« Picasso me craint sachant qu’aucune de ses faiblesses ne m’échappent et que son œil de matador me met généralement en mauvaise posture. On ne peut pas aimer Picasso, on ne peut que l’adorer, le craindre, le respecter mais son égocentrisme et sa puissance de destruction l’enveloppent d’une solitude contre laquelle la mienne se cogne. » Jean Cocteau, cité par Carole Weisweiller (Correspondance Picasso/Cocteau (1915-1963), Gallimard, 2018).
Dans la collection Art et Artistes, les éditions Gallimard ont publié avec le Musée national Picasso-Paris, la correspondance de Pablo Picasso et Jean Cocteau. Établie, commentée et annotée par Pierre Caizergues, professeur émérite de langue et littérature françaises à l’université de Montpellier-III et par Ioannis Kontaxopoulos, collectionneur et spécialiste de l’œuvre graphique de Cocteau, elle couvre une période de quarante-neuf années, de 1915 à 1963, jusqu’à la mort du poète.
Les lettres de Jean Cocteau restent souvent sans réponse : 284 lettres de lui, et seulement 53 de Picasso. Pour éclairer le contexte et compenser ce déséquilibre – qui s’explique en partie par un cambriolage de l’appartement de Cocteau en 1954, par la difficulté pour Picasso à s’exprimer par écrit en langue française, ou encore par la proximité de leurs domiciles à Paris et sur la Côte d’Azur qui favorisait les visites plus que la correspondance – les éditeurs ont eu recours, notamment, aux échanges avec les compagnes et épouses du peintre, et au journal intime du poète. Le volume rassemble ainsi 450 pièces enrichies de documents et d’illustrations. Les commentaires et réflexions de Cocteau sur la personnalité de Picasso ou sur son œuvre, les conversations qu’il a consignées dans son journal, extraits cités dans le remarquable appareil critique de l’édition, sont significatifs d’une amitié complexe qui a duré toute une vie en dépit de leurs différences. Au fil des lettres, se profile l’influence mutuelle que les deux amis subissent dans leur travail, plastique pour l’un et littéraire pour l’autre. Ils prônent ensemble la modernité tout en gardant leur libre arbitre. Grâce à Cocteau qui côtoie depuis 1909 Serge de Diaghilev, le fondateur des Ballets russes, Picasso crée les décors et costumes cubistes de Parade (1917) dont la chorégraphie est de Léonide Massine. Une œuvre en un acte commandée par Diaghilev, extrêmement novatrice, composée par Erik Satie, initiée et écrite par Cocteau, réunissant la danse, la musique, la peinture et la poésie. Une union des arts, exceptionnelle dans l’histoire de l’art.