Monia Triki, responsable des partenariats et du mécénat au Théâtre National de la Colline.
Jacques Serena, auteur dramatique et romancier
Pier Lamandé, comédien et metteur en scène.
Sébastien Borghi, mécénat et partenariats - Théâtre de la Colline
Leurs mots à dire
« Un atelier d’écriture crée une atmosphère. Un curieux mélange. Un état d’urgence, une ambiance de remise en question, de prise de risque, de désir de se mettre en danger, en même temps qu’il rassure ».
Jacques Serena, Qu’est ce qui me prend ?
Depuis 1994, Jacques Serena, auteur dramatique et romancier, anime des ateliers d’écriture à l’université, au lycée, en maison d’arrêt, travaille avec des jeunes en difficulté, des chômeurs, des détenus, avec des personnes qui souhaitent se confronter à la parole des autres... Alain Françon, directeur du Théâtre National de la Colline, a fait appel à lui pour encadrer les séances du samedi matin où des femmes et des hommes d’origines et d’horizons divers, issus pour la plupart de différentes associations de l’Est Parisien, se sont réunis pour écrire ce qu’ils avaient à dire. Ces ateliers qui ont été organisés au sein d’un théâtre, d’un lieu de création, ont permis à chacun de formuler son désir, son aspiration ou sa révolte, de laisser s’exprimer son imaginaire et ses doutes.
Un livre édité par La Colline rassemble un choix de textes produits par les participants et une lecture publique, mise en espace par le comédien Pier Lamandé, a été donnée le 30 juin dernier. Dans le cadre de son action en faveur de l’« écriture pour tous », la Fondation La Poste a soutenu ce projet « solidaire » et artistique.
(Nathalie Jungerman, septembre 2009)
Monia Triki, en 2007, vous avez mis en place au Théâtre de la Colline des ateliers d’écriture. Comment vous est venue cette initiative ?
Monia Triki : Alain Françon qui est à la direction du Théâtre National de la Colline depuis trois ans souhaitait dynamiser les relations entre vie artistique et vie associative. Nous avons donc rencontré le public des associations de l’Est parisien pour imaginer ensemble un projet commun. Lors de nos discussions, c’est l’écriture qui s’est avérée être le sujet le plus fréquemment évoqué. Ainsi, nous avons envisagé de créer un atelier animé par un auteur. Alain Françon voulait un projet d’une grande qualité, réalisé avec exigence, et il a immédiatement pensé à Jacques Serena pour diriger les séances. Avec son savoir-faire, son talent - on peut être écrivain et ne pas pouvoir mener des ateliers d’écriture - Jacques Serena est le seul que je connaisse qui ne les réduise pas à une animation socioculturelle.
Afin de réaliser un travail sur la durée nous avons fait appel à des partenaires. Nous avons souhaité que des étudiants de Sciences-Po suivent le déroulement des ateliers en qualité d’observateurs et témoignent du processus d’organisation, rendent compte des faiblesses et des insuffisances, ou au contraire des points positifs.
Une étude a été menée par ce groupe d’étudiants...
M.T. : Oui, un rapport a été rédigé sur les enjeux d’une telle action, et cette expérience a permis aux étudiants de se familiariser à l’étude sociologique et à la gestion d’un projet culturel et social.
Est-ce que les participants viennent uniquement d’associations ?
M.T. : Non, pas seulement, mais c’est bien sûr, la priorité. Il s’agit donc d’associations d’aide à l’insertion, de centres hospitaliers, de centres sociaux et de missions locales de l’Est parisien... Pendant trois ans, l’atelier d’écriture a réuni des hommes et des femmes d’origines et d’horizons divers, notamment, des personnes provenant d’une association de femmes en cours d’alphabétisation nommée « Femmes relais », mais aussi un non-voyant, des lycéens qui ont eu envie de participer à cette aventure, des habitants du quartier...L’idée était de favoriser la valorisation personnelle et identitaire de chacun par l’expression de soi au sein d’un groupe et par le biais d’une activité créatrice.
Notre démarche consiste à procurer le goût, le désir d’écrire, l’envie de partager, et à faire entendre des textes par la voix de Jacques Serena.
Vous avez dit l’écriture rassemble...
M.T. : Oui, elle rassemble, crée du lien, sociabilise, désinhibe, permet de se reconnaître... Depuis, des éducateurs nous ont dit que ça se passait mieux avec les jeunes gens dont ils s’occupaient et des femmes en cours d’alphabétisation ont pu se présenter devant un employeur. Il y a également des prises de conscience, se dire tout simplement « pour moi aussi c’est possible ». Notre but était également d’inscrire le Théâtre dans son environnement.
