. Leur amitié est légendaire, comme l’est l’affectueuse expression avec laquelle le grand homme d’État terminait ses lettres à son meilleur ami : « Je vous embrasse de tout mon cœur ». À 80 ans passés, Claude Monet et Georges Clemenceau sont tous deux à l’apogée de leur gloire, habités par la passion et la vie. Ils ont une vingtaine d’années lorsqu’ils se rencontrent – ils renoueront de façon constante une trentaine d’années plus tard, alors que Monet vient de faire l’acquisition de la propriété de Giverny et y aménage son nouvel atelier. À la puissance de l’artiste vient répondre le style de l’homme d’État qui joue de toutes les cordes ; de la célébration des plaisirs partagés – les jardins, les fleurs, les voyages, la cuisine – à une attention constante aux « mouvements de la sensibilité de l’ami cher », un désir entretenu d’une juvénilité à partager, un refus fraternel de toute complaisance entre eux. Cette correspondance commence en août 1889 et se poursuit jusqu’en septembre 1926. Agrémentée d’une préface de Jean-Noël Jeanneney et de photographies, elle illumine la personnalité de ces deux génies de leur siècle et dit beaucoup de la source de leurs ardeurs comme de leur immense amitié. Musée de l’Orangerie / RMN Grand-Palais, 190 p., 19 €. Corinne Amar
Albert Camus - Nicola Chiaramonte, Correspondance (1945-1959). Édition établie, présentée et annotée par Samantha Novello. Albert Camus (1913-1960) s’est lié d’amitié avec l’activiste et auteur italien, à qui il voue une grande admiration, Nicola Chiaromonte (1905-1972). Ce dernier, exilé, lors de son passage à Oran en 1941, s’apprête à partir pour les États-Unis, pour quelques années. Militant antifasciste et anticommuniste qui, en 1934, quitte l’Italie pour la France après s’être opposé au gouvernement de Mussolini, ami d’Alberto Moravia, Chiaromonte, dont la première femme était juive, a connu une vie d’errance, de l’Algérie au Maroc, aux États-Unis puis à Paris, avant un retour définitif en Italie. À New York, en lisant le Mythe de Sisyphe et L’Étranger, il se découvre de profondes affinités avec le jeune Camus. Correspondance croisée, réunissant quelque quatre-vingt-dix lettres inédites – échanges intellectuels, espoirs, lectures partagées, écrits manuscrits soumis au regard de l’autre ; tout un dialogue vécu comme une urgence de dire que nous sommes témoins de ce qui se passe – et, envers et contre tout, « une obstination infinie » pour certaines causes. Chiaramonte écrit à Camus, de New York le 15 octobre 1945 : « La lecture de L’étranger a été la seule vraie émotion que j’ai éprouvée en lisant un contemporain depuis des années et des années. Et dans Le Mythe de Sisyphe, plus encore que la forme si soutenue et le sérieux profond de la question (…), il me semble que le seul hommage digne d’une pensée sérieuse comme la vôtre soit de la discuter. (…) J’ai aussi eu le bonheur de pouvoir suivre votre lutte dans Combat. Tant que vous avez parlé, cette France – et aussi cette Europe – martyrisée, piétinée, avilie, détruite, a eu une voix. Votre départ me remplit d’une respectueuse angoisse : « est-il possible qu’il y ait quelque chose à faire – je me dis – si Camus a senti qu’il ne pouvait plus continuer ? ». Éditions Gallimard, Collection Blanche, 240 p., 22€. Corinne Amar.
REVUES
Les Moments Littéraires n° 42. Depuis 20 ans, la revue Les Moments littéraires s’est donné pour objectif de promouvoir l’écrit intime en publiant récits autobiographiques, journaux intimes et correspondances ...
Le dossier Claudie Hunzinger
Claudie Hunzinger, artiste plasticienne et romancière, habite en montagne. Elle n’en bouge pas beaucoup, faisant de l’immobilité un concept d’aventure. Elle dit qu’on peut explorer le monde sur place, déchiffrer un minuscule territoire et que celui-ci devient alors un champ de découvertes, d’expérimentations et de rêve aussi passionnant qu’un continent inconnu.
Claudie Hunzinger va ainsi d’expositions sur le thème du végétal où elle présente des Pages d’herbe géantes, à des romans liés à la nature, comme Les grands cerfs, son dernier livre.
Pierre Schoentjes, L’architecture des branches : Claudie Hunzinger, de la vie verte aux grands cerfs
Entretien avec Claudie Hunzinger
Claudie Hunzinger, Office des morts et des vivants
Béatrice Commengé, Utopie
Yoshiko Watanabe, Écrivez !
Emma Pitoizet, Cahier des enfants
Également au sommaire du n°42
Isabelle Mège : entretien & photographies
De 20 à 42 ans, Isabelle Mège a contacté des photographes de renom en leur proposant d’être leur modèle. 80 photographes ont accepté sa proposition. Au final, 300 clichés composent une œuvre singulière que nous vous proposons de découvrir au travers des photographies de Jean-François Bauret, Edouard Boubat, Christian Courrèges, Despatin et Gobeli, Seymour Jacobs, Willy Ronis, Christian Vogt et Joel-Peter Witkin.
Stéphane Lambert : Le vrai héros s’amuse seul
La question de l’intime est au cœur du cycle autobiographique (Mes morts, Mon corps mis à nu) de Stéphane Lambert, romancier, poète et essayiste. Visions de Goya ; L’Éclat dans le désastre vient de paraître chez Arléa. Nous publions un extrait de ses carnets.
Jean-Pierre Georges : Pauvre H.
Jean-Pierre Georges, poète et écrivain, est l’auteur de recueils de notes et aphorismes : Le Moi chronique (Les Carnets du Dessert de Lune 2003-2014) ; L’éphémère dure toujours (Tarabuste, 2010). Il nous propose des pages inédites de ses carnets.
(Présentation de l'éditeur)