FloriLettres

Édito janvier 2016. Par Nathalie Jungerman

Paul Celan et René Char, Correspondance

Édito

« Cher Monsieur, Je retrouve, en vous adressant ces lignes, tout l’espoir angoissé qui préside à mes rares rencontres avec la Poésie. », écrit en juillet 1954 Paul Celan à René Char. Ainsi commence un échange de lettres entre les deux poètes qui va durer jusqu’en 1968. Celan, né dans une famille juive germanophone de Czernowitz, en Bucovine (l’actuelle Ukraine), a été envoyé en 1943 dans les camps de travail roumains. Ses parents n’ont pas échappé à l’extermination nazie. Il est encore peu connu en France au moment où il entame cette correspondance alors que le poème Todesfuge (Fugue de mort) écrit trois mois après la libération du camp d’Auschwitz l’a rendu célèbre en Allemagne. Char, né à L’Isle-sur-Sorgue, grand résistant et auteur notamment des Feuillets d’Hypnos est au sommet de sa gloire. Attiré par l’écriture du poète français qui laisse percevoir « sa respiration de combattant », Celan, qui est aussi un remarquable traducteur, a l’intention de « faire entrer les poèmes de Char dans les pays de langue allemande ». Pour autant, cette correspondance, assez brève, contient peu de réflexions théoriques sur la pensée poétique, peu de lettres qui témoignent d’un véritable dialogue entre les deux hommes, mais ces absences, ces non-dits sont significatifs. L’édition commentée de Bertrand Badiou interroge les silences et la retenue qui construisent la relation. Elle met en perspective le discours, la personnalité de chacun et le rapport à l’autre.
Chercheur et enseignant à l’École normale supérieure, Bertrand Badiou gère la succession littéraire de Celan en qualité de représentant légal d’Éric Celan, le fils du poète. Pour documenter le mieux possible cet échange épistolaire, il a rassemblé et analysé tous les inédits, retranscrit les agendas et les journaux de Celan, consulté les archives que Marie-Claude Char a mises à sa disposition. Cette Correspondance publiée chez Gallimard avec le mécénat de la Fondation La Poste, est suivie de celle que René Char et Gisèle Celan-Lestrange, l’épouse du poète, elle-même peintre et graveur, ont entretenue de 1969 à 1977.