Chargée de cours à l’Université ouverte de Franche-Comté, Chantal Duverget a soutenu en 1997 une thèse de doctorat en histoire de l’art sur « George Besson, critique d’art et collectionneur (1882 1971) ». Elle réalise de nombreuses conférences, notamment sur les courants artistiques aux XIXe et XXe siècles, et a effectué maintes études et contributions à des catalogues de musées, toujours dans le domaine de l’art. Elle a établi, présenté et annoté la Correspondance George Besson & Henri Matisse (L’Atelier contemporain, février 2018). Ouvrage publié avec le soutien de la Fondation La Poste.
Vous avez établi, présenté et annoté la Correspondance de George Besson et Henri Matisse qui va paraître le mois prochain aux éditions L’Atelier contemporain. Il est intéressant de se pencher sur le parcours de George Besson, fils d’un fabricant de pipes du Jura qui travaille dans l’entreprise familiale, et dont les centres d’intérêts sont multiples. Il se passionne dès l’adolescence pour la photographie, l’actualité littéraire et artistique...
Chantal Duverget Ayant quitté le collège à quatorze ans en raison d’une santé fragile, le jeune George découvre l’art par l’intermédiaire d’une bibliothèque populaire. C’est à pied qu’il se rend hiver comme été jusqu’au hameau de Tressus, sur les hauteurs de Saint-Claude, dans un endroit sauvage, à mille mètres d’altitude, qualifié de « petite Sibérie ». Là, il dévore pêle-mêle romans, écrits sur l’art et journaux. Il s’intéresse surtout à une revue d’avant-garde fondée en 1889 à Paris, La Revue Blanche, où il suit l’actualité littéraire, théâtrale et artistique, découvrant les œuvres de Toulouse-Lautrec, Bonnard et Vallotton. Plus tard, George Besson ne manquera pas de souligner l’influence des frères Pernier, quatre ouvriers lapidaires, propagandistes de la Ligue de l’Enseignement, qui animaient cette bibliothèque contiguë à leur atelier et se montrera fier d’être un autodidacte.
Comment ce provincial, qui quitte le collège à quatorze ans, deviendra un critique d’art, un collectionneur et un éditeur renommé ? L’engagement politique de George Besson sera déterminant... Son amitié avec Francis Jourdain également...
C.D. L’engagement politique constitue vraisemblablement la clé de sa destinée personnelle et de sa carrière professionnelle. Lorsque George Besson rencontre Henri Matisse en 1907, il n’est que le fils d’un fabricant de pipes du Jura venu commercialiser les produits de l’entreprise familiale. Il sillonne la France, l’Allemagne, la Belgique et la Suisse pour présenter ses échantillons à une clientèle de négociants en gros. Il propose aussi ses collections de pipes aux grands magasins parisiens. Sa vie va être bouleversée par la crise sociale qui agite sa ville natale de Saint-Claude. Par l’intermédiaire d’Henri Ponard, fondateur du mouvement coopératif « La Fraternelle », il devient aussi le représentant d’une coopérative ouvrière. Il est désigné comme délégué de la Fédération socialiste jurassienne. Son engagement politique l’amène à côtoyer Marcel Sembat, fondateur de la SFIO, et le plonge rapidement dans l’avant-garde artistique. Reçu régulièrement de 1907 à 1914 dans la villa des Sembat, 11, rue Cauchois à Montmartre, George Besson y fera la connaissance de Marcel Cachin et de Paul Signac ainsi que de Félix Fénéon, directeur de La Revue Blanche. Là, il découvre les œuvres de Matisse avant de connaître l’homme.
George Besson rencontre pour la première fois Francis Jourdain en 1907 en participant aux visites guidées dominicales sous l’égide de « L’Art pour Tous », association liée aux Universités populaires. Francis était le fils de Frantz Jourdain, architecte des Grands Magasins de la Samaritaine et Président du Salon d’Automne. Francis Jourdain qui connut dès l’enfance Monet, Daudet, Zola, les Goncourt, lui fera connaître et apprécier des artistes comme Van Dongen, Vallotton, Marquet, des photographes comme Steichen, des hommes de science comme Henri Wallon, et restera son « directeur de conscience » pendant un demi-siècle. En 1912, George Besson lance avec Francis Jourdain la revue Les Cahiers d’aujourd’hui, publication bimestrielle faisant appel à la participation bénévole d’écrivains et d’artistes. Outre des biographies et des souvenirs, elle proposait des écrits engagés inédits sur l’art, la littérature et la politique. La revue doit surtout son renom à des participations prestigieuses (Adolf Loos, Schönberg, Colette) ou à des sujets qui défrayèrent la chronique. Ainsi, dans le n°4, paru en avril 1913, George Besson publie plusieurs articles antimilitaristes, tel celui de Tristan Bernard « Qui veut la paix, prépare la paix ».
