« À chaque nouveau livre d’Henri Thomas, je me redécouvre une âme de naïf redresseur de torts, impatient de mettre fin à la longue injustice qui maintient dans une sorte de pénombre un écrivain de si loin supérieur à la plupart de ceux qui font du bruit dans les lettres. (...) » Philippe Jaccottet, Henri Thomas, L’inapparent*
À Paris où il est venu s’installer en 1946 après des études de Lettres à Lausanne (il est né en Suisse en 1925), Philippe Jaccottet se lie au traducteur Pierre Leyris qui l’introduit à 84, une jeune revue littéraire fondée en 1947 par Marcel Bisiaux et quelques amis dont Henri Thomas. Philippe Jaccottet a 24 ans quand il envoie une première lettre à l’auteur du Seau à charbon. La correspondance entamée s’achèvera quarante-quatre ans plus tard avec la mort d’Henri Thomas. Les éditions Fata Morgana publient aujourd’hui leurs lettres et un choix de textes critiques que Jaccottet a consacrés à son aîné de treize ans dont il n’a cessé de défendre l’œuvre poétique et romanesque. L’édition est établie et annotée par Philippe Blanc et la postface rédigée par Hervé Ferrage dont la thèse de doctorat publiée aux PUF (en 2000) a pour sujet « Philippe Jaccottet, le pari de l’inactuel ». Grâce au poète qui vit à Grignan depuis 1953, l’année même où paraît chez Gallimard son premier grand recueil, L’Effraie et autres poésies, Hervé Ferrage rencontre, en décembre 1991, Henri Thomas alors installé dans une maison de repos du XIVe arrondissement de Paris. Il lui rendra visite régulièrement jusqu’à sa mort, le 3 novembre 1993. Hervé Ferrage consigne ces deux années d’une « amitié tardive » dans les pages d’un carnet qui sont publiées dans un numéro de la Revue de belles-lettres consacré à l’écrivain. Autant les lettres de Thomas, qui ne cessait de voyager et de s’expatrier, sont datées de Paris, Londres, des États-Unis, de l’île de Houat..., autant, celles de Philippe Jaccottet sont presque toutes envoyées du même lieu, Grignan, la « source de l’expérience qui a nourri ses livres ». Au-delà de leurs différences et de leur mode de vie bien distinct, ils ont une même conviction. Ils se tiennent à distance de la scène sociale et littéraire, et chez l’un comme chez l’autre, l’écriture et la vie ne font qu’un. L’œuvre de ces deux poètes et traducteurs, Jaccottet de l’allemand et de l’italien, Thomas de l’anglais, de l’allemand et du russe, s’inscrit dans l’exigence d’une voix sans compromis, la plus juste possible.
La correspondance de Philippe Jaccottet et Henri Thomas intitulée Pépiement des ombres est « littéraire au sens fort du terme, elle va au cœur de leurs projets à l’un et à l’autre. »
*« Philippe Jaccottet éclaire Henri Thomas, l’inapparent », dans Le Monde, jeudi 22 février 1973. Pépiement des ombres, éditions Fata Morgana, page 137.