Pour reprendre l'expression d'un romancier connu, « j'ai une ardoise »... De l'impayé. Avec le temps, les chansons qui s'additionnent, ça ne s 'est pas arrangé. Dans romans et nouvelles, j'ai pioché, toujours plus, des phrases, des thèmes, pour mettre mes chansons sur les rails. Et l'ardoise de s'allonger. Dominique A.
Ainsi commence la préface du recueil Tout sera comme avant publié aux éditions verticales, auquel ont participé quinze auteurs français. Un livre qui fait écho au nouvel album de Dominique A., intitulé lui aussi Tout sera comme avant, et dont les titres des chansons ont été offerts aux auteurs. De ces quelques mots, bribes de phrases, chacun a répondu par une nouvelle d'une tonalité particulière. Parmi eux, Richard Morgiève dont le vingt-deuxième texte édité, Full of Love, est paru chez Denoël en janvier dernier. Le titre de la chanson Pendant que les enfants jouent lui a été attribué en souvenir d'un spectacle aux Correspondances de Manosque, où Dominique A. avait réalisé une lecture musicale bouleversante de son récit Mon petit garçon (Joëlle Losfeld, 2002). Avec ce recueil de nouvelles auquel est joint un CD intitulé Tout ne sera plus comme avant, le chanteur donne la voix aux écrivains qui portent un regard sur la chanson contemporaine et propose d'établir des passerelles entre les différents publics. Ces variations autour de l'album de Dominique A. sont rencontres, croisements, correspondances entre la chanson et la littérature...
NATHALIE JUNGERMAN
...........................................................
Dominique A, né en 1968, est un auteur, compositeur, interprète français considéré comme l’un des fondateurs de la nouvelle scène française au début des années quatre-vingt-dix. Tout sera comme avant, collectif. Variation autour d'un album de Dominique A, éditions Verticales, coll. Minimales, 9 mars 2004 avec un CD de 9 titres.
.............................................................
Comment est née l'idée de ce recueil de textes collectif autour de votre album Tout sera comme avant ?
Dominique A Ces dernières années, j'ai croisé pas mal d'auteurs français, notamment lors de rencontres littéraires. Au fur et à mesure, j'ai constaté qu'il y avait une génération d'écrivains qui nourrissaient un intérêt particulier pour la chanson contemporaine en France, de même nature que le mien pour la littérature. Alors, je ne sais plus ni comment ni d'où est venue l'idée du recueil, sinon que c'était un moyen de consolider les liens entre les deux mondes, tout en en soulignant les différences d'approche dans l'écriture. Ce qui sépare les choses et les gens n'est pas moins intéressant que ce qui les rapproche.
Comment s'est effectué le choix de ces quinze auteurs et l'attribution des titres des chansons ?
D.A. Je connaissais personnellement une petite dizaine des quinze auteurs, et le goût que j'avais de leurs livres m'a naturellement orienté vers eux. Mais le recueil n'aurait pas existé si l'idée ne les avait pas séduits. Il y avait aussi d'autres auteurs auxquels j'avais pensé comme Frédéric-Yves Jeannet, dont j'adore les livres, mais qui avait trop d'huile sur son feu, ou Pierre Bergounioux ; mais avec ce dernier, je me suis aperçu qu'il serait difficile de convaincre des écrivains qui n'avaient pas une curiosité minimale pour la chanson, sans même parler d'un support privilégié. Après, en ce qui concerne l'attribution des titres, certains choix s'opéraient par rapport à l'idée sans doute très préconçue que j'avais de l'écriture et du type de sujet qui pouvaient inspirer tel ou tel auteur (ex: Olivier Adam avec Elle parle à des gens qui ne sont pas là, dont le titre suggérait une approche très narrative, Pendant que les enfants jouent pour Morgiève, en souvenir de Mon petit garçon, etc...), et certains autres se faisaient au débotté, par rapport à des titres a priori moins inspirants (comme La retraite à Miami, dont a écopé Éric Pessan).
