FloriLettres

Dernières parutions, édition novembre 2020. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition novembre 2020

Dernières parutions

RÉCITS

Kéthévane Davrichewy, Un chanteur. Quand Kéthévane Davrichewy fait la connaissance d’Alex Beaupain début 1998 par l’intermédiaire de Christophe Honoré, elle le trouve assez antipathique. Le jeune homme de vingt-quatre ans rêve de devenir chanteur mais n’ose pas encore dévoiler ses compositions. Sa compagne Aude, rencontrée au lycée de Besançon, croit fermement en son destin artistique. L’écrivaine, qui a toujours été fascinée par les chansons, par ces capsules d’émotions vives nées de mots mis en musique, nourrit une véritable passion pour les chanteurs. Elle déroule ici la trajectoire d’Alex Beaupain et une amitié de vingt ans. « Faire le portrait d’un ami est à la fois une déclaration d’amitié, un exercice d’admiration, mais apporte une sensation diffuse de trahison. Il faut s’autoriser à donner sa version des faits, accepter que celle-ci se heurte à celle des autres acteurs des événements. » Suivre le chanteur, de ses balbutiements au succès, la ramène à son propre parcours de romancière et à celui des auteurs et cinéastes Christophe Honoré et Diastème. Ces quatre-là ont des affinités profondes, sont très soudés, se soutiennent, s’admirent mutuellement, collaborent et évoluent ensemble. « Nous partageons un besoin pressant de créer et un désir urgent de rendre nos vies plus intenses. Courir vite pour ne pas voir le temps s’enfuir. Un rêve d’éternité. » La mort prématurée d’Aude à vingt-six ans en novembre 2000, la rapproche davantage d’Alex. Ils parlent beaucoup, ont les mêmes références musicales, évoquent leur enfance, leur mélancolie. « Je me dis que nous avons en commun cette aspiration envahissante à vivre des choses qu’on croyait pourtant inaccessibles. Cette impression de rater notre vie avant même de l’avoir vécue. » Le drame du chanteur inspire le film musical de Christophe Honoré Les Chansons d’amour (2007), conçu à partir de son premier album Garçon d’honneur (2005). Au fil des années chacun creuse son sillon, Kéthévane Davrichewy publie son premier roman Tout ira bien (2004), Christophe Honoré voit ses films projetés au festival de Cannes et Alex Beaupain acquiert une véritable reconnaissance avec son troisième album Pourquoi battait mon cœur (2011). L’auteure a ponctué son livre de nombreux textes de son ami qui la touchent particulièrement, comme pour mieux donner à voir le « rôle essentiel des chansons dans nos constructions intimes. » Éd. Fayard, 144 p., 20 €. Élisabeth Miso

Couverture du livre de Patti Smith, L'année du singe

Patti Smith, L’Année du singe. Traduction de l’anglais (États-Unis) Nicolas Richard. Jour de l’An 2016. Patti Smith est seule dans une chambre du Dream Motel à Santa Cruz. Après une série de concerts à San Francisco, elle devait passer quelques jours au bord de l’océan avec son ami le producteur de musique Sandy Pearlman, mais ce dernier est tombé dans le coma. Ainsi débute le nouveau livre de l’icône du rock, sorte de journal ou de carnet de voyages et de méditations, où elle brouille comme à son habitude les frontières entre réalité et imaginaire, entre passé et présent, donnant la part belle à la puissance poétique des rêves. À soixante-dix ans, son énergie et sa curiosité sont intactes. On la suit en Californie, en Arizona, au Kentucky, au Portugal, dans son appartement de Greenwich Village ou dans son bungalow de Rockaway Beach. On l’écoute dialoguer avec une enseigne lumineuse d’hôtel dotée de parole, avec ses chers disparus, son mari, sa mère, son père, son frère Todd et avec les écrivains qui la transportent comme Roberto Bolaño, Marc Aurèle, Allen Ginsberg, Walt Whitman. Des livres et toujours des livres, la lecture lui est indispensable. Elle décrit la bibliothèque personnelle de Fernando Pessoa à Lisbonne ou se revoit enfant parcourir à pied les kilomètres qui la séparaient de la bibliothèque. Cette année du Singe est assombrie par l’inquiétante ascension de Donald Trump et par l’idée intolérable de perdre deux de ses plus vieux complices, Sandy Pearlman donc et l’écrivain Sam Shepard diminué par la maladie de Charcot. « Je n’ai pas posé de questions sur le sort de Sandy. Ni de Sam. Ces choses sont interdites lorsqu’on implore les anges par la prière. Je le sais très bien, on ne peut pas demander une vie, ou deux vies. On ne peut légitimement qu’espérer une plus grande force dans le cœur de chaque homme. » Elle rend visite au dramaturge et l’aide à apporter les ultimes modifications à son dernier ouvrage, se dit « éblouie par le panache de son écriture », savoure la profondeur, la richesse et la tendresse de leur longue connivence. Sandy s’éteint le 26 juillet, les jours de Sam sont comptés (il décédera le 27 juillet 2017), mais Patti Smith ne désespère pas, convaincue que la vie, l’esprit et l’art lui réserveront encore bien des moments lumineux. Éd. Gallimard, 192 p., 18 €. Élisabeth Miso