George Besson s’intéresse aussi aux rapports que la photographie entretient avec l’art. Il est un ardent défenseur de la photographie pictorialiste, se lie avec Edward Steichen (1879-1973).
C.D. Le jeune Besson se livre très tôt à la photographie grâce à un cadeau de son père. Dès son arrivée à Paris en 1905, il s’inscrit au Photo-Club de Paris, constitué en France en marge de la Société Française de Photographie. Il découvre les tendances par l’intermédiaire du Bulletin du Photo-Club de Paris. Il écrit son tout premier article dans La Revue de Photographie de 1907. C’est en signant cet écrit qu’il modifiera l’orthographe de son premier prénom et, supprimant le « s » final, écrira « George », à la manière anglaise.
George Besson est introduit dans le cercle très fermé du pictorialisme américain par l’intermédiaire du Photo-Club de Paris qui organise une exposition à la Little Gallery de la « Photo-Secession » de New York. C’est ainsi que, du 10 au 24 janvier 1906, il participe à la deuxième exposition de la Little Gallery consacrée à des photographes français (Robert Demachy, Constant Puyo) exposition relatée dans la revue Camera Work. Le groupe proposait cinquante épreuves photographiques de petit format représentatives du mouvement pictorialiste français. Besson figurait avec une seule épreuve. Il s’agissait de montrer les résultats obtenus à partir du procédé à la gomme bichromatée. George Besson fait la connaissance d’Edward Steichen par l’intermédiaire de Francis Jourdain, voisin du photographe et de sa famille à Voulangis. La rencontre sera concrétisée en 1909 par un portrait de George et d’Adèle Besson dont la pose raffinée témoigne d’un goût commun pour l’esthétisme.
Steichen confia ensuite à Besson un reportage pour la revue Camera Work. Dans cet article, publié en 1907 sous le titre « La photographie pictorialiste – une série d’interviews », il se montre un ardent défenseur des théories pictorialistes qui introduisent le style impressionniste en photographie. Il apporte sa contribution au grand débat sur les rapports de l’art et de la photographie, en menant l’enquête auprès d’artistes et écrivains qu’il fréquentait. La photographie avait alors mauvaise réputation auprès des artistes. En effet, à l’exception de Degas, Bonnard ou Vuillard, la plupart se défiaient de la photographie en raison de sa précision mécanique, de ses résultats ordinaires et peu esthétiques. George Besson voulait les convaincre que les défauts attribués à la photographie devaient être attribués aux photographes. En leur faisant connaître la photographie pictorialiste, grâce à des spécimens variés de travaux de Steichen, il montrait qu’il était possible de réconcilier art et photographie. Ainsi Matisse déclarait : « Si elle est pratiquée par un homme de goût, la photographie aura l’apparence de l’art ».
Il semble que les débuts du parcours de Besson présentent quelques similitudes avec ceux du marchand d’art et collectionneur Paul Guillaume (1891-1934) dans la mesure où ils sont autodidactes, s’intéressent tous les deux à l’avant-garde artistique, parviennent à se lier avec les plus grands noms de la littérature et de l’art, alors qu’ils sont issus d’un milieu qui ne les prédisposait pas à une telle carrière...
G.P. C’est une belle histoire qui ressemble à celle de Besson, car ce sont les hasards des rencontres qui ont orienté leur destinée et les ont propulsés dans un univers très différent du milieu familial. En outre, Paul Guillaume* est aussi d’origine franc-comtoise. Apollinaire va jouer pour lui le même rôle d’introducteur que Francis Jourdain pour Besson, sauf que Besson ne s’intéressera jamais aux arts premiers.
Pour diffuser leurs idées sur l’art, chacun d’eux va fonder une revue d’avant-garde : Les Cahiers d’aujourd’hui (1909-1914 et 1922-1924) pour George Besson et Les Arts à Paris (1918-1919) pour Paul Guillaume. Apollinaire écrivit une double préface pour la première fameuse confrontation du siècle, l’exposition Matisse-Picasso, en janvier-février 1918, à la galerie de Paul Guillaume, fg St-Honoré. C’est dans le n°3 des Arts à Paris que Guillaume annonce le décès de son ami Apollinaire le 9 novembre 1918. Autre point commun entre Besson et Guillaume : les pièces maîtresses de leur collection de tableaux sont des œuvres appartenant aux courants impressionniste et fauve, avec notamment Matisse. Tous deux ont commandé à Van Dongen un portrait : pour Besson, celui de sa première épouse, Adèle, en 1908 ; pour Paul Guillaume, son portrait en 1928, alors qu’il est au sommet de la réussite, qu’il a vendu au Dr Barnes pour sa fondation de Merion cent tableaux de Renoir, cinquante Cézanne, vingt-deux Picasso et douze Matisse, entre autres.
