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Discours des lauréats de la 27e édition du Prix Wepler Fondation La Poste

Thomas Clerc
Prix Wepler Fondation La Poste 2024  

Photo de Thomas Clerc faisant son discours de réception du prix
Thomas Clerc
© David Raynal

Remerciements informels : mesdames et messieurs les membres du jury, , les différentes librairies qui m'ont soutenu, Olivier Michel de L'humeur vagabonde, Lucie Éplé du Pied à terre, Géraldine de la Librairie de la place Clichy, et la librairie Gibert de Barbès, avec mention spéciale pour Marie-Rose Guarnieri et sa belle librairie des Abbesses, je remercie également les nombreux journalistes et les divers membres des différents jurys qui ont soutenu mon livre 

             Comment ne pas remercier évidemment mon éditeur TS et toute l'équipe des Éditions de Minuit qui ont travaillé pour faire sortir cette fleur du pavé ?  

            Mesdames et Messieurs les membres du jury,

            C'est un grand plaisir et un bel honneur que vous me faites en couronnant mon livre Paris, musée du XXIe siècle, le 18e arrondissement, paru depuis cette rentrée aux Editions de Minuit. J'en suis extrêmement touché. Certains pourraient en conclure un peu rapidement qu'il s'agit d'une récompense régionale. Eh bien non ! Certes il s'agit bien, comme indiqué sur la 4e de couverture, d'une description intégrale des 425 rues de ce quartier bien connu de Paris, mais comme je n'ai mis que trois ans à l'écrire je me suis dit que j'avais dû, dans ma hâte, oublier pas mal de choses : et en effet, je m'aperçois avec consternation que j'ai oublié de mentionner :

 ma visite à l'Arena de la Porte de La Chapelle pendant les jeux olympiques de badminton, le graffiti "Hourra ! vive l'argent !" déposé sur le CIC de la rue Ordener, j'ai oublié le pied-à-terre de Georges Bataille 74 rue Vauvenargues, j'ai oublié la "pâtisserie/confisserie" (sic) de la rue de Suez, j'ai oublié le chien Guinness du gérant de la Vieille pie, j'ai oublié de décrire le barbier égyptien qui dessine dans la mousse à raser des signes cabalistiques sur mes joues en feu pendant qu'il me rase, j'ai oublié le lupanar de fortune qui a poussé récemment pour soulager les pauvres bougres de la place Torcy, j'ai oublié l'inscription du nom de mon psychanalyste dans la pierre du 17 rue Marcadet, la camionnette des chiffonniers bulgares, les joueurs de Loto qui déchirent consciencieusement leur tickets à côté du Pactole, j'ai oublié que la poissonnerie de la rue Duhesme vend le kilo de lotte au prix record de 68 euros, j'ai oublié les conducteurs des bus 35, 38, 40, 60, l'appartement de Nicole Notat, mon intronisation dimanche dernier à la République de Montmartre, et la chanson d'Yvette Guilbert "cligne en haut ! cligne en bas ! cligne en court !" — et bien d'autres choses encore, mais qu'à cela ne tienne (an men, comme disait un cabaretier de l'esprit de Montmartre), je ne ferai aucune retouche ! Il y a déjà bien assez de pages dans mon livre, exactement 615.

            En outre, depuis sa parution, quelques rues sont écloses comme ça sans me prévenir…

            Malgré ces omissions et ces erreurs (que certains esprits pointillistes prennent un malin plaisir parfois à me signaler), vous avez tenu mesdames et messieurs les membres du jury, à récompenser mon 18e — et je vous en remercie encore.

            Je suis particulièrement heureux de recevoir et de fêter ici mon prix dans cette magnifique brasserie Wepler, la plus belle de Paris et je le dis sans flatterie car je le pense.

            Je le pense parce que c'est dans cette brasserie que dans une vie antérieure nous avons fêté le mariage de mon ami Bruno Gibert, habitant du 18e, auquel j'ai dédié mon livre. Je le pense parce que j'ai une ascendance de cafetier/hôtelier/restaurateur  qui a été un élément sensible du décor de mon enfance : mon père Maurice Clerc, qui vécut rue Ramey, fut directeur financier du Club Méditerranée, et mon frère Thierry dirigea la Claire fontaine à La Garde-Freinet, dans le Var, là même où Patrick Modiano écrivit le début de La Place de l'étoile en 68. Nous ne sommes pas Place de l'étoile mais place de Clichy au Wepler 522.53.24 ou 522.53. 28 (pour ceux qui croient que j'invente, j'ai la preuve en mains : l'annuaire officiel des abonnés au téléphone 19 cent soixante-dix-huit évidemment)

            Je le pense, enfin, parce que dans une première version du livre, j'entamais mon odyssée par l'Ouest de l'arrondissement et me déplaçant vers l'Est, je commençai par la Place Clichy et son Wepler en parodiant le début du Voyage au bout de la nuit "ça a débuté comme ça". Puis sur les avisés conseils de mon cher éditeur, que je salue ici, Thomas Simonnet, j'ai inversé l'ordre des quartiers, commençant par le mien, La Chapelle, et terminant par celui-ci, les grandes Carrières, ce qui fait que la fin du livre devient le début de soirée.