Vous écrivez dans la préface « derrière tout ça une bête question : qu'est-ce qui déclenche « leur écriture », cette musique interne que le silence n'effraie pas, et le culot d'écrire ? » Vous avez également joué le jeu en écrivant une nouvelle à partir de la chanson Le départ des ombres…
D.A. Oui, le pourquoi du comment de l'écriture littéraire est quelque chose qui me fascine assez, le rapport au mot qui n'est pas dit ou chanté ; sans doute que comme beaucoup de gens par rapport à la chanson, j'ai du mal à concevoir une approche intuitive de l'écriture dans la littérature, comme si tout roman ou nouvelle répondait à une intention précise et arrêtée, ou chaque mot était pesé en vue de telle ou telle intention. Je sais bien sûr que ce n'est pas le cas, mais ça reste assez mystérieux pour moi. Quant à ma participation directe au recueil, elle était motivée avant tout par la défection d'un auteur avant remise des épreuves ; ça faussait un peu le jeu d'un côté, tout en le consolidant de l'autre. Dans la mesure où je ne ressens pas la nécessité d'écrire hors les chansons, ma participation ne résout pas le « mystère ».
Vos chansons offrent des atmosphères, racontent des histoires (leurs titres, pour la plupart, sont narratifs), qu'est-ce qui en provoque la narration ? Est-ce à partir d'expériences, de lectures ?
D.A. Pas mal de lectures, de phrases glanées çà et là, ou plutôt « captées ». À un moment où je n'attends rien (puisque le but de la lecture n'est pas de chercher des idées), une phrase, un mot se détachent de la page, c'est comme un flash, je sens que je tiens un point de départ, souvent très éloigné de ce que raconte le livre, une piste. Après, il y a évidemment une réceptivité à l'environnement, comme en l'occurrence le fait d'apercevoir des éoliennes dans un paysage ou de voir apparaître le mot « bowling » au sortir d'une ville, qui provoque en moi une sensation d'inédit, de choses qui ne renvoient à aucune chanson que je connaisse, et par rapport auxquelles des situations ou des personnages peuvent s'élaborer.
Au festival des Correspondances de Manosque 2002, vous avez fait une lecture mêlant musique et littérature avec notamment des textes choisis de Marina Tsvetaïeva, Pierre Bergounioux, Richard Morgiève, Nikos Kokantzis… Quel lien entretenez-vous avec la littérature ?
D.A. La littérature a, au fil du temps, pris le pas sur l'écoute de la musique, et est devenue ma principale source d'inspiration. C'est quelque chose que je regarde de loin, avec appréhension, sans pouvoir me défaire d'une posture d'admiration un peu ridicule. Quelques années à frayer dans le monde littéraire, et ça devrait pouvoir se soigner.
Vous écoutez donc moins de musique ? Quels sont vos disques de prédilection ?
D.A. Effectivement, j'en écoute moins qu'avant, et plus distraitement. Dans les disques qui m'accompagnent depuis des années, il y a Nick Drake, Joy Division, Spain, Bessie Smith, John Coltrane, Brel, les oeuvres pour piano de Ravel et Debussy, Portishead, Bashung dernière période, Talk Talk dernière période et tant d'autres que j'oublie sur le moment.
Parlez-nous du CD qui accompagne le livre et qui s'intitule Tout ne sera plus comme avant...
D.A. Ce CD propose des versions instrumentales de certaines chansons du disque, comme un écho de ce qui reste, une fois tous les mots balayés; une chanson écartée du disque mais par rapport à laquelle Bruno Gibert avait écrit une nouvelle; et un cut-up, sur une suggestion d'Yves Pagès de Verticales, à partir de phrases des nouvelles du recueil, sur une version alternative du morceau-titre Tout sera comme avant; comme un renvoi d'ascenseur, aux auteurs, et vampirisme caractérisé.
Vous venez de donner deux concerts, le 5 mars au festival Lire à Bron, et le 6 mars au Bataclan. Ce choix d'être seul sur scène ?
D.A. Par défaut (pas de groupe) et par goût (seul en scène, c'est la liberté)...