Parlez-nous de la rencontre de Besson avec Matisse, de l’évolution de leur amitié, de leur relation avec Albert Marquet...
C.D. George Besson rencontre Albert Marquet en mai 1910, à la galerie Druet par l’intermédiaire de Francis Jourdain. Il court alors les expositions et achète des œuvres d’art grâce à ses premiers bénéfices. Dès le Salon d’Automne de 1906, il remarque Le 14 juillet au Havre, avant de l’acquérir vers 1920. Auparavant il avait photographié Marquet et Dufy en train de peindre le tableau depuis la terrasse du Café du Nord.
Besson et Marquet ne devinrent intimes qu’en 1917, à Marseille, lors d’une tournée à la fête foraine ou de soirées épiques avec Matisse. De passage pour raisons professionnelles, Besson trouve Marquet en compagnie de Matisse : « Un soir [de novembre 1917], je vis arriver à mon hôtel Matisse et Marquet transis de froid. Ils s’étaient embarqués pour le château d’If et, peu après le pont transbordeur, leur bateau s’était égaré dans le brouillard. C’est du moins ce que racontèrent une partie de la nuit ces Marseillais hilares. Depuis plus de vingt ans, ils se complétaient admirablement, ces deux compagnons qu’on ne vit jamais moroses dès qu’ils étaient réunis ». Dans son atelier du quai de Rive-Neuve, l’artiste exécutera alors pour George Besson Le Vieux-Port à Marseille. Besson avait acquis six huiles importantes de Marquet dont l’Abside de Notre-Dame (1901), le Port de Naples (1909) et Les Deux Amies (1912). Quant à La Seine à Grenelle, elle fut exécutée par l’artiste depuis l’appartement de Besson comme l’atteste une photographie de George Besson. Après la Grande Guerre, Besson reprend la publication des Cahiers. Le numéro 10 de la nouvelle série (1922), est consacré aux « Portraits plaisants », avec un dessin hors texte « Albert Marquet par lui-même », en illustration de l’article « Marquet » par Léon Werth (p. 195). Puis les numéros spéciaux évoluent vers des monographies de peintres contemporains, comme celle de Marquet dont il signe le texte. L’ouvrage, illustré de dessins de l’artiste, sera publié en 1920 et connaîtra une réédition en 1929. De 1925 à 1932, George Besson exercera les fonctions de directeur artistique des Éditions Crès et Cie. Puis, jusqu’en 1957, il sera directeur de collections aux Éditions Braun. À ce titre, en 1934, il lance « Les Maîtres », première collection de vulgarisation de l’histoire de l’art au format de poche (quatre-vingt-dix-huit titres). Il rédige lui-même le texte sur Marquet tandis qu’il confie à Francis Jourdain le volume de la collection « Plastique ». Désormais reconnu comme critique d’art, de 1936 à 1969, ce sont encore quarante articles qu’il consacre à Marquet dans L’Humanité, Ce Soir et Les Lettres françaises. Comme d’autres élèves de Gustave Moreau, Marquet avait rejeté l’enseignement de l’Académie. Aussi avant 1905, pour lui et Matisse, la remise en question de la peinture passe par l’étude du nu et la construction selon des plans colorés arbitraires. Mais, pour George Besson, « Marquet fut un « fauve » toute sa vie. Révolté... il le fut par tempérament, par hygiène autant que par solidarité d’équipe. Car « le petit père Marquet » réputé placide, était en réalité provocateur de turbulence ». Selon l’article d’hommage publié par L’Humanité lors du décès de l’artiste, Marquet avait adhéré au Parti communiste en 1945. La maladie (cancer du foie) et le décès de Marquet le 14 juin 1947 feront l’objet d’un échange de cinq lettres entre Besson et Matisse, du 13 mai au 15 juin. À Paris, Besson rend visite chaque jour à Marcelle et Albert Marquet qui résidaient rue Dauphine. Il informe Matisse resté à Nice de l’aggravation de l’état de santé de Marquet et lui racontera son enterrement, accompagné d’une vingtaine de personnes et d’une délégation du Parti Communiste Français..
