Difficile de cerner ce remarqué premier roman d’un poète écrivain, lauréat de la mention spéciale du jury du Prix Wepler Fondation La Poste 2024, pour Mythologies du .12. C’est par la poésie que Célestin de Meeûs est venu à la nouvelle et au roman, confie-t-il, dans ses entretiens, parce que la poésie lui est indispensable pour « l’obligation de précision » nécessaire à l’écriture narrative.
D’où une écriture architecturée, précise, ciselée, des phrases longues comme des paragraphes sans point, traversées de virgules, d’un seul souffle, même respiration, même tempo… Qui dit le vague-à-l’ âme de la mélancolie et de l’ennui ensemble, un soir de solstice d’été, de celui qui vient se rouler des joints devant le magasin Carrefour, assis sur le muret du parking au milieu des champs dans un coin perdu de Wallonie, à regarder le monde occupé à ses petites affaires et attendre son pote Max qui se demande par sms « ce qu’il branle. « c’était d’ailleurs parfois simplement ça qu’il venait rechercher ici : l’image des gens vaquant à leurs occupations comme si la simple vision de cette banalité le rassurait, le faisait se sentir moins seul, en vain pourtant puisque chaque fois il se sentait, non pas comme tous les autres, ni même au-dessus des autres, mais « à côté ».
Le roman nous décrit le désarroi de ces deux jeunes, Théo et Max, le premier soir des vacances scolaires. Corps et âmes errants mais libres au moins de se balader où ils voulaient, à fomenter l’avenir et à rêver de foutre le camp en ce 21 juin, premier jour de l’été, et peut-être même, qui sait, d’une nouvelle vie ? Au même moment, nous est décrit une autre dérive, celle du Docteur Rombouts, médecin entre deux âges, blasé et alcoolique, rentrant chez lui au volant de sa belle voiture, après une journée fastidieuse d’hôpital et de misère, de consultations dans une pièce, blanche, aseptisée et épurée, à trois quarts d’heure en voiture de Bruxelles, un hôpital ce qu’il y avait de plus provincial dans un petit pays comme la Belgique. Un homme fatigué qui se dit qu’il serait mieux chez lui à boire un verre sur sa terrasse ensoleillée, son havre de paix qu’il ne quitterait pour rien au monde, et qui va rejoindre le quartier des belles villas en bord d’étang, tout en sachant sa grande maison vide, sa femme l’ayant désertée (ne l’aurait-il pas trompée un soir d’égarement ?), partie avec les enfants. Et de plus, forcé de payer le loyer de son nouvel appartement « sinon tu ne les reverras jamais, lui avait dit Françoise » en embarquant les enfants avec elle. Plus de vie rangée, plus de famille modèle, plus de havre de paix. Constat amer. L’auteur nous entraîne dans ces deux mondes face à face, hermétiques l’un à l’autre, parallèles, où chacun déverse ses angoisses et délires en soliloques, ressassant son impuissance et toute impossibilité de communiquer, et la violence de son vide intérieur dans la lumière rasante du paysage, le chant des oiseaux dans les derniers rayons du soir.
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