Lettre du général de Gaulle adressée au général Weygand, le 20 juin 1940.
Avec son appel à continuer la lutte lancé le 18 juin, alors que le gouvernement dirigé par Pétain a entamé des négociations pour l’armistice, le général de Gaulle fait acte de rébellion. Il est immédiatement sommé par son supérieur hiérarchique au sein de l’armée, le général Weygand, de rentrer en métropole. De Gaulle lui répond le 20 juin qu’il ne rentrera qu’à la condition que le gouvernement français ne capitule pas.
Londres, 20 juin 1940
Mon général,
J’ai reçu votre ordre de rentrer en France. Je me suis donc tout de suite enquis du moyen de le faire, car je n’ai, bien entendu, aucune autre résolution que celle de servir en combattant.
Je pense donc venir me présenter à vous dans les 24 heures si, d’ici là, la capitulation n’a pas été signée. Au cas où elle le serait, je me joindrais à toute résistance française qui s’organiserait où que ce soit.
À Londres, en particulier, il existe des éléments militaires – et sans doute en viendra-t-il d’autres qui sont résolus à combattre quoi qu’il arrive dans la métropole.
Je crois devoir vous dire très simplement que je souhaite pour la France et pour vous, mon général, que vous sachiez et puissiez échapper au désastre, gagner la France d’outre-mer et poursuivre la guerre. Il n’y a pas actuellement d’armistice possible dans l’honneur.
J’ajoute que mes rapports avec le gouvernement britannique – en particulier avec M. Churchill – pourraient me permettre d’être utile à vous-même ou à toute autre haute personnalité française qui voudrait se mettre à la tête de la Résistance française constituée.
Je vous prie de bien vouloir accepter, mon Gal [général], l’expression de mes sentiments très respectueux et dévoués.
C. G.
Guy Vourc’h dit « Non ». Originaire du Finistère, élève à l’école des élèves officiers de Fontenay-le-Comte en 1940, Guy Vourc’h refuse l’appel à cesser le combat prononcé par Pétain à la radio le 17 juin, comme il l’explique dans cette lettre adressée à ses parents le même jour. Après plusieurs échecs pour traverser la Manche, il parvient à rejoindre l’Angleterre, avec son frère Jean, le 1er novembre 1940 à bord d’un bateau de pêche qu’il a lui-même acheté, avec l’aide de sa famille. Il s’engage quatre jours plus tard dans la France libre et intégrera en 1942 le 1er bataillon français des fusiliers marins (commando Kieffer).
Le 17 juin 1940
Chère maman, cher papa,
L’horrible nouvelle vient de nous arriver. Partout dans la caserne des visages en larmes, des traits crispés. Avoir vécu pour voir cela ! avoir connu une honte semblable – et de la bouche de Pétain ! Capituler alors qu’il y a tant et tant de forces qui n’ont pas été engagées – quelle trahison ! Nous ne savons pas ce que l’on va faire de nous.
Je pense, nous faire passer aux colonies ou en Angleterre. Si on veut nous laisser ici ou nous démobiliser, je pars à Nantes avec des camarades et je passe en Angleterre. Je ne veux pas connaître l’humiliation de vivre dans cet affreux pays – d’être vaincu sans avoir combattu. Je vous donnerai de mes nouvelles. Qu’est devenu Jean ?
Je vous embrasse tous – et croyez que je pense à vous jusqu’au bout.
Au revoir
Guy
Lettre de Jean Moulin à sa mère et à sa sœur, 15 juin 1940.
Dans cette lettre écrite la veille de l’arrivée des Allemands à Chartres, Jean Moulin cherche à rassurer sa mère et sa sœur à qui il n’a pas pu donner de nouvelles pendant plusieurs semaines. Il témoigne également du sens du devoir et du patriotisme qui l’animent et évoque la possibilité d’avoir à s’opposer aux Allemands lorsqu’ils seront là, ce qu’il fera effectivement deux jours plus tard en tentant de se suicider pour ne pas signer un texte déshonorant.