Jacques Serena, vous aviez déjà animé des ateliers d’écriture...
Jacques Serena : Oui, un peu partout en France et dans différentes institutions. J’ai travaillé à la fois dans des universités où il s’agissait de casser les habitudes, mettre la langue en crise, et en maison d’arrêt où au contraire la langue était déjà en crise et où il fallait la construire... Je me suis aperçu que les ateliers d’écriture favorisaient l’accès des détenus à la littérature, remettaient en question l’idée qu’ils se faisaient d’une discipline inatteignable. C’est la seule fois d’ailleurs où j’ai lu une de mes pages. Bien sûr, quelqu’un a dit : « Attends, si c’est ça la littérature ! ». C’était un moyen de leur donner confiance, de leur montrer une manière de saisir la langue, de la revendiquer et de ne pas en avoir honte.
La façon dont les participants lisent et disent les choses charrie une autre échelle des valeurs. On s’en rend compte ensemble lors des ateliers qui sont un véritable échange. Dans les trois expériences que j’ai faites au Théâtre de la Colline, je me suis également réajusté. Au tout début, je mettais la barre très haut et je voyais les mâchoires tomber !
Comment se passe une matinée ? Parlez-nous de l’entrée en matière, du thème « déclencheur ».
J.S. : Le thème est toujours donné à partir d’un texte littéraire. Quand je lis, je guette la petite pointe de jalousie, le moment où je me dis, « cette idée-là, j’aurais voulu l’avoir et je serais aller plus loin ». Si c’est parfait, ce n’est pas très intéressant. Mais souvent, il y a une belle idée captive qui me donne envie de la retravailler à ma façon. Généralement, si ça a marché avec moi, ça marche avec les autres. Les extraits d’œuvres d’écrivains me servent donc de déclencheurs, tels les monologues de Dostoïevski, un poème de Rimbaud, une page de Hesse... J’arrive avec trois ou quatre thèmes et j’en choisis un au dernier moment après avoir parlé cinq minutes avec les uns et les autres. Se poser la question « Que vaut-il mieux faire ce matin ? » donne une liberté.
Qu’est-ce que vous avez observé au cours de ces ateliers ?
J.S. : Le plus flagrant, c’est la façon dont les participants se contrastent, s’affirment. Au début, leurs premiers textes vont un peu dans tous les sens, et au fur à mesure qu’ils commencent à comprendre ce qui se passe dans leur tête, leur écriture devient de plus en plus affirmée. C’est toujours de l’ordre de la revendication. Chacun trouve le fond autour duquel il peut tourner, quels que soient le thème et l’outil, la façon d’appréhender la syntaxe. Par exemple, il y a une oralité flagrante chez un des participants qui commence un texte par « Non, parce que... ». Au début, ils emploient spontanément des formules audacieuses. Dès qu’on le leur fait remarquer, ils commencent à les utiliser exprès, et là, on est déjà dans le style.
À chaque fin de séance, les participants montent sur scène chacun à leur tour pour lire leur texte à voix haute et je me souviens, la dernière fois que j’ai assisté aux ateliers, que vous releviez les « perles langagières »
J.S. : Oui, comment arriver à dire pour qu’on réentende. C’est là la richesse de cette mixité dans le groupe parce qu’il y a ceux qui manient correctement sujet - verbe - complément et apportent leur vocabulaire mais n’ont pas forcément grand chose à dire, et les autres qui livrent une audace langagière, une formulation inaccoutumée, une expression « juste assez mal dite » qui permet d’entendre différemment. Après chaque lecture, je souligne les points forts, fais part de mes doutes, pointe les faiblesses et les intuitions fertiles... Il s’agit de livrer une impression de lecteur qui n’engage en rien la liberté de l’auteur. Je n’arrête pas de prendre des notes dans mon carnet. Ce sont des moments d’échanges, les textes produits engendrent une communion.
Votre écriture est-elle influencée par ce que vous entendez ?
J.S. : Je ne crois pas, mais parfois je fais quelques vérifications. La réalité univoque, caricaturale, véhiculée par la télévision ne nuit pas à ma règle. Je suis obligé de m’affirmer contre et je vérifie dans les ateliers que leur réalité n’est pas celle qui est transmise. Je me suis aperçu que les notions de gagnant / perdant, utile / inutile sont tout à fait autres dans leurs textes. On retrouve toujours cette « minute de ravissement » qui fait partie de la vie d’un homme mais les participants revendiquent leur propre notion de la réalité. C’est aussi ça qui fait l’écriture. On ne peut pas l’empêcher de nous trahir, de nous montrer ce qu’on est vraiment, de nous amener à révéler ce qu’on pense, ce qui est important pour nous. Toute écriture permet d’affiner sa pensée, de se découvrir et de revendiquer sa particularité.
