Xavier Bazot est écrivain voyageur. Il a séjourné trois mois en Inde du sud grâce à la "Mission Stendhal" accordée par le ministère des affaires étrangères. De ce voyage est née une nouvelle Pluies de Mousson et une correspondance riche d'une cinquantaine de lettres adressées à son amie. Les Lettres d'Indes sont tirées de cette correspondance et nous offre un récit de voyage épistolaire. Par ailleurs, il a publié un roman aux éditions P.O.L. en 1990: Tableau de la Passion, et aux éditions Le serpent à Plumes un recueil de nouvelles: Chronique du cirque dans le désert en 1995, et deux autres romans: Un fraisier pour dimanche en 1996 et Stabat Mater en 1999. Chronique du cirque dans le désert lui a valu le Prix de la ville au festival de la nouvelle à Saint-Quentin et la possibilité de séjourner trois mois en Inde du Sud avec la "Mission Stendhal" accordée par le ministère des affaires étrangères.
Jeudi - Tirupati base pour aller à Tirumalai, haut lieu de pèlerinage, la coutume veut, ma petite amie, qu'on se fasse raser la tête, et qu'on offre sa chevelure au dieu, les rues sont pleines de gens à la tête rasée, pour les femmes on se croirait à la Libération, beaucoup de renonçants, jeunes, par groupes, qui regardent l'Ocidental avec sympathie.
Vendredi - Ce matin expédition à Tirumalai, bus littéralement pris d'assaut, les hommes passent par les fenêtres et gardent les places de la famille. J'ai réussi à être porté par une marée humaine, soulevé dans les airs à ma troisième tentative. Tombé à côté d'un gros garçon qui s'agenouillait presque dès que le bus passait devant un temple. Très belle campagne, montagnes verdoyantes, route en lacets (je me paie toujours des conducteurs de bus qui veulent doubler tout le monde) jusqu'à Tirumalai. C'est Lourdes. Des marchands par centaines, une véritable ville construite autour du temple. Je vois des cages, où les gens font la file. Je trouve une entrée adjacente, où le gardien me laisse passer. Je tombe dans un immense réfectoire (1000 places ?) qu'on est en train de desservir, de nettoyer. En fait c'est là qu'on sert le repas gratuit auquel ont droit les pèlerins. Je ressors. J'avais entendu parler de cages à propos du temple. On m'indique le chemin. Entrée du temple. Autres cages, celles-là plus sérieuses. Il y a une special entrance, 30 Rs, si on ne veut pas faire la queue. Ah ! Nouvelles cages, de luxe avec bancs. En payant 30 Rs on a droit au darsha, au regard du dieu. Pour l'instant ils ont surtout droit à la télévision, allumée en plusieurs endroits pour patienter. Deux heures d'attente. Non. Tant pis. Je ne verrai pas le temple, ni les chevelures coupées. J'explique. I have no time, laissez-moi sortir. Non seulement on me laisse sortir mais, cancel, on me rembourse ! Étonnant. Sans que je demande rien. Très corrects avec l'étranger qui a eu les yeux plus gros que le ventre.
L'avantage du commerce des cheveux, c'est que celles qui viennent de se les faire raser peuvent en racheter à la sortie. Les prêtres ne font rien avec les cheveux, sinon les revendre aux perruquiers. Cela équivaut donc à donner du fric aux prêtres. C'est une religion basée sur les indulgences, mais une religion où les prêtres ne font plus de fric n'est-elle pas moribonde ?
Ce matin, parti à pied de l'hôtel parce que je ne voulais pas appeler un taxi qui me demanderait 100 Rs. Ce n'était pas très malin car aucun rickshaw à l'horizon. J'ai marché sac sur les épaules, vraiment trop lourd, un garçon m'a rattrapé, que j'ai remis plus tard, il travaillait à l'hôtel, puis un autre garçon, à vélo, qui travaille lui aussi à l'hôtel, comme cuisinier, ils ont mis le sac sur le vélo et en avant, encore 5 ou 600 mètres avant le carrefour, où ils ont négocié pour moi le rickshaw. Ainsi j'ai eu raison de ne pas commander de taxi, il ne se serait rien passé. Je leur ai donné des cartes postales. Dans ce pays, l'étranger est pris en main. Il est porté par les Indiens ; Il faut se laisser faire.