FloriLettres

Interview de Philippe Wahl. Propos recueillis par Nathalie Jungerman

édition été 2025

Entretiens

Président-directeur général du Groupe La Poste depuis 2013. Président de la Fondation d'entreprise La Poste.


Depuis 2013, vous êtes le Président-directeur général du Groupe La Poste et le Président de la Fondation d’entreprise La Poste dont nous célébrons cette année les trente ans. Vous n’avez eu de cesse de soutenir les actions de mécénat de la Fondation, notamment par votre présence aux événements dont elle est partenaire, par votre enthousiasme quant à la création en 2015 de deux prix littéraires : le prix « Envoyé par La Poste » et le prix des Postières et Postiers écrivains… À votre avis, qu’apporte à l’entreprise une telle fondation ? Contribue-t-elle au lien social ?

Philippe Wahl : Tout d’abord, un lien profond unit cette fondation à l'identité de La Poste. En tant qu'entreprise symbolique du lien social, La Poste a assuré la transmission des lettres pendant des siècles, reposant sur les principes de l'écriture et de la lecture. Il est donc parfaitement logique que notre Fondation fasse de ces deux éléments les objets centraux de sa mission, en adéquation avec notre raison d'être. À travers les actions menées par la Fondation, sous la direction d'Anne-Marie Jean, nous aspirons à promouvoir l'écriture et à valoriser la lecture, une initiative que je résume par l’expression : « La Poste aime les lettres » ! Parallèlement aux actions engagées par la Fondation afin de soutenir toutes les formes d'écriture, nous avons également lancé, dès 2014, les Rencontres littéraires. Cet événement constitue un autre témoignage de notre amour pour la littérature et les lettres. Nous avons eu l'honneur d'accueillir de nombreux auteurs, permettant des échanges enrichissants autour de leurs œuvres. À l'instar des initiatives de la Fondation, ces rencontres visent à défendre et à célébrer l'écriture et la lecture.

L’écriture est en effet au cœur des actions que la Fondation soutient. Depuis vingt ans, elle aide de nombreuses associations engagées dans des projets solidaires, des ateliers d'écriture, notamment…

Philippe Wahl : Je crois qu’il y a deux actions fondamentales pour l’aide à l’écriture. D'une part, les initiatives territoriales, qui s'éloignent de la capitale et des grandes agglomérations ; d'autre part, les actions sociales, destinées à des publics qui sont exclus de l’écriture ou du moins qui risquent de l’être. Parce que les doter de la capacité d’écrire, de créer, c’est leur permettre de révéler leur potentiel, leur donner les armes, les outils pour vivre dans une société modernisée et surtout une société qui se numérise. 
Donc je crois que l’écriture reste quelque chose d’absolument essentiel, dans toutes les sociétés humaines. Les anthropologues diraient qu’elle constitue l’un des artéfacts les plus déterminants de ce qu’est l’humanité. C’est la capitalisation d’un savoir qui s’est accumulé au cours des âges – les jeunes en bénéficie par l'éducation – mais qui crée sans arrêt quelque chose de nouveau. En ce sens, l’écriture est un instrument de création et je pense que nous devons être fiers que la Fondation s’engage à la soutenir. 

Et depuis vingt-cinq ans, elle soutient l’écriture épistolaire, le métier historique de La Poste, en somme… Elle apporte son aide à l’édition d’ouvrages qui valorisent la lettre et aux correspondances littéraires…

P.W. : C’est une manière de rendre hommage à ce qu’était la lettre : support des sentiments, des visions, du lien humain. Ainsi, aider la publication d’ouvrages de correspondances me paraît tout à fait logique puisque cela s'inscrit parfaitement dans notre démarche et reflète notre identité. Aujourd'hui, la correspondance se caractérise par une forme souvent abrégée et une langue moins soutenue. Toutefois, elle demeure un échange de mots entre les êtres humains. 