Quels sont les thèmes que vous avez abordés ? Il y a eu notamment les couleurs avec Rimbaud, l’autoportrait, le rêve...
J.S. : Le tout premier thème faisait référence à Histoires vraies de Sophie Calle. En lisant ces textes, il est difficile de se dire que ce qui est écrit est inventé. Or, Sophie Calle a annoncé dans toutes les radios qu’elle avait imaginé une histoire sur deux. J’ai donc repris le livre avec d’autant plus d’intérêt que l’auteur a eu ce besoin de raconter des histoires sans un souci de véracité. Les textes inventés sont donc encore plus vrais ! C’est une vérité qui ne tient pas aux contingences, aux faits, mais qui est de l’ordre du désir, du fantasme ou de la crainte, et là, on est en pleine littérature. J’ai alors demandé aux participants d’écrire trois histoires dont une « inventée ».
Je tiens beaucoup à ce thème car on met le doigt sur un des véritables enjeux de la littérature. Le vrai n’est jamais en rapport avec quelque chose qui se passe dans la vie. La seule vérité du texte est à l’intérieur du texte même.
Ensuite, on a joué avec l’épuisement en partant de l’écriture de Becket qui se délite et dont la forme épouse le fond. On a essayé par exemple de nommer l’innommable d’une musique, « elle me plait ou non... / mais encore... / qu’est-ce qu’elle est ? / comment elle bouge ? / dans quel lieu ? »... C’est impossible à dire, mais on va essayer. Ce sont des expériences qui ont un mot d’ordre : « mais encore ! » On peut toujours aller plus loin. Il y a eu également le thème du rêve tiré d’un passage du Loup des Steppes de Hermann Hesse. Le personnage principal est invité à ouvrir sept portes qui présentent chacune sept instantanés de sa vie, il ne doit pas entrer, seulement regarder. J’ai proposé aux participants de se demander ce qu’il y a derrière ces portes, quels sont les sept moments qui les ont marqués. Écrire les oblige à prendre conscience de ces instants.
J’ai proposé un autre thème sur l’idée « d’une dernière fois » à partir de trois textes. Un texte de l’écrivain Philippe Jeanada qui s’invente l’histoire d’un incendie. Il se dit que c’est fini, qu’il va disparaître et écrit une liste très précise des choses qu’il aimerait faire une dernière fois. Puis, un monologue de Serge Valletti extrait de Marie à Minuit où le personnage se voit vieillir et pense « encore une dernière fois que quelqu’un me dit tu as de belles mains, que quelqu’un me regarde longtemps ». Enfin, une chanson de Brel, J’arrive : « Mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé /Encore une fois voir si le fleuve/Est encore fleuve voir si le port/Est encore port m’y voir encore... »
J’ai eu de très beaux résultats avec ce thème...
N’y a-t-il pas de résistance ?
J.S. : Non, il n’y en a pas car il y a un bon prétexte. Dans les ateliers, on joue avec la contrainte de temps et de thème, avec l’urgence d’écrire un texte puisqu’il faudra le faire entendre aux autres et le publier.
Vous disiez tout à l’heure, « devenir le lecteur de son propre texte »...
J.S. : En effet, et ce fut d’ailleurs le sujet d’un vif débat avec François Bon. Nous avions commencé avec le poète Hervé Piékarski un atelier à Montpellier initié par François Bon. C’était mon premier atelier d’écriture, une nouvelle expérience où il fallait tout inventer. Ça s’est passé en 1994, lors de mon troisième roman. Une des grandes questions sur lesquelles nous nous interrogions était la suivante : « Est-ce qu’on va demander aux « écrivants » de lire le texte sitôt produit ? » En ce qui nous concernait, jamais nous n’aurions pu envisager de montrer notre premier jet. Etait-il possible de leur demander ce que nous ne ferions pas ? Par déontologie, François disait que ce n’était pas concevable et qu’il fallait leur laisser du temps. Cependant, dans la pratique, l’atelier fonctionne ainsi : la découverte de l’un devient l’envie de lire de l’autre. Il a fallu trancher, et pendant un bon moment, avec d’excellentes raisons, François ne faisait pas lire à haute voix, tandis que moi, je persévérais à proposer aux participants de lire leur texte.
Puis vous vous êtes séparés ?
