FloriLettres

Lettres choisies - François Truffaut, Correspondance

édition mars 2022

Lettres et extraits choisis

François Truffaut à Jean Cocteau

François Truffaut
33, rue de Navarin
Paris IXe

Le 10 [novembre 1948]

Maître,

Ici, pas de flatteries, pas de bla bla bla d’usage, pas non plus de ces formules clichés qui n’ont pour résultat que de dissimuler la véritable personnalité de celui qui les emploie.
Je fonde un club de cinéma sans aucune publicité d’aucune sorte ; la séance inaugurale aura lieu dimanche 14 de ce mois avec Le Sang d’un poète. De votre présence ou absence dépend la vie ou la mort du Cercle Cinémane. Le Cercle est un enfant né prématurément, il a peu de chances de vivre ; aussi, il lui faudrait une couveuse, en l’occurrence vous. Si vous acceptez de présenter dimanche matin à 10 h Le Sang d’un poète, l’enfant vivra, sinon ce sera un mort-né de plus. C’est avec un peu d’angoisse et beaucoup d’espoir que j’attends, maître, votre réponse.
Recevez, avec cette supplique, mes respectueuses et admiratives salutations.
F. Truffaut


Jean Genet à François Truffaut

Jeudi [30 août 1951]

Mon cher François,

Tout est donc pour le mieux. Votre vérole s’est montrée au beau moment. Moraliste, je déplorerais qu’on vous évite l’Indochine : c’est les malades qu’on devrait, les premiers, envoyer à la casse. Je vais en Allemagne samedi. Je ne passerai donc pas vous voir. Mais Jean – s’il y songe encore – vous portera les Situations.
Bon, en toute sincérité, j’ai pensé que les Séries Noires vous plairaient. Tant mieux que non : vous n’êtes donc pas un intellectuel poseur.
Que vous souhaiter ? La guérison ? La prison ? L’hôpital où vos flics sont – selon vous – charmants ? La liberté ? Vous ne semblez guère y tenir. J’ai peur que vous ayez l’âme d’un desperado. En ce cas, il faut en prendre votre parti, accomplir votre destin et crever une grenade à la main.
Je vous aime bien tout de même et je vous embrasse amicalement.
Jean Genet


François Truffaut à Louise de Vilmorin

De Bry, ce mardi-là au soir
216 à Bry-sur-Marne
[7 mai 1952]

Chère Madame,

Veuillez pardonnez et excuser ma gaucherie quand vous êtes venue me voir. Si je devine que vous ne me reprochez rien, je crains que ma maladresse ait été, à vos yeux, justifiée par un pittoresque que je refuse de me reconnaître.
Cette lettre est à côté de nos « affaires » puisque je ne sais quand vous la recevrez.
Simplement j’avais besoin de dissiper un malentendu que je pressentais en vous priant de ne prendre point mes mauvaises manières ni pour une attitude, ni pour de l’inconscience charmante ; il n’y a, en vérité, que manque d’éducation, anxiété et timidité excessive, imperfections graves que je déplore et de quoi je tente de me corriger.
Voilà l’impression que je crois vous avoir faite ; quant à vous, vous avez été parfaite en tous points et votre mérite était d’autant plus grand que l’était ma gaucherie.
Par ailleurs, je vous remercie de vouloir bien vous occuper de moi et vous prie d’agréer mes respectueuses salutations et mes vœux de bonne santé.

François

P.-S. Quatre-vingt-trois ans, me disiez-vous avoir, me permettez-vous de dire que vous en portez le tiers et… en plein jour ?


Henri Pierre Roché à François Truffaut

2, rue Nungesser-et-Coli
Sèvres (S. & O.)

3 avril 59

Cher jeune ami,
Votre bonne lettre !
Si je vais mieux, j’irai voir Les 400 Coups à Paris. Vous me direz où on les donne ? Ce n’est guère plus fatigant qu’à Sèvres.
J’ai relu aussi Jules et Jim. Je n’essayerai de le visualiser sur un écran qu’après en avoir bien parlé avec vous, et connu votre plan d’adaptation.
En voulez-vous encore des exemplaires ?
Grand merci pour les photos de Jeanne Moreau. Elle me plaît. Je n’ai bien sûr, pas pu sortir pour voir Amants. Je suis content qu’elle aime Kathe ! J’espère la connaître un jour.
Oui venez me voir quand il vous plaira, à votre retour, je vous attends.
Votre fidèle

Henri Pierre Roché

Je vous écris toujours aux Cahiers du Cinéma ?


