C’est un livre où deux figures sont imbriquées : Zola et Dreyfus. Le musée Dreyfus se trouve dans la maison de Zola. Nous parcourons ici un double catalogue. Sans pouvoir rendre compte totalement de cet ouvrage, tant il est riche, nous cheminerons et en donnerons un aperçu. Plus on avance dans le livre consacré à la Maison Zola-Musée Dreyfus plus se dessine l’importance de cette demeure et l’histoire qu’elle renferme. Foisonnant d’illustrations, il offre une plongée captivante dans les vies croisées d’Émile Zola et d’Alfred Dreyfus, deux personnages dont le destin s’est lié en 1898 à la publication de « J’accuse… ! ».
Le livre explore notamment les raisons profondes qui ont poussé Zola à abandonner sa neutralité politique pour défendre publiquement Dreyfus. Comment l’affaire Dreyfus est devenue l’affaire Zola, comment Zola s’est engagé, ô combien, pour Dreyfus. Alors que sollicité en 1894 pour soutenir, par une simple signature l’anarchiste Jean Grave, arrêté pour délit d’opinion, l’auteur de Germinal a refusé ainsi : « Je ne fais pas de politique, moi ! » Qu’est-ce qui a poussé Zola à s’exprimer publiquement en faveur de Dreyfus ? Ceci est étudié dans la seconde partie de l’ouvrage.
La première partie rend hommage, d’une certaine façon, au travail collectif entrepris il y a plus de 20 ans pour restaurer la maison de Zola à Médan. Elle était alors en très mauvais état. En plus de la rénovation, on l’a augmenté d’un bâtiment adjacent. C’est là qu’on a créé le musée Dreyfus, unique au monde. Ce lieu de mémoire entend contrer le travail de sape du temps. Pierre Bergé, un des acteurs de ce projet, le rend indispensable au nom d’une « vigilance contre l’oubli ». Le musée répond à la volonté de maintenir l’affaire Dreyfus comme repère dans l’histoire de notre République et continuer d’impressionner notre histoire. Il a symboliquement pris place dans la maison de Zola dont le livre raconte l’acquisition, le développement et l’usage.
Au soir du 28 mai 1878, Émile Zola, grâce aux droits d’auteur de L’Assommoir, réalise son rêve d’acquérir une maison. Après des années de misère, à l’âge de trente-huit ans, il parvient à acheter à Médan – tout petit village situé le long de la Seine entre Poissy et Triel – une maison cachée dans un nid de verdure ; une « cabane à lapins », selon ses mots. Cet endroit devient un sanctuaire où la littérature se transforme en pierre. La maison et l’écriture ont un lien consubstantiel, les romans transforment littéralement le lieu. En effet, la maison à peine achetée, les Zola se lancent dans les travaux. Les droits d’auteur de Nana permettent à l’écrivain d’édifier une tour rectangulaire dénommée « la tour Nana » qui abritera son cabinet de travail. Huit mois par an, c’est là que chaque matin de 9 heures à 13 heures, Zola rédige ses romans à partir des notes et des plans précis qu’il a rassemblés. Il écrit cinq pages quotidiennement. Le grondement du train qui passe sous ses fenêtres « ne l’incommode d’aucune façon ».
Zola façonne son univers avec une minutie artistique. La maison devient le berceau du groupe de Médan, réunissant des écrivains tels que Maupassant et Huysmans. Zola invite à Médan ses jeunes amis écrivains. En 1880 paraît Les Soirées de Médan dont l’objectif est proclamé dans la préface : « Notre souci a été d’affirmer publiquement nos amitiés, en même temps nos tendances littéraires. »
Médan, lieu de convivialité et d’amitié, devient également le refuge de Zola et de son épouse Alexandrine. Dans cette maison, la nature et les animaux occupent une place privilégiée. Les photos intimes présentes dans le livre offrent un aperçu de la vie quotidienne de Zola, entouré de sa famille, de ses amis et de ses animaux. Notamment Pinpin, le chien avec lequel il pose ; ils sont couchés dans l’herbe haute. À Médan, on vit en autarcie rurale. Zola a créé un potager et un verger. Grâce aux droits d’auteur de Pot-Bouille, l’écrivain a pu ajouter une ferme à ce qui devient peu à peu un domaine. Il peut ainsi donner vie à son rêve : s’entourer de tout un peuple d’animaux. Zola aime les animaux, il aime leur vérité brute. Ce sont pour lui des sortes d’amis qui ne trahissent jamais.
La restauration minutieuse de la maison, fidèle à l’atmosphère d’époque, permet aux visiteurs de plonger dans l’intimité de l’écrivain, de ressentir l’esprit des lieux. La maison devient ainsi un lieu de mémoire, préservant l’héritage de Zola et célébrant la force de l’amitié et de la créativité. C’est ce qui a marqué cet endroit lorsque Zola en était l’hôte. Sa veuve en a fait don à l’Assistance publique en spécifiant dans l’acte l’obligation de dédier une pièce à la mémoire de l’écrivain créateur de cette maison, quelle que soit l’institution qu’elle y abriterait à l’avenir. Elle fut un temps une pouponnière. De nos jours s’y trouve le musée Dreyfus, en cohérence avec l’auteur du célèbre « J’accuse… ! » où Zola, dans une lettre adressée au président Felix Faure, dénonce les fausses accusations et la manipulation des preuves contre Dreyfus.
Le musée Dreyfus, intégré à la maison de Zola, souligne l’indissociabilité des deux noms. Le livre explore la personnalité complexe d’Alfred Dreyfus, injustement accusé, persécuté mais absolument résistant. Des caricatures antisémites de l’époque, reproduites dans l’ouvrage, témoignent de l’ignominie subie par Dreyfus. L’ouvrage est richement illustré de photos prises par Zola lui-même, dans la première partie ; il pratiquait la photo en amateur. Il faut également souligner l’importance accordée dans l’ouvrage aux caricatures antisémites circulant à l’époque. Cet aspect iconographique montre comment l’image a été utilisée pour influencer l’opinion publique pendant l’Affaire Dreyfus. L’implication d’artistes célèbres, tels que Monet et Degas, dans le débat sur Dreyfus est également évoquée, mettant en lumière le rôle de l’art visuel dans cette affaire.
L’Affaire Dreyfus, présentée comme un événement à la fois humain et historique, a marqué un tournant dans la société française. Les artistes de l’époque se sont engagés, certains contre la révision, d’autres pour Dreyfus, créant un dialogue visuel qui a perduré dans l’histoire de l’art. l’hebdomadaire illustré de Forain et Caran d’Ache, le Psst… ! antidreyfusard, a suscité la création du Sifflet, hebdomadaire satirique dreyfusard. À la caricature outrancière répond le dessin libre, dépouillé et stylisé. Cette esthétique est la marque de l’engagement dreyfusard. Les défenseurs de Dreyfus représentent la modernité esthétique aussi bien que politique. L’ouvrage donne un aperçu des documents visibles au musée Dreyfus dans la maison de Zola. À cela s’ajoute des textes très intéressants ; celui, notamment de Vincent Duclert, historien de l’affaire Dreyfus et des sociétés démocratiques. Le foisonnement d’illustrations permet de comprendre l’importance des images –déjà – pour influencer l’opinion publique. L’image a projeté l’affaire Dreyfus dans le monde social le plus large et elle a amplifié sa postérité jusqu’à nous.