J.S. : Nous nous sommes séparés pour une tout autre raison. Nous en rions maintenant, mais à l’époque, c’était très sérieux. J’ai toujours affirmé que mon écriture me trahissait, me conduisait à des choses que je ne voulais pas dire. Quand je propose un thème, je pense que les participants vont comme moi parler d’autre chose et revenir à ce qui les préoccupe. François me disait que mon approche était trop psy, ce n’était pas faux d’ailleurs. Or, selon lui, chaque individu était une voix de sa conscience sociale. Pour la petite histoire, la femme du kinésithérapeute participait à cet atelier de Montpellier qui réunissait des gens défavorisés et François pensait qu’elle n’avait rien à faire là ! Bien sûr, nous en avons reparlé plus tard, car je me suis retrouvé évidemment à faire du social et lui du psy. Il lui arrivait de m’appeler à 2 heures du matin, inquiet de ne pas réussir à aimer une des personnes du groupe, ce qui lui posait un véritable problème car François est réellement bon ! Notre débat était un faux débat.
Une autre question avait soulevé la discussion. Pour le poète Hervé Piékarski, la littérature devait permettre de s’envoler, de décoller de la réalité. Il nous accusait avec véhémence de travailler sur le vécu, sur des choses méprisables. Ma position était toujours la même, qui est encore celle d’aujourd’hui. En ce sens, dès qu’on croit être dans l’aveu, on est déjà dans l’arrangement, et quand on passe dans l’invention, on se trahit d’autant plus. Dans mon expérience, c’est ce qui se passe. Chaque fois que je crois inventer quelque chose, il y a toujours quelqu’un pour me dire que je n’aurais pas dû parler de tel ou tel événement... Je ne crois pas à l’invention en écriture et je crois encore moins à l’autofiction et à toutes ces salades de soi-disant aveux. Il y a certainement une base, mais il y a toujours un arrangement...
Monia, est-ce que le Théâtre de la Colline envisage de continuer les ateliers ?
M.T. : L’expérience des ateliers se termine le 30 juin (2009), c’est aussi la dernière saison d’Alain Françon. Avec le nouveau directeur, Stéphane Braunschweig, nous allons envisager un autre projet, mais il est encore trop tôt pour en parler. Ce qui est sûr c’est que les ateliers d’écriture tels qu’ils ont été imaginés ne seront plus d’actualité.
À l’issue de ces ateliers, un livre sera publié...
M.T. : Nous avons souhaité que la parution du livre coïncide avec la lecture finale du 30 juin. Ce recueil qui rassemble des textes sélectionnés par Jacques Serena restitue le travail réalisé au cours des ateliers, et donne à entendre cette prise de parole.
Est-ce que le choix des textes a été établi à partir d’un thème précis ?
Jacques Serena. Non, car souvent, les thèmes ne sont plus reconnaissables. Chacun y a apporté sa propre voix et c’est aussi bien ainsi. Par exemple, quel que soit le thème, Kamel réussit toujours à parler de la cuisine, de son couscous, et de sa femme qui ne fait rien du tout ! En tout cas, le choix a été douloureux parce qu’il est difficile d’isoler des textes dont la pensée a avancé, est devenue plus grave. On aimerait montrer l’évolution et permettre la lecture de ce qui a été écrit avant et après.
Plusieurs textes d’un même auteur sont quand même publiés dans le recueil, n’est-ce pas ?
M. T. Il y a deux ans, Jacques avait fait une sélection à partir des textes de vingt ou vingt-cinq participants. Cette année, on a eu beaucoup plus de personnes et donc de textes. Le livre qui devait faire cent pages a atteint les deux cents. Il y a eu de surcroît un travail de photographe. Pour ceux dont l’écriture est davantage affirmée, un seul texte a été choisi, pour les autres, il est vrai, deux ou trois ont été nécessaires.
Jacques Serena : Les textes de Jonathan par exemple se répondent. Il a inventé un humour qui met tout sur le même plan. Qu’il soit poursuivi par des vigiles ou qu’il mange n croissant, le ton ne change pas. Il en a conscience et rit tout seul quand il écrit.
M. T. Le livre est une petite édition du Théâtre de la Colline, imprimé à 500 exemplaires et destiné aux partenaires, aux associations et évidemment aux participants. L’idée était qu’à l’issue de la lecture mise en scène par Pier Lamandé, on entende non pas la totalité des textes mais le sens de l’atelier. Les écrits choisis pour ce spectacle sont différents de ceux réunis dans l’édition.
Pier Lamandé, vous avez rejoint les ateliers depuis quelque temps...