Elie Wiesel à François Truffaut

Le 12 septembre  [1960]

Cher François Truffaut,
Quand Helen Scott m’a téléphoné, il y a quelques semaines, et m’a remis votre message, je lui avais répondu : « Je vais lui écrire pour lui dire mon émotion. » Timide, je ne l’ai pas fait. J’avais tort.
J’ai vu Les Quatre cents coups avant. Je crois l’avoir compris. Il s’en dégage une puissance, une profondeur, une simplicité suggestive : c’est une œuvre d’art.
Je vous envoie par avion Le Jour. Le cycle sera clos par le crépuscule : La Folie. J’y travaille actuellement.
À présent, il serait déjà inutile de vous dire que je voudrais vous rencontrer. Que ce soit pour un projet de film ou tout simplement pour parler.
Comptez-vous venir à New York prochainement ?
Votre idée du Dernier Déporté me plaît. J’y collaborerais avec joie.
Avec amitié, avec admiration,

Elie Wiesel


François Truffaut à Jacques Audiberti

 [Papier en-tête Cahiers du cinéma]

De Paris ce vendredi 14 octobre 1960

Cher Grand Ami,
Merci de votre petit mot. Je connais Gruault depuis 10 ou 12 ans, certes oui. C’est un bon copain et l’aime beaucoup, mais je ne puis envisager de le filmer tout au long d’un tournage ; cela ne s’explique pas ou difficilement.
Est-il trop intelligent pour être acteur ? C’est peut-être cela ; je le soupçonne de jouer tout ensemble 1°/ la situation 2°/ la parodie de la situation 3°/ la critique de la situation. Il est de la race, dans ce cas, des Orson Welles et des Chaplin, celle des auteurs-acteurs-metteurs en scène.
Je préfère, égoïstement, travailler avec des comédiens moins conscients ou qui ne comprennent pas tellement vite ce que l’on attend d’eux. Avez-vous aimé Serge Davri, le casseur d’assiettes, qui joue Plyne (le gérant du bar) dans Tirez sur le pianiste ? Ce fut une joie de travailler avec lui, car il multiplie l’enfant par l’animal.
Bref, rencontrons-nous, puisque l’idée de travailler ensemble ne vous déplaît pas ; je puis déjeuner avec vous lundi, mardi ou mercredi, êtes-vous libre ?
La Logeuse est une belle pièce, mais n’est-elle pas montée beaucoup moins bien que par Vitaly ? J’ai trouvé la distribution disparate.
Chez moi : TRO : 78-84
Au bureau : BAL : 48-61
Choisissez votre jour pour déjeuner ; jeudi, je pars pour Londres, 4 jours.
D’accord pour la « systématique importance du personnage principal » et aussi pour l’idée du policier trop plein de tendresse humaine ;
Votre fidèle
f. truffaut

P.-S. : J’envoie ce mot en pneu ; si vous voulez déjeuner demain samedi, c’est facile.


François Truffaut à Georges Simenon

Georges Simenon
12, avenue des Figuiers
1007 Lausanne

De Honfleur, ce 23 novembre 1977

Cher Monsieur,

Vos livres de Dictées me passionnent et, deux fois par an, je les attends avec impatience. Aux deux grands blocs de votre œuvre, les romans psychologiques et les Maigret, celui de ces Dictées va venir s’ajouter et constituera un troisième bloc.
Dans À l’abri de notre arbre vous évoquez le problème d’un titre à trouver pour regrouper ces volumes d’un type nouveau. De même que vous préférez parler des « petits hommes » plutôt que des « grands », le terme de « Mémoires » vous semble immodeste et pourtant c’est bien de cela qu’il s’agit ou plus exactement d’une combinaison entre le journal intime et le recueil de souvenirs. C’est pourquoi j’ai pensé vous proposer un titre global qui pourrait convenir à votre chronologie de l’humeur, ce titre serait : Mémoires élastiques ou bien La Mémoire élastique.
Il y a une vingtaine d’années, un compte rendu hostile de votre roman En cas de malheur dans Le Canard enchaîné m’a donné envie de lire ce livre qui m’a enthousiasmé et conduit à rejoindre la cohorte pacifique des Simenoniens.
Plus tard, un ami suisse m’a dit que vous aviez aimé mon premier film Les Quatre cents coups et cela m’a fait un grand plaisir. Deux fois j’ai hésité à adapter un de vos livres pour le cinéma (Trois chambres à Manhattan et L’Horloge d’Everton) et les deux fois j’ai regretté de ne pas avoir osé.
Je parle souvent de vous avec Jean et Dido Renoir que je visite trois fois par an à Beverly Hills. Ils adorent eux aussi vos livres de « dictées » et je pense qu’ils vous l’ont dit. Dans une dizaine de jours, je me trouverai avec eux pour une semaine et je sais que nous parlerons de À l’abri de notre arbre.
Pour vos lecteurs, Teresa est devenue une amie. Je vous souhaite donc à tous les deux une bonne année à l’abri de votre arbre.
Fidèlement et chaleureusement vôtre,
François Truffaut