Les lettres de Matisse à Besson n’ont pas la saveur ni la chaleur de celles qu’il a échangées avec André Rouveyre. Pour autant, elles sont un témoignage très enrichissant sur les relations d’un peintre avec son éditeur et sur l’élaboration des ouvrages...
C.D. Les relations de George Besson avec Henri Matisse n’ont pas toujours été faciles et la correspondance témoigne de ces difficultés. Sur les cent lettres s’échelonnant entre 1918 et 1953, apparaissent des périodes de silence lors de deux conflits de nature professionnelle. D’abord, en 1924, un échange de quatre lettres avec Marguerite Duthuit, fille de l’artiste, qui souhaite renégocier le contrat d’édition de Matisse avec Besson alors directeur artistique des Éditions Crès et Cie. Ensuite, à la fin de 1938, une polémique entre Matisse et Claude Roger-Marx, comprenant neuf lettres et trois textes dactylographiés et raturés, l’artiste demandant à George Besson d’intervenir pour que le critique modifie son texte. Directeur de collections aux Éditions Braun à partir de 1932, George Besson préparera un portefeuille de trente dessins de Matisse, préfacé par Jean Cassou, nécessitant un long échange en 1938-39 et un ouvrage sur Matisse dans la collection
« Les Maîtres ». Le contenu des lettres comprend principalement la mise au point d’ouvrages concernant l’artiste, avec la préparation des textes, le choix des illustrations et le rapport texte-image. Plusieurs lettres inédites de Matisse à George Besson attestent de cette minutieuse préparation. Les lettres prennent une tournure plus personnelle pendant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, lorsque Amélie Matisse comprend l’attachement de son mari pour Lydia Delectorskaya, sa secrétaire et son assistante, elle quitte Nice en mars 1939 et rentre à Paris avec Marguerite. Pendant les vingt premiers jours de mai, Henri Matisse se rend à Paris, à la Banque de France où ses œuvres étaient à l’abri, pour procéder aux partages consécutifs à leur séparation. L’artiste faisant rarement des confidences sur ses états d’âme, les quelques mots qu’il laisse échapper sur ses démêlés conjugaux dans sa lettre du 20 juillet 1939, traduisent son désarroi. George Besson essaie de l’exhorter au sursaut et de le stimuler. Pendant toute la période de la « drôle de guerre », Matisse peindra à Nice. Le silence d’Amélie avait aussi des raisons extra-conjugales : en octobre 1944, Matisse est informé que sa femme et sa fille Marguerite, résistantes, ont été arrêtées. Amélie Matisse fera six mois de prison et Marguerite sera torturée, mais parviendra à éviter les camps. Captive dans un train stoppé près de Belfort lors d’un bombardement, elle réussit à s’échapper et se cache plusieurs semaines dans la forêt vosgienne.
Élève de Gustave Moreau, André Rouveyre avait rencontré Matisse dans l’atelier du maître en 1896. Il devint dessinateur de presse et échangea une abondante correspondance avec Matisse, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Craignant les bombardements alliés, Matisse demande à son ami Rouveyre, installé depuis peu à Vence, de lui trouver une location près de lui. C’est ainsi que Matisse quitte Nice en juin 1943 et emménage dans la villa « le Rêve », route de Saint-Jeannet à Vence où il restera cinq ans. Pierre Braun et George Besson ayant eu l’idée d’un ouvrage sur les artistes, illustré de portraits d’Henri Cartier-Bresson, Matisse y accueille le photographe tandis que l’ami Rouveyre rédige une préface.
Les échanges qui ont lieu en décembre 1938 sont tout à fait intéressants : Matisse reprend point par point la préface écrite par Claude Roger-Marx (Claudinet) qui « ne correspond pas à [s]es intentions d’artiste » et offre ainsi un exposé détaillé de son travail, de ses réflexions sur le dessin et la peinture. « Mon dessin au trait est la traduction directe et la plus pure de mon émotion », « Ils [dessins] sont générateurs de lumière... » écrit-il...
C.D. S’agissant de la « correction » de la préface de Claude Roger-Marx, Matisse pose ses propres termes en les opposant à ceux du critique. Il résulte de cette fureur d’écriture une quête de l’expression qui serait en parfaite adéquation avec sa pensée. Cela donne d’abord l’« étude Claudinet », un brouillon manuscrit de premier jet. Besson ne s’est pas trompé en comprenant immédiatement l’intérêt de cette mise au point et en proposant de faire évoluer ces remarques négatives vers un texte fondamental visant à clarifier la genèse du travail de Matisse et son interprétation. Le texte définitif « Notes d’un peintre sur son dessin » sera publié par George Besson en juillet 1939, dans le numéro XXI de la revue Le Point, consacré à Henri Matisse.