Pier Lamandé : J’avais déjà travaillé avec Jacques et Monia, il y a deux ans. J’étais intervenu peu de temps avant le jour de la représentation et nous avions élaboré une mise en lecture sur le mode de la transition et de l’évolution. Dix personnes montaient sur scène, puis elles étaient rejointes par dix autres, et à la fin, elles étaient une trentaine sur le plateau. Chaque auteur était le lecteur de son propre texte.
Pour l’atelier de cette année, je suis venu une première fois dès le mois de février avec l’envie d’approfondir ce qui avait été ressenti auparavant. J’ai essayé d’accompagner davantage les participants. J’ai reçu assez tôt les textes, ce qui m’a permis de constater dans l’ensemble un durcissement du propos, une préoccupation très nette d’ici et maintenant. De nombreux récits décrivent un état des lieux, sont une sorte de photographie d’un présent immédiat. J’ai été frappé par une grande candeur qui montre ce besoin de rêver à un monde meilleur, imaginaire et dit en même temps des choses tout aussi violentes, brutales que certains textes dont la langue est crue. Ce travail effectué le samedi matin permet au groupe qui a passé l’étape de l’écriture, d’avoir une clé pour l’oralité. Il faut savoir que les gens arrivent dans ces ateliers en pensant qu’ils n’ont rien à dire, mais grâce au travail extraordinaire de Jacques, l’autocensure est supprimée et l’imaginaire libéré.
Lire en public ses propres textes apporte une émotion très forte. Quand ils sont lus par d’autres, ils ont davantage de sens et de possibles. Du coup, j’ai pensé qu’il serait plus intéressant de faire venir des acteurs le 30 juin, tout en travaillant le déplacement sur scène avec les auteurs et voir comment certains d’entre eux pourront se retrouver au milieu des professionnels. L’atelier est le centre de la réunion, il n’y a pas de réappropriation par les comédiens. Ils seront là pour accompagner les participants, offrir et ouvrir des possibles, donner d’autres dimensions à l’écriture. Grâce aux ateliers, et au lieu qui s’y prête - nous sommes dans un théâtre - les participants ont découvert qu’un public avait envie de les lire, souhaitait entendre ce qu’ils ont à dire.
Sébastien Borghi Depuis deux ans, Monia et moi-même avons mené un travail de prospection et de relance dans les associations du quartier. Nous avons expliqué à chaque fois notre démarche en adaptant notre discours en fonction du public. Puis, nous avons vu petit à petit le groupe se dessiner, beaucoup plus éclectique que les années précédentes.
Monia Triki : Nous avons remarqué à cette occasion que les associations avaient des difficultés à exister.
S. B. Effectivement, nous arrivions avec un projet construit, un calendrier précis, une envie de résultats, et les associations hésitaient en nous disant qu’elles n’étaient plus du tout dans les mêmes conditions de travail qu’auparavant. C’est une évolution récente qui témoigne des baisses de budget et d’activités, notamment autour de l’apprentissage de la langue française. Récupérées par l’Éducation Nationale, la plupart des activités ne sont plus déléguées au tissu associatif ni au tissu solidaire en général. On nous faisait remarquer qu’il était également difficile de fidéliser le public sur un projet à long terme. Les associations sont donc agréablement surprises aujourd’hui de constater l’assiduité aux ateliers de ces personnes de milieux et d’origines divers.
M. T. Nous avons accueilli dans nos ateliers des personnes qui étaient parfois en situation irrégulière, sans papiers et qui avaient peur. Elles sont venues au Théâtre se consacrer à l’écriture et se cachent aujourd’hui. Il est vrai que cette année, notre travail avec les associations s’est effectué dans des conditions un peu compliquées.
Pier Lamandé : Nous n’avons pas vocation à une action politique ou militante, mais je crois que notre métier et notre sensibilité nous conduisent à révéler un état des lieux qui est incontestablement troublant et violent.
M. T. Le politique, d’ailleurs, ne s’inscrit pas dans une action militante mais dans la prise de cette parole...
On ressent une affection mutuelle au sein de ce groupe...
Monia Triki : Ce qui est assez joli c’est la façon dont les uns s’emparent de la parole des autres. Ces mots engagent le politique et l’humanité. C’est important pour le théâtre que les gens échangent et se retrouvent en tant qu’humains.
Jacques Serena : Le premier qui parle entraîne l’envie de dire des autres.
Sébastien Borghi C’est pour cette raison également qu’un si grand nombre de comédiens s’intéressent à cette démarche.
Jacques, est-ce que votre prochain livre est bientôt terminé ?
J. S. Je me suis donné encore tout l’été. Il y a toujours un rebond entre l’écriture et le plan. Plus j’avance, plus le plan prend des gifles et je dois le réajuster. Je pars en Moldavie à la rentrée avec la mission Stendhal pour me documenter.