La guerre de Sécession fit rage aux États-Unis de 1861 à 1865. Ce fut un conflit d’une ampleur considérable, marquant le passage des anciennes méthodes de combat aux techniques modernes de l’ère industrielle. Au cœur de ce conflit sanglant, un homme a consacré une partie significative de sa vie à soulager la douleur et à apporter un peu de réconfort aux soldats blessés. Ce personnage emblématique, c’est le poète et humaniste Walt Whitman. Son témoignage, dans l’ouvrage Tant que durera la guerre, laisse une empreinte indélébile sur la manière dont la guerre et la souffrance humaine peuvent être vues.
La guerre dont il est question dans cet ouvrage découle de la sécession de sept états du Sud en 1861, formant les États confédérés d’Amérique, avec Jefferson Davis comme président. L’attaque de Fort Sumter a marqué le début de cette guerre fratricide entre le Nord et le Sud. Ce sont deux visions de la société qui s’opposent. Il s’agit également de la première guerre « moderne » de l’ère industrielle, caractérisée par des innovations logistiques et des armes nouvelles. La guerre de Sécession, cinquante ans avant Verdun, préfigure les guerres mondiales du XXe siècle. Elle est considérée comme une expérience inédite de mort de masse, avec plus de 600 000 morts, 400 000 blessés, amputés, gueules cassées, vies brisées. Le contexte des écrits réunis ici est savamment exposé par Thierry Gillyboeuf.
La préface de Tant que durera la guerre est cruciale. Elle replace les lettres et les articles de Whitman dans leur contexte temporel, biographique et poétique. La simplicité et l’amour qui imprègnent les écrits de Whitman ont certainement frappés les lecteurs des journaux où sont parus ses chroniques. Malgré l’horreur de la guerre et la souffrance des corps, sa poésie est imprégnée de sensualité et de tendresse pour les soldats blessés. Il en sort une perspective inhabituelle, profondément humaine et non partisane.
Walt Whitman, âgé de 42 ans au début de la guerre, était trop vieux pour s’enrôler. Mais son cœur compatissant l’a poussé à agir. Il menait une vie bohème, était très attaché à sa mère et à ses huit frères et sœurs. Il s’est précipité au chevet des malades. C’est parfois auprès d’eux qu’ils rédigent les lettres qu’il adresse à sa mère et les articles qu’il envoie aux journaux. Ces textes forment le cœur du présent ouvrage.
En 1862, Walt Whitman a entrepris la recherche de son frère, porté disparu au combat. Cette quête l’a conduit à découvrir les conditions insoutenables des hôpitaux militaires. L’expérience l’a bouleversé et incité à s’engager activement dans l’aide aux blessés et aux mourants. Pendant trois ans, il a mis sa vie entre parenthèses pour se consacrer à cette mission humanitaire.
Peu importait le camp ou la couleur de peau des soldats. Whitman apportait amitié, écoute et réconfort à tous ceux qui en avaient besoin. Il écrivait des lettres, tenait des carnets de guerre pour se libérer, témoignait dans des articles, et il se confiait à sa mère dans des lettres. L’ensemble de ces sources forme un document intime, littéraire et historique unique.
Whitman mettait en avant l’importance du « magnétisme humain » comme agent médical. Pour de nombreux soldats, l’affection, les caresses et l’énergie magnétique de la sympathie et de l’amitié faisaient plus de bien que tous les médicaments du monde. Ses interactions avec les blessés et malades transcendaient les frontières des États, des camps et des préjugés, soulignant la dimension universelle de la compassion.
Un aspect essentiel de son engagement était l’aide pratique qu’il offrait aux soldats alités. Chaque jour, il leur apportait de petites choses : des friandises, de l’argent, du tabac (bien qu’il ne les incite pas à fumer, dit-il à sa mère), de la nourriture spéciale (de la confiture, par exemple) ou des objets divers. Ces gestes, en apparence anodins, avaient un impact considérable sur le moral des soldats. La distribution de papier à lettres, d’enveloppes, de plumes et de crayons était également d’une grande importance car elle permettait aux blessés de rester en contact avec leur famille.
L’un des éléments les plus touchant est la façon dont Walt Whitman tisse des liens personnels avec les soldats. Ils sont nombreux mais il s’efforce de mieux connaître chaque cas individuel, porte une attention spéciale à ceux qui sont gravement blessés, aux mourants. Il lit des extraits de la Bible à celui qui le lui demande. Si le poète n’est pas vraiment croyant, il comprend le soldat agonisant pour qui le texte des Évangélistes est le « principal recours ».
La fibre compassionnelle de Walt Whitman dépassait le simple don matériel. Il se tenait à côté des lits, offrant de la nourriture, discutant, apportant son attention phénoménale et de l’affection, contribuant ainsi à guérir non seulement les corps mais aussi les âmes meurtries. Sa présence chaleureuse et imposante, dans l’austérité militaire, était un rappel constant de l’humanité au cœur de cette guerre terrible.
Walt Whitman était fasciné par la force du peuple américain, par sa majesté et sa réalité. Cette guerre lui a révélé une Amérique authentique, une nation qui se tient dans l’adversité avec un courage et une dignité remarquable.
Dans certaines lettres, Walt a décrit son apparence physique. Il se vante de sa stature imposante, de son visage écarlate, de sa barbe. Cette image forte était essentielle pour les soldats. Dans un monde où l’uniforme militaire était dominant, Walt Whitman apparaissait comme un bison sauvage, rappelant à ces jeunes hommes le caractère brut, naturel et non façonné des régions occidentales et nordiques.
Quand il donne des nouvelles de lui-même à sa mère, ce n’est pas pour se plaindre de ses conditions de vie, au contraire. Ce sont surtout les rigueurs du climat qui lui sont difficiles. Quand il se trouve à Washington, il doit supporter la canicule pendant plusieurs semaines. Il exprime sa gratitude pour un manteau gris léger envoyé par sa mère. Ce manteau lui a apporté un réel réconfort sous la chaleur intense. Pour se protéger du soleil, il se promène avec une ombrelle.
Au fur et à mesure de cette mission humanitaire, Walt Whitman a pris conscience de l’amitié dans le processus de guérison. La médication de l’affection quotidienne, bien que non conventionnelle, a eu un effet positif sur de nombreux soldats. Il est devenu le gardien, le confident et l’ami de ces jeunes Américains blessés.
Son carnet de notes est devenu un instrument essentiel du Walt Whitman missionnaire hospitalier, c’est ainsi qu’il se définit. Il y notait les besoins particuliers de chaque patient, des friandises aux lectures ; on lui demandait des romans. Il fournissait aux malades tout ce qui leur manquait. Là encore, Whitman le répète dans ses lettres et dans ses articles, faisant preuve d’empathie, il comprend l’importance de ces petites attentions sur le moral des soldats.
L’une des lettres de Walt à sa mère relate le cas d’un pauvre petit gars, mort sans laisser d’identité. « Il n’y avait rien sur ses habits, ni personne avec lui pour l’identifier. Il va rester totalement inconnu. » Cette histoire souligne l’effet dévastateur de la guerre sur de nombreuses vies. Les morts non identifiés sont ensevelis et leurs familles restent dans l’ignorance de leur décès. Le témoignage de Walt Whitman dévoile les réalités brutales de la guerre, certes, mais il met en évidence aussi la lumière des sentiments, l’humanité qui peut briller même dans les pires circonstances.