Peintre, décorateur, illustrateur, céramiste, Mathurin Méheut, dans cet ouvrage, est surtout un dessinateur au trait et à la palette économes. Il représente principalement la Bretagne dont il est le peintre le plus populaire bien qu’il n’y ait presque pas résidé. Il est né à Lamballe, ville des côtes-d’Armor, en 1882. Il s’est installé définitivement à Paris en 1902. Mais il retournera tous les étés en Bretagne pour développer sa documentation. Les dessins ornant les lettres qui font l’objet du présent ouvrage proposent des sortes de relevés ethnologiques. On y voit, en effet, une population, ses activités, ses outils, ses rites, ses costumes. Il s’agit de la Bretagne mais aussi du Japon qu’il a visité en 1914, grâce à la bourse « Autour du monde » financée par la fondation Albert Kahn. Sa correspondance avec Yvonne Jean-Haffen commencera après ce voyage stylistiquement décisif dont elle porte la trace. Cette manière économe de représenter des scènes quotidiennes et sacrées vise à souligner un art de vivre. A l’instar des peintres, ou même des écrivains japonais, il montre l’essentiel avec un minimum de moyens.
Il envoie ses lettres illustrées à Yvonne Jean-Haffen qui est elle-même artiste peintre, dessinatrice, graveuse et céramiste. Ils ont à peu près le même âge, se sont connus en 1925. Elle est devenue son élève puis cette relation a évolué vers une amitié attentive. Ils ont aussi travaillé ensemble, notamment à la décoration d’un paquebot. C’est Mathurin Méheut qui a fait découvrir la Bretagne à Yvonne Jean-Haffen et c’est d’ailleurs de ce pays de terre et mer qu’il l’entretient, du moins visuellement, dans ses lettres. Elle finira par s’y installer. Mais avant cela, elle s’est souvent rendu en Bretagne avec son mari pour peindre sur le motif.
La correspondance d’Yvonne Jean-Haffen et Mathurin Méheut durera jusqu’en 1954, quatre ans avant la mort du peintre. C’est une longue correspondance, donc. Dans cet ouvrage, on n’en voit qu’un versant. Les réponses aux envois de Mathurin Méheut ne sont pas reproduites ici. Toutes les lettres sont ornées de croquis. Les dessins occupent plus de place que l’écriture. Du reste, l’agencement des deux modes d’expression donne à l’ensemble son caractère. Les peintures, par leur éclat, déplacent le texte en arrière-plan. La matière principale de cette relation épistolaire c’est l’image. Malgré leur rapidité d’exécution ces dessins sont des œuvres à part entière. On perçoit au premier coup d’œil le double intérêt de ces lettres, il est autant documentaire qu’artistique. Quant au texte, même s’il se retire face aux dessins, il nous renseigne sur la vie de l’artiste et sa manière de travailler. Certaines des lettres comportent des parties écrites aux côtés de dessins et d’autres, non. Mais le dessin ne sert jamais à l’illustration de ce qu’expose la lettre. La plupart du temps, le rapport entre l’image et le mot est inexistant. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de cartes postales, ces courriers de Mathurin Méheut s’y apparentent dans le principe de dissociation de l’image et du texte. L’aquarelle n’est pas commentée, le dessin est autonome par rapport au discours de la lettre.
Envoyées du lieu de vacances, elles sont l’occasion pour Mathurin Méheut de donner des nouvelles à son amie mais aussi de lui faire part de ses découvertes : activités portuaires, cérémonies religieuses, notamment. On voit aussi des scènes de rues, des adieux sur un quai de gare qui, ont capté son attention. Banales, peut-être, mais il sait en transmettre l’originalité. Par exemple, le transport des vaches sur un bateau ou bien les vaches nageant auprès de la barque. Il a sans doute à cœur d’amuser Yvonne. Il lui épargne les dessins austères qui accompagnent ses enquêtes sur le travail des artisans. Ici, dans ces lettres ornées, les sujets portent sur la vie collective en majeure partie, qu’elle soit quotidienne ou, au contraire, sacralisée. Les figures apparaissent presque toujours de dos, croquées à leur insu, rapidement. Les thèmes ne sont pas d’une grande diversité. On en retrouve un nombre restreint au fil des lettres, qui sont parfois de grandes cartes postales. Ainsi, en 1927, se remémorant le Japon, il adresse à sa correspondante une page utilisée dans sa longueur où il loge une image encadrée par des mots. Cette disposition manifeste clairement la primauté du dessin sur le texte qui vient remplir les espaces blancs. Cette lettre fait partie d’une série japonaise qu’il exécute en 1927, soit treize ans après son voyage au Japon. L’été 1927, Mathurin Méheut, une jambe dans le plâtre se trouve immobilisé dans l’atelier. Il s’empare de quelques croquis réalisés au Japon et conservés dans un meuble. C’est donc un tiroir et ses souvenirs qu’il va explorer cet été-là plutôt que la Bretagne comme il en a l’habitude. Avec la même fluidité qu’il représente sur l’île d’Ouessant les vaches nageant près d’une barque, l’artiste saisit la biche et son faon dans un paysage japonais. Affrontant la marée montante sur l’île sacrée de Myajama, ces animaux regagnent la forêt. Le crépuscule, autant que le déplacement obstiné des biches, sont montrés avec une superbe économie qui renforce la tension du moment. Efficacement, la lumière décroissante sur l’eau est réduite au blanc du papier.
Mathurin Méheut ne tient pas seulement à faire découvrir la Bretagne à Yvonne Jean-Haffen, son ambition est de la lui faire aimer. Lui-même est très attaché à la Basse-Bretagne qu’il a parcourue depuis le Léon jusqu’au pays bigouden. Il y revient très souvent et noue à Quimper des relations de travail avec les faïenciers Henriot tandis qu’il a des amis parmi les pêcheurs de Douarnenez. Yvonne s’y rend pour la première fois en 1927 et fait connaissance alors avec le Finistère. Mathurin Méheut est soucieux du jugement qu’elle portera sur sa province. Va-t-elle l’aimer ?, se demande-t-il dans les lettres. Est-ce pour l’influencer, pour stimuler son regard, qu’il orne ses courriers d’aquarelles, de dessins tout aussi précis qu’enchanteurs ? Et parfois amusants. Ainsi ces croquis où cohabitent des styles vestimentaires très contrastés. Femmes en longues robes noires et capes de deuil à côté d’autres femmes, plus jeunes, en socquettes, tennis et jupes courtes. Cheveux au vent, ces dernières quand les autres portent une coiffe. L’artiste rend compte de la Bretagne traditionnelle, de ses métiers, de ses cérémonies, notamment des pardons, mais aussi de l’évolution des mœurs. Il la traduit dans des dessins qui montrent l’étrange contemporanéité, au pays bigouden, de femmes aux coiffes de plus en plus hautes et, à l’inverse, de celles qui portent des jupes courtes. Cette juxtaposition des différentes tenues et de postures corporelles contrastées souligne l’originalité vestimentaire qui perdure en Bretagne à cette époque où il l’arpente. C’est même cela qu’il capte, cette modernité sur fond de tradition en lien, peut-être, avec ce qu’il a observé au Japon qui, justement, lui revient à l’esprit un été en Bretagne.
Lettres de Mathurin Méheut à Yvonne Jean-Haffen
« Je vous le dessine par La Poste »
Éditions Ouest France, 15 septembre 2018
Avec le soutien de la Fondation La Poste