La correspondance est extraite des plus de 500 cartes postales et lettres plus ou moins longues qu’échangèrent Frédéric Benrath et Michèle Le Roux, rebaptisée Alice en 1976 (puis Alice Baxter l’année suivante qui vit la sortie du film de Marguerite Duras intitulé Véra Baxter), à partir de leur rencontre en août 1969. Ils s’écrivirent très fréquemment jusqu’en 1981, lorsqu’ils étaient bien sûr séparés, mais aussi lorsqu’ils étaient tous deux à Paris, leur arrivant assez souvent d’aller eux-mêmes apporter la lettre qu’ils avaient écrite à son destinataire, soit en la glissant dans la boîte prévue à cet effet, soit en la lui remettant directement de la main à la main au moment de se retrouver. Leur correspondance, longtemps maintenue « secrète » se poursuivit jusqu’à la mort de Benrath en 2007.
La partie retenue de cette correspondance porte principalement sur la création artistique. De très nombreuses lettres de Benrath sont étroitement liées à sa vie de peintre. « Je suis persuadé, affirme-t-il le 20 juillet 1975, que l’écriture et en ce qui me concerne la correspondance est le processus qui déclenche la réflexion, la remise en cause, en un mot ce qui me tue et me fait renaître à autre chose ». Et quelques jours plus tard (le 29 juillet) : « Je crois que ma correspondance en général, mais celle que j’ai avec toi surtout, m’aide non seulement à exorciser mes démons, mais à les utiliser, à renverser de ce fait leur nocivité, à les rendre créatifs si je puis dire ». Benrath y réfléchit sur son art en même temps qu’il y déverse sa souffrance et s’abandonne à ses doutes. Les lettres paraissent parfois lui servir à repousser l’affrontement avec la création, mais elles l’aident en même temps à surmonter l’angoisse et l’empêchent de s’effondrer totalement.
Cette correspondance peut se lire, entre autres points de vue, comme l’échange d’un artiste à une autre artiste, entre une jeune presque-peintre, encore à l’état d’ébauche, à l’état embryonnaire, et un peintre avéré, déjà riche d’une longue expérience. L’une se destinant à la peinture devint écrivaine à part entière de textes exclusivement consacrés à la peinture. L’autre se destinant à une double carrière de peintre-poète devint peintre à part entière, sans avoir pour autant totalement abandonné une certaine recherche en écriture. Étrange chassé-croisé en pied-de-nez au destin. D’où cette double réflexion (pourrait-on dire « réflection » ?), menée de front, sur la création artistique, à la fois littéraire et picturale. Subtil et inextricable jeu de reflets et de miroirs.
Alice Baxter & Frédéric Benrath
Ces petits tas d’ombre et de lumière
Correspondance croisée choisie 1969-2007
Éditions L'Atelier contemporain, 4 novembre 2022
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation La Poste