            J'espère, plus sérieusement, avoir un peu dépassé le seul échelon local avec ce 18e qui n'est pas plus le mien que le vôtre, et curieusement, je n'ai jamais eu cette crainte car je savais que le 18e contient tous les autres arrondissements, contient toutes les autres villes, et toutes les autres capitales du monde, bref réunit même celles et ceux qui n'ont jamais ni gravi la Butte ni franchi les portes du Wepler.

            Comme vous le savez, nous sommes à deux pas de l'ex Gaumont-Palace, où mon grand-père René m'emmena à plusieurs reprises dans les années 70, avant sa démolition scandaleuse. Pour aller au cinéma, nous allions à pied de la rue Ramey à la place Clichy; bien sûr nous n'allâmes jamais ensemble au Wepler interdit aux enfants, car sa dominicale mission consistait à me divertir : je me souviens de trois films que nous vîmes ensemble au Gaumont-Palace : Un violon sur le toit (une comédie musicale), les 10 commandements, et, comme je mentionne à la page 590 du livre que je ne me souviens plus du troisième film que nous regardâmes ensemble, je m'en souviens à présent : il s'agissait de la pitoyable comédie troupière de Robert Lamoureux Mais où est donc passée//la 7e compagnie? — n'oublions que nous sommes le 11 novembre. Bien pénible dut sembler à mon grand-père cette grosse farce militaire, lui qui avait fait la guerre de 14 comme prisonnier dans des conditions terribles.  C'est à lui que je pense ce soir et c'est lui, d'ailleurs, qui clôt mon livre, dont la mélancolie se cache en embuscade, je crois, derrière le rythme, comme un alexandrin se cache dans le titre de la comédie précitée, si vous avez l'oreille…

            Mais puisque les noces du plaisir et de la littérature ne sont plus à démontrer, et que je ne tiens pas à garder la parole plus longtemps, je cèderai la parole à Francis Carco, l'auteur bien connu de Jésus la Caille : "quand je n'aurai plus rien à dire, je prendrai une boîte à Montmartre !"

            Encore merci à toutes et à tous
            Vive le 18e !
            Vive le prix Wepler
            Vive la littérature !


Célestin de Meeûs 
Mention spéciale du jury du prix Wepler Fondation La Poste 2024

Célestin de Meeûs faisant son discours de réception de la Mention spéciale
Célestin de Meeûs
© David Raynal

Être parmi vous ce soir, recevoir un prix a toujours quelque chose de déroutant, voire de bizarre ou de morbide puisque le texte primé est devenu une sorte de fantôme le jour où épuisé l'on y a mis un point final, comme si, pour un moment, nous avions fait le deuil de quelque chose, ou plutôt comme si nous avions cru (avec ce point final exténué) avoir enfin réglé nos comptes avec une obsession, un rythme, une musique ou un démon. 

Mais les fantômes existent et les fantômes — comme l'écriture — se nourrissent de sueur, d'acharnement, et ont cet avantage de nous apprendre à vivre puisque, d'une manière ou bien d'une autre, comme c'est le cas ce soir, pour le jury du prix Wepler comme pour moi-même, nous continuons à les défendre, à leur donner une chance de nous hanter. 

Aussi, nul d'entre nous ne serait là ce soir sans les immenses lectures qui nous ont faits.

Il y a dix ans exactement j'ai cru ou j'ai compris que l'écriture, et plus particulièrement la poésie, était ce qui me permettrait de vivre le plus radicalement. Tout cela, je le dois à de nombreux écrivains (que jusque-là je croyais morts ou relégués à un lointain passé), parmi lesquels Fedor Dostoïevski, Roberto Bolaño, Joseph Brodsky, Tom Nisse, Inger Christensen, Laszlo Krasznahorkai, Svetlana Alexievitch, Imre Kertesz, William Faulkner, Louis Paul Boon, etc. 

Mais je dois également ma présence ici ce soir à toute l'équipe des éditions du Sous-sol, que je remercie profondément pour leur confiance et l'excellent travail qu’ils et elles fournissent, déploient. Merci à Adrien, donc, à Géraldine, Philippe, Tiffanie, Julie, Virginie, Frédéric et Stéphanie. 

Merci enfin à tous les membres du jury pour cette mention spéciale et les fantômes qu'ils réussissent à maintenir en vie.

Bonne soirée à toutes et à tous.                                             

Lieu

Paris 18e

Dates

Le à 21:00