Couverture du livre de Vivian Gornick, Inépuisables

Vivian Gornick, Inépuisables. Traduction de l’anglais (États-Unis) Laetitia Devaux. « Entre ce que nous connaissons de nous et ce que nous n’avons aucun espoir de jamais comprendre, il y a un champ de bataille débordant d’émotions où des écrivains exceptionnels déversent tout l’art dont ils sont capables. » Avec Inépuisables, Vivian Gornick qui lit « toujours pour sentir le pouvoir de la vie avec un V majuscule », convoque les écrivains incontournables qui l’accompagnent depuis des décennies et qui lui ont révélé quel sens donner à son passage sur Terre. Lire et relire les textes, qui l’ont profondément marquée, est un voyage intérieur sans cesse renouvelé. Avec l’âge et l’expérience, notre perception des choses se modifie et s’aiguise ; plusieurs lectures sont souvent nécessaires pour comprendre toute l’étendue des idées développées dans une œuvre. Au contact de D.H. Lawrence, de Colette, de Marguerite Duras, d’Elizabeth Bowen, de Natalia Ginzburg ou de Thomas Hardy, Vivian Gornick a pu mettre des mots sur ses propres tourments, ses doutes, ses frustrations, a pu vérifier que la passion amoureuse et « Que l’extase sexuelle ne nous délivre pas de nous-mêmes, mais qu’il faut avoir une construction solide pour savoir quoi en faire, au cas où nous en fassions l’expérience. » À la lumière de ces textes fondateurs, elle se penche sur sa relation complexe avec sa mère, sur ses histoires sentimentales, sur sa vocation d’écrivain. L’auteure d’Attachement féroce se souvient de sa volonté de s’affranchir des conventions bourgeoises, du statut de femme mariée qui lui donnait l’impression d’être « comme enterrée vivante »,  du journalisme engagé qui la guidait dans tous ses articles pour le Village Voice dans les années 1970 et de sa participation majeure aux mouvements d’émancipation féminine aux États-Unis. Éd. Rivages, 224 p., 20 €. Élisabeth Miso