Est-ce que vous lisez des Correspondances et quelles sont celles qui vous ont marqué ?
P.W. : La volumineuse correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès, (Gallimard, 2017) FloriLettres n°188, Albert Camus et Maria Casarès, Correspondance que j’ai lue, m’a beaucoup impressionné. Les lettres sont merveilleuses. J’ai beaucoup aimé également la Correspondance intégrale entre Sigmund Freud et Marie Bonaparte (Flammarion, 2022). C’est l’une des plus denses correspondances que Freud ait entretenues. Remy Amouroux, qui en a établi l’édition, a reçu le Prix Sévigné 2023. Prix que la Fondation soutient bien sûr, et qui couronne la publication d'une correspondance inédite.

D’où vient votre goût pour la littérature ? 

P.W. : Enfant, j’ai toujours beaucoup aimé lire, en particulier les romans de science-fiction et les récits de chevalerie. Cet amour pour les livres ne m'a jamais quitté. Mon épouse partage également cette passion, et nous échangeons fréquemment nos idées. Souvent, c’est elle qui me guide dans mes choix littéraires : elle lit un livre qu'elle apprécie et me le recommande ensuite. Lire m'apporte un immense plaisir ; c'est une activité que je trouve fantastique.
J’ai lu la plupart des ouvrages récompensés par le prix « Envoyé par La Poste ». La maladroite d'Alexandre Seurat (Le Rouergue), couronné lors de la première édition du prix en 2015, est un roman sombre, poignant et d’une grande intensité qui m’a vraiment touché. Des auteurs comme Anne Pauly ou Jean-Baptiste Andrea ont vu leur talent littéraire reconnu de manière encore plus marquante après avoir reçu ce prix, ce qui témoigne de la bonne appréciation du jury envers la qualité des textes. Les Enfants endormis d’Antony Passeron, (Éd. Globe, 2022) qui a reçu le prix Wepler-Fondation La Poste 2022, m’a beaucoup ému et intéressé aussi. Je l’ai très souvent offert. Ceci dit, j’adore offrir des livres ! J’ai un lien particulier avec la lecture qui, à mon sens, est donc un grand plaisir de la vie. 

Quels auteurs aimez-vous particulièrement, que ce soit dans la littérature classique ou contemporaine ? 

P.W. : J'aime beaucoup Dostoïevski, Balzac, pour ne citer qu’eux, et dans la littérature contemporaine, le romancier yougoslave Ivo Andrić (1892-1975), prix Nobel de littérature en 1961 avec Le Pont sur la Drina. Dans ce roman, le pont, monument de pierre construit au XVIe siècle, est le personnage principal, le témoin de trois siècles d’histoire. Il s’agit d’une réflexion profonde sur la nature humaine et le passage du temps. Aussi, l’œuvre de Mario Vargas Llosa me touche particulièrement. Par exemple, La Guerre de la fin du monde (Gallimard, 1983) est un livre magnifique. C’est une épopée christique du Conseiller à la tête d’une armée de gueux en révolte dans le Brésil de la fin du XIXe siècle. 
Parmi les auteurs que nous avons accueillis lors de nos Rencontres littéraires : Joseph Ponthus (1978-2021) pour son livre À la ligne, Annie Ernaux pour l’ensemble de son œuvre… J’ai trouvé que Florence Aubenas avait été incroyablement puissante, Constance Debré, très originale, et j’ai un biais amical favorable à François Sureau dont j’aime autant la littérature que l’éloquence. 

Quel message aimeriez-vous transmettre à l’équipe de la Fondation La Poste ? 

P.W. : Tout d’abord un message de gratitude pour son engagement et le succès des actions qu’elle instruit. Ensuite, je souhaite transmettre un message de confiance, car l’écriture et la lecture sont des causes sacrées, au service de l’humanité tout entière. Enfin, un message d’espoir ; continuons à défendre l'écriture comme une activité essentielle de la pensée humaine.