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Épistolaire N°50. Colette en toutes lettres. Par Gaëlle Obiégly

édition octobre 2024

Articles critiques

Qui est Colette ? Cette question pourra trouver des réponses dans le nouveau numéro de la revue Épistolaire qui consacre son dossier principal aux lettres de la romancière. La correspondance de Colette, telle qu’elle nous est parvenue, forme une mosaïque épistolaire fascinante, un véritable témoignage de la richesse et de la complexité de son œuvre et de sa vie.

L’intérêt pour les lettres de Colette est apparu de son vivant. Cette curiosité est due non seulement à sa renommée, construite à travers scandales et succès, mais aussi à la qualité esthétique de ses lettres. Elles sont écrites sur du papier bleu. Dès les années 1920, c’est une marque distinctive de son style. Ses lettres, à la fois portes ouvertes sur son intimité et objets de collection prisés, ont circulé plus largement que Colette ne l’aurait souhaité. Cependant, n’ayant pu l’empêcher, Colette a décidé de diriger elle-même la publication de ces lettres, qui sont aujourd’hui considérées parmi les plus belles et importantes de la littérature.

Grâce au riche dossier que lui consacre ce nouveau numéro de la revue Épistolaire, on pourra prendre connaissance des spécificités de cette correspondance, dont le contenu varie d’un destinataire à l’autre.
Cette correspondance doit être vue comme un prolongement de son œuvre littéraire. Les critiques, dont Bernard Bray, ont relevé dans ses premières lettres une écriture vive et libre, préfigurant le style de Claudine. Colette y faisait ses premiers pas, imitant avec finesse les styles de ses correspondants, tels que Marcel Schwob ou Catulle Mendès, tout en affirmant sa propre voix, unique et singulière.

Pour Colette, la lettre n’était pas un simple mode de communication, mais un lieu privilégié d’expression sincère, comme elle le montre dans des œuvres telles que La Vagabonde (1910) et Mitsou (1917). Séparée, sans fortune, elle a dû multiplier les activités pour survivre, tout en trouvant des interstices dans sa vie trépidante pour écrire. Journaliste, critique, mime, comédienne, conférencière, publicitaire, et même marchande de cosmétiques, son écriture s’alimente de toutes ces expériences. Dans ses lettres, elle puise des anecdotes, des observations qui, retravaillées, se transforment parfois en pages entières de romans.

Ainsi, la correspondance de Colette est plus qu’un simple reflet de sa vie quotidienne. Elle constitue un véritable laboratoire de création littéraire, où l’écrivaine peaufine son style, affine sa voix et compose une œuvre qui, bien que fragmentée à travers ses lettres, demeure tout aussi vivante et captivante que ses romans.

Les lettres de Colette présentent plusieurs caractéristiques marquantes, qui se dévoilent à travers l’analyse que leur consacrent les chercheurs réunis par le dossier de la revue.
La correspondance de Colette, comme beaucoup de lettres écrites par des femmes, a longtemps été perçue comme appartenant à un « genre féminin ». Ce jugement est basé sur un supposé manque d'exigence formelle et un intérêt particulier pour les détails de la vie quotidienne. L’art épistolaire pratiqué par les femmes est souvent vu comme un prolongement naturel de leur maîtrise de l’expression orale, lit-on dans ce dossier.

Il est notable que Colette accorde une place particulière à ses lettres d'amour, mais paradoxalement, elle a choisi de détruire la plupart d’entre elles. Elle croit que l'amour ne doit pas être conservé sous forme de lettre par crainte de le voir mourir ou se figer. Elle compare cette destruction à une sorte de nettoyage symbolique qui la protège d'une exposition trop intime.

Dans sa correspondance avec ses pairs, Colette révèle sa capacité à s'adapter à ses interlocuteurs, qu'ils soient des écrivains renommés ou des figures du milieu mondain. On y retrouve des échanges avec des personnalités littéraires comme Marcel Schwob, Paul Valéry, Marcel Proust, André Gide, Sacha Guitry, et bien d’autres. Ces lettres sont des témoignages précieux des « réseaux d’amitié littéraire et de camaraderie » qui unissaient Colette à ces écrivains de renom.

Une autre caractéristique relevée par ces articles fouillés tient à la vivacité de ton de Colette.
En effet, ses lettres, tout comme son œuvre littéraire, se distinguent par leur « fluidité » et leur spontanéité. Elle sait capturer dans ses courriers des fragments de son existence pour en faire des moments littéraires de grande intensité. On y perçoit la souplesse de son écriture, capable de passer d'un ton léger à une profondeur sincère.
C’est véritablement un espace littéraire où s'expriment des aspects variés de sa personnalité : la délicatesse des sentiments amoureux, la solidité de ses amitiés littéraires et sa maîtrise stylistique. Ses lettres sont à la fois des objets intimes et des témoignages d'une époque, un prolongement de sa vie et de son art.

Parmi les amitiés dont témoignent les lettres, il y a celle qu’elle entretient avec Hélène Picard. La correspondance entre Colette et Hélène Picard chronique une relation de plus de vingt-cinq ans, marquée par la bienveillance, l’admiration réciproque et une profonde intimité littéraire. Hélène Picard est une poétesse méconnue, restée dans l’ombre de Colette. Ces deux femmes, nées la même année en 1873, ont des parcours très différents. Elles se retrouvent pourtant dans un lien qui se nourrit de leur passion commune pour l’écriture et leur esprit d’indépendance.
Hélène Picard, issue de la petite bourgeoisie provinciale, menait une vie rangée d’épouse à Privas, en Ardèche. Mais, insatisfaite et solitaire, elle a décidé de tout quitter en 1919 pour s’installer à Paris et tenter de vivre de sa plume. C’est dans les bureaux du journal Le Matin, où Colette dirigeait une rubrique, que les deux femmes se sont rencontrées. Elles ont rapidement sympathisé. Colette l’intègre à son cercle d’amis, et la poétesse découvre une vie parisienne bouillonnante. La correspondance entre Colette et Hélène Picard témoigne de leur amitié indéfectible. Cette correspondance est le reflet de leur complicité, mais aussi du soutien que Colette apportait à une amie isolée, tant sur le plan personnel que professionnel.

Autre cas de soutien apporté à un poète, celui de Léon Deschamps et du groupe des Vivants à Paul Verlaine. Une étude est consacrée à l’aide douteuse dont a bénéficié le poète. Douteuse car elle est le fruit d’une démarche mêlant philanthropie et stratégies publicitaires. Entre 1889 et 1890, Verlaine connaît une situation précaire marquée par des hospitalisations fréquentes et la pauvreté. Léon Deschamps, directeur de la revue La Plume, organise alors une souscription pour publier une édition de luxe de son recueil Dédicaces afin de soutenir Verlaine. Deschamps exploite l'image misérabiliste du poète agonisant pour attirer la compassion des lecteurs, malgré les protestations de Verlaine qui rejette cette représentation exagérée de sa condition.

Grâce à une campagne habile, comprenant la publication des noms des souscripteurs et des éditions signées par Verlaine, plus de 350 souscriptions sont réunies, permettant au poète de toucher une somme importante. Cependant, l'argent est rapidement dépensé, forçant Deschamps à rationner les fonds pour éviter que Verlaine ne les dilapide immédiatement. Ce dernier est conscient des motivations intéressées de son bienfaiteur. Leurs relations se détériorent tandis que le soutien de ses amis du groupe des Vivants témoigne d’une véritable amitié entre auteurs.