15 juin 1940
Bien chère maman, bien chère Laure,
Je ne vous ai pas donné de mes nouvelles ces derniers jours. La faute en est aux événements tragiques que j’ai vécus. J’ai vu bien des misères humaines. Mon réconfort a été de voir bien des dévouements obscurs, des dévouements que tout le monde ignorera toujours, hormis quelques spectateurs. Mon pauvre département est mutilé et saignant de toute part. Rien n’a été épargné à la population civile. Et quand vous recevrez cette lettre, j’aurai sans doute rempli mon dernier devoir. Sur ordre du gouvernement, j’aurai reçu les Allemands au chef-lieu de mon département et je serai prisonnier. Je suis sûr que notre victoire prochaine – grâce à un sursaut d’imagination du reste du monde et à l’héroïsme de nos soldats (qui valent mieux souvent que l’usage qu’on en fait) – viendra me délivrer. Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger.
Si par hasard je ne revenais pas de cette aventure, je voudrais que vous réalisiez un souhait que je formule de tout mon cœur. Je voudrais que Laure adoptât un tout jeune orphelin parmi les réfugiés français.
Ce serait pour moi comme un prolongement. Je sais que vous le ferez. Je suis en parfaite santé malgré les fatigues de ces derniers jours.
Je pense à vous de tout mon cœur.
Jean
Si les Allemands – ils sont capables de tout – me faisaient dire des choses contraires à l’honneur, vous savez déjà que cela n’est pas vrai.
Arrêté lors d’une manifestation organisée par les Jeunesses communistes (JC) à Paris sur les Grands Boulevards, le 13 août 1941, Samuel Tyszelman, l’un des cadres des JC, est condamné à mort par le tribunal militaire allemand de Paris et exécuté le 19 août 1941. Si l’attentat du métro Barbès-Rochechouart organisé deux jours plus tard répond à la volonté du Parti de développer des actions armées contre l’occupant depuis le déclenchement de l’opération Barbarossa contre l’URSS, il représente aussi pour Pierre Georges une façon de venger « Titi ».
Paris, prison de la Santé, le 19 août 1941
1 heure 1/2 du matin
Très chers parents et très chère sœur,
Ceci seront certainement les derniers mots que j’écrirais : mes dernières pensées vont à vous. Si, dans ma vie, je vous ai parfois fait quelques misères, pardonnez-moi, d’ailleurs je suis sûr que vous m’avez déjà pardonné. Je vous demanderai surtout une chose à laquelle, je suis sûr, vous ne me refuserez pas de m’obéir, surtout, en quelques sortes, que ce sont mes dernières volontés. Soignez-vous bien et élevez bien Fleur et faites que ce soit vraiment une bonne fille, digne des excellents parents que vous avez toujours été. N’oubliez pas que Fleur n’a que vous au monde, reportez donc sur elle toute l’affection que vous avez eue pour moi et gardez-vous bien d’être malades ; que voulez-vous quand le sort est contre vous et qu’il n’y a rien à faire, on ne peut des fois qu’être passif et se plier aux coups de la destinée. Vous transmettrez tous mes adieux à toute la famille, oncles, tantes, cousins et cousines et vous m’excuserez auprès d’eux si je n’ai pas toujours été correct avec eux.
Vous transmettrez aussi mes adieux à tous les voisins et vous direz aussi au concierge que je lui pardonne s’il n’a pas été très chic avec moi ces derniers temps. Vous transmettrez aussi mes adieux à tous mes amis.
Comme vous le voyez j’ai beaucoup pensé à tout le monde dans mes derniers moments. Vous verrez dans mes affaires de camping, il y a une tente qu’il faut rendre, elle appartient à un copain qui est prisonnier et qui fumait toujours de gros cigares. Tu dois te souvenir de lui pendant la guerre, quand il est venu en permission il dînait chez nous. N’oubliez surtout pas de transmettre un adieu au cousin qui est prisonnier en Allemagne, car c’était un bon gars. Je n’ai plus grand-chose à vous dire si ce n’est que jusqu’au dernier moment je penserai à vous.
Encore une fois, soignez-vous bien afin de vous garder pour Fleur.
Bonjour à tout le monde ou plutôt Adieu.
Tous mes baisers pour toi maman, pour toi papa et pour toi Fleur.
Je vous adore.
Votre fils.
Adieu.
Samuel