Comment caractériseriez-vous la collection Besson ?
C.P. De nos jours, collectionneur rime avec investisseur. Les sommes colossales, obtenues dans les enchères par certaines œuvres de Léonard de Vinci ou Monet, rendent celles-ci accessibles aux seuls rois du pétrole ou de l’informatique. Le grand public considère souvent l’art comme un placement à déposer dans un coffre et n’imagine plus acquérir une œuvre pour le seul plaisir de sa contemplation quotidienne. Pour George Besson, la peinture était « un bien commun et non une valeur de bourse à liquider le moment propice venu ». Il achetait par goût à des artistes amis et nombre d’œuvres ont même été exécutées spécialement pour lui. Il ne s’agit pas seulement de ses portraits par Bonnard, Marquet, Matisse ou de ceux de son épouse par Renoir, Van Dongen. Dans son appartement, certaines furent peintes – ce fut le cas pour celles de Marquet et d’Albert André -, d’autres y furent terminées – Le Café du Petit Poucet de Bonnard en l’occurrence -. Il achetait aussi pour soutenir un peintre peu prisé des milieux officiels tel Van Dongen à ses débuts. Parce qu’il a effectué des choix esthétiques à contre-courant des goûts dominants au début du siècle qui se sont avérés a posteriori reconnus et confirmés par l’histoire, George Besson passe pour un collectionneur progressiste et un amateur compétent et éclairé. À présent, avec le recul, les œuvres considérées au début du siècle comme des œuvres d’avant-garde, sont devenues des « modernes classiques ». La collection Besson illustre les choix d’une génération marquée par l’impressionnisme et le fauvisme. Après la Seconde Guerre mondiale, George Besson a choisi les œuvres de jeunes artistes de la Seconde École de Paris. Mais il est resté fidèle à une peinture d’accès immédiat et de lecture facile à vocation décorative. C’est pourquoi le cubisme, le surréalisme et a fortiori la non-figuration sont absents de la collection Besson.
La collection Besson apparaît ensuite comme le corollaire de la conception sociale de l’art qu’il a toujours professée. « Lorsque nous avons eu quatre-vingts ans, comme nous n’avions pas de descendance directe, ma femme et moi, nous nous sommes demandé ce qu’allaient devenir, après nous, les peintures et les sculptures (en moins grand nombre) qu’il nous avait été donné, en nous privant quelquefois, de pouvoir acquérir. Les vendre ? Nous y avions été très souvent invités. Mais qu’aurions-nous fait de tant d’argent ? Nous avions une 3 CV qui nous suffit. Et nous sommes attachés à cette maison où nous vivons depuis plus d’un demi-siècle. Les enchères publiques après décès ? Tous les marchands et les autres dont je m’étais systématiquement plu à repousser les propositions, auraient pris, ce jour-là, une fière revanche. Nous avons préféré donner. Et, conformément à nos idées, mettre à la disposition du public ce que, toujours, nous avons considéré comme des richesses trop pures pour être monnayables ».
Vous avez publié en 2012, George Besson, Itinéraire d’un passeur d’art (Somogy, éditions d’art / Musée de l’abbaye, Saint-Claude) où figurent notamment des extraits de lettres avec différents correspondants, parmi lesquels Bonnard, Marquet, Renoir, Aragon... Pensez-vous publier une autre correspondance de Georges Besson ?
C. D. Dans Itinéraire d’un passeur d’art, ne figuraient pas en bibliographie la publication de deux correspondances ajoutées à deux catalogues parus postérieurement : Bonnard-Besson (2012) et Signac-Besson (2013). La mise en pages des lettres de Signac a été réalisée de façon remarquable par Caroline Larroche pour Gallimard avec un cahier de couleur bis et fac-similé de certaines lettres. Malheureusement les lettres de Besson n’ont pu être retrouvées dans les archives des ayants droit de Bonnard et de Signac. L’intérêt de la correspondance Matisse-Besson est que les lettres sont croisées et que les informations se complètent, mais, faute d’une datation précise côté Besson surtout, l’une des tâches essentielles a consisté dans ce classement.
Pour l’instant, je n’ai pas d’autre projet de publication de correspondance car, parmi les 1500 lettres conservées dans le fonds Besson, seuls ces trois artistes importants correspondaient régulièrement avec Besson.