ROMANS

Couverture du livre de Karl Ove Knausgaard, Fin de combat

Karl Ove Knausgaard, Fin de combat. Il faut avoir un peu de temps pour soi, être dans un paysage que l’on aime particulièrement, imaginer des fjords norvégiens, un héros norvégien, une écriture puissamment littéraire, et se laisser subjuguer par les 1405 pages de Fin de combat, de Karl Ove Knausgaard, tome 6 et dernier de sa vaste entreprise autobiographique. « (...) Il faut savoir bien regarder. Il faut savoir bien regarder. Il aurait pu dire que les petites choses sont importantes; il ne l’avait pas dit. Il aurait pu dire que l’amour du prochain est primordial ; il ne l’avait pas dit. Il n’avait pas dit non plus ce qu’il fallait regarder ; il avait dit seulement qu’il fallait bien regarder (…) » Avec Fin de combat, l’auteur achève son œuvre autobiographique, ultime combat de celui qui termine son récit de mise à nu absolue de l’homme et de l’écriture par cette phrase énigmatique : « Je ne suis plus un écrivain. » Tout le roman raconte comment il devient un auteur, comment il écrit – il écrit exactement ce qu’il pense, allant jusqu’au bout du récit de lui-même, acceptant tout ce qui vient, sans juger, sans contester, révélant tout, jusqu’à la disparition même de celui qui révèle. Il nous raconte son quotidien partagé et parfois difficilement conciliable entre l'écriture et l'éducation de ses trois enfants en bas âge, l’entreprise des tomes précédents, l’imminente publication, jusqu'à ce que son oncle qui a reçu et lu les épreuves, lui dise être opposé à la publication du premier tome. « C'est dans ce but, devenir riche, que, moi, j'avais exposé ma propre famille sur la place publique. Publier un tel livre était résolument inacceptable. » Si le premier tome, La mort d’un père, revenait sur les relations difficiles avec le père, Fin de combat est ainsi l’occasion pour le narrateur d’un retour sur lui-même et sur le projet autobiographique de plusieurs milliers de pages dans son ensemble. Une prodigieuse entreprise littéraire. Les autres tomes, tous distincts les uns des autres, ont paru en Folio. Le prix Médicis de l’Essai étranger 2020 a été décerné à Karl Ove Knausgaard pour Fin de combat. Éd. Denoël, traduit du norvégien par Christine Berlioz, Jean-Baptiste Coursaud, Marie-Pierre Fiquet et Laila Flink Thullesen, 1408 p., 32 €. Corinne Amar

Couverture du livre de Blandine Pluchet, L'univers sous mes pieds

Blandine Pluchet, L’Univers sous mes pieds. Les temps modernes ont changé nos manières de vivre. Quand autrefois, nous avions le nez vers le ciel, aujourd’hui nous ne regardons plus que vers le bas les yeux rivés à nos téléphones portables, et nous semblons oublier l’essentiel. Voilà ce que nous dit cette jeune astrophysicienne, écrivaine qui nous livre ici le récit de ses marches effectuées dans la nature, de jour comme de nuit, et se souvient de sensations, de souvenirs d’enfance en pleine nature, de rêves qui cherchaient à rejoindre les astres, et de nuits à la belle étoile pour se lever avec le soleil et aller marcher dès l’aube. Ode à la vie, à l’espace, à la lenteur. Faire un bout de chemin dans la nature au plus près d’un auteur, c’est d’ailleurs le bel objet de cette collection qui s’appelle Marcher avec et s’adresse aux marcheurs, aux flâneurs responsables et éveillés en compagnie de personnalités de la littérature, de l’écologie, du sport… « La lenteur de la marche rend mes perceptions de l’environnement plus fines et il devient plus vaste. Comme si le monde traversé à grande vitesse n’avait qu’une seule dimension, celle où on avance frénétiquement, sans poser ses idées, sans s’attarder sur les détails, alors que la lenteur rend à l’espace ses diverses dimensions. » L’auteure nous invite à l’observation de ce qui nous entoure, à la conscience des liens qui existent entre le vivant et l’Univers, son histoire et celle de la vie sur terre, nous fait part de ses sensations, de ses émotions, de sa quête de la solitude, indispensable, qui la relie à elle-même, et en même temps n’enlève rien à une part de souffrance, puisqu’elle éloigne des autres. Elle égrène ainsi tel un Journal, les années, les saisons, les lunes, les ciels rose ou sombres, clairs ou glacés, les étoiles, les souvenirs puisés loin, depuis l’enfance, l’adolescence, et interroge le monde : de quelle histoire sommes-nous faits, sommes-nous porteurs de par nos atomes ? Éd. Salamandre,150 p., 19 €. Corinne Amar