FloriLettres

Laura Vazquez, La Semaine perpétuelle. Par Corinne Amar

édition décembre 2021

Articles critiques

Il y a de drôles de façons de communiquer dans La Semaine perpétuelle de Laura Vazquez, tant les personnages de ce roman où la langue virevolte évoluent dans leur vie à part du monde : leur vie foisonnant d’images et d’histoires pêchées sur Internet, imbriquées les unes dans les autres tel un puzzle, et reliées par un fil comme une tête sur un corps, prenant le risque à chaque fois de tomber, de se casser, de rebondir, d’assourdir ou de se faire entendre. « Une tête ne tombe pas ne peut pas tomber. Elle est reliée par un fil qui descend jusqu’en bas de la personne, et si la tête tombe, le reste tombe. Il ne faut pas casser notre tête, mais on peut casser nos membres. (...) des mains qui tombent, il resterait les bras. Mais pas la tête. La tête ne tombe pas. » Ainsi commence La semaine perpétuelle, sans autre préambule, et c’est l’histoire d’une famille et de ce qui va avec cette famille – objets, amis, névroses, manques, non communication, outils de communication. Il y a le père, un ancien maçon, qui « rêve d’une éponge qui lave le passé », obsédé de propreté et bourré d’éponges dans ses poches – éponger, nettoyer, gommer les traces de ce passé qu’il voudrait abolir ; c’est l’histoire du père qui, un jour « s’est mis à enlever la poussière dans les coins, sous les caches, dans les interrupteurs. Il utilisait de la pâte à fixe pour attraper la poussière dans les creux. Il achetait beaucoup de pâte à fixe. Écoute-moi, si on ne frotte pas la table, elle devient dégoûtante. Tu m’écoutes ? Qui voudrait une table dégoûtante ? Personne. » Alors, il n’est plus présent qu’à cela, nettoyer, traquer la poussière, et puis, envoyer des conseils par mail à ses enfants. « Le père cherchait des dictons sur Internet, des proverbes. Il les copiait et il les arrangeait, il les donnait à ses enfants pour qu’ils comprennent la vie. - Sara, Salim, écoutez bien, leur écrivait-il, vous devez savoir 10 choses, écoutez jusqu’au bout.» Il énumérait ainsi ce qu’il avait glané sur Dieu, sur la vie, les miracles : des aphorismes, des évidences, du bon sens ou des lieux communs. Dans la famille étrange, il y a le fils, Salim. Salim a renoncé au monde, être cloîtré, ça lui plaît, tout comme être happé par YouTube. Il se souvient qu’à l’école, enfant, il aimait faire rire, alors il cherche sur Google des vidéos sur la manière de faire rire – rire et faire rire les autres, ça aide, quand on est seul et qu’on n’a pas d’amis. La passion de Salim ? Poster des vidéos sur Internet et écrire des poèmes. Dans la famille étrange, il y a aussi la sœur, Sara, qui chante en streaming, a des millions d’abonnés et met en scène les souvenirs de sa petite vie. La mère est partie, il n’y a plus de mère. C’est du passé. N’en parlons plus, leur signifie le père. Dans cette famille, il y a aussi l’ami (de Salim), Jonathan, dont la mère est morte, qui faisait des ménages et nettoyait les fast-food avant l’ouverture, amoureuse folle d’un chanteur qu’elle voyait sur son grand écran la nuit, et qu’elle adorait comme s’il était de la famille, tapissant l’appartement – du frigidaire aux radiateurs, en passant par les paquets de purée ou les peaux de bananes – de sa photographie qu’elle imprimait et collait jusque dans le dos de son fils, quand il partait pour le lycée ; Jonathan, plus âgé que Salim, plus perdu encore, qui vit comme il peut et passe son temps sur son téléphone portable. Aucun d’eux ne supporte la réalité et tous s’inventent un espace habitable – Internet, Instagram, autant de refuges intérieur extérieur d’un monde sans limites saisi par la médiation des écrans – vaste territoire et terrain d’investigation de l’auteure.
C’est l’histoire de ces personnages qui, d’une certaine façon, ont renoncé au monde et renoncé à jouer le jeu du monde, mais qui en jouent un autre, chacun cloué à ses obsessions aux formes dérangeantes. Invitée à France-Culture pour parler de son roman (1er juin 2021), dans l’émission Par les temps qui courent, Laura Vazquez évoquait son rapport à la langue, à une nouvelle forme d’énonciation, son lien à ses personnages. « Au-delà des personnages, j’ai l’impression que c’est toute l’écriture qui s’impose. Au début de chaque livre, il y a une forme de renoncement, d’échec. On a perdu d’avance, et on est au service de quelque chose qu’on ne comprend pas, et qu’on ne va pas comprendre, ni pouvoir éclaircir. Alors, des personnages apparaissent, mais ils ne ressemblent pas à ce qu’on pouvait imaginer au départ. » Les pratiques numériques, la culture web participent de son inspiration romanesque. Les interviews d’elle nous apprennent qu’elle est née en 1986 à Perpignan, d’origine andalouse des deux côtés, qu’elle a de lointaines racines cubaines et marocaines, qu’à vingt ans, elle partait vivre en Espagne et publiait ses premiers textes en revue, avant de revenir s’installer dans le sud de la France, à Marseille où elle vit, qu’elle se consacre désormais à l’écriture de poèmes et de romans. La Semaine perpétuelle est son premier roman.