Né en Belgique en 1962, Serge Dorny a étudié l’histoire de l’art, l’archéologie, la musicologie et les sciences de la communication à l’université de Gand, parallèlement à des études musicales au conservatoire de cette ville.
En 1983, il intègre, en qualité de dramaturge musical, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, sous la direction de Gérard Mortier, avant de rejoindre le Festival des Flandres. En 1987, il devient le directeur artistique de ce festival pluridisciplinaire. En 1996, il est nommé directeur général et directeur artistique du London Philharmonic Orchestra, orchestre en résidence au South Bank Centre de Londres et assurant la saison lyrique du festival de Glyndebourne. Depuis janvier 2003, il est directeur général de l’Opéra national de Lyon.
Parallèlement à ces activités, il assure des missions d’expertise et de conseil et siège dans plusieurs concours : Helsinki et Bamberg (direction d’orchestre), Concours international de musique Reine Élisabeth (épreuve de chant).
Au nombre de ses publications, on compte L’Opéra, l’avenir d’un passé, en collaboration avec Johan Thieleman, publié à Bruxelles en 1990.
Depuis 2006, la Fondation La Poste est partenaire de Kaléidoscope, un programme novateur et audacieux, organisé par l’Opéra de Lyon et conçu par son directeur, Serge Dorny. Kaléidoscope consiste à inventer, écrire, mettre en musique et en scène, élaborer et représenter des spectacles avec les habitants de la Croix Rousse et de Vénissieux. Les 7 et 8 juin derniers, les chanteurs-danseurs-acteurs amateurs, de 9 à 86 ans, qui pour la plupart n’étaient jamais montés sur une scène ont offert au public 19 spectacles inédits. Une réussite qui encourage le directeur et les équipes artistiques et techniques de l’Opéra de Lyon à poursuivre cette action...
(Nathalie Jungerman, juin 2008)
Vous êtes directeur général de l’Opéra de Lyon au sein duquel a été créé en 2004 un pôle de développement culturel. Quelle en est la spécificité ?
Serge Dorny En tant que directeur général de l’Opéra de Lyon, je tiens à réunir, dans le même projet, la plus haute qualité artistique et la plus large accessibilité. La mission de l’Opéra est de proposer des spectacles d’excellence et d’aller à la rencontre et d’accueillir tous les publics, y compris ceux qui croient que l’opéra, la danse et la musique ne sont pas pour eux.
Le rôle du pôle de développement culturel est de concrétiser, de mettre en musique, cette volonté de partager notre action et nos productions ; et d’établir des passerelles entre l’art et les citoyens parce je suis convaincu que l’art et la culture ont une dimension émancipatrice et démocratique.
Le pôle de développement culturel travaille à la fois à l’interne avec une mobilisation des personnels de l’Opéra à la sensibilisation des publics : cela concerne notamment les chanteurs, les danseurs et musiciens permanents qui partagent leurs compétences artistiques avec des amateurs ou des publics spécifiques (en milieu scolaire, hospitalier ou carcéral) ; et à l’externe avec la constitution d’un réseau d’acteurs de terrain : associations de proximité, équipements de quartiers, équipements culturels et établissements scolaires en réseau d’éducation prioritaire. Nous élaborons ainsi des partenariats durables, avec l’appui de personnes-relais en contact avec les habitants.
Les actions culturelles de l’Opéra ont pour objectif d’accompagner les habitants, de leur permettre l’accès aux œuvres et aux lieux de fabrication des spectacles, mais aussi de les impliquer dans des projets de création artistique où des professionnels soutiennent des pratiques amateurs, émergentes ou autodidactes.
Ces initiatives se concentrent particulièrement sur deux territoires, classés en sites « politique de la ville », où l’Opéra est implanté : les pentes de la Croix-Rousse où se trouvent l’Opéra et son atelier de costumes, Vénissieux où se situe son atelier de décors.
Vous êtes à l’origine du projet Kaléidoscope dont le nom évoque la diversité. Il s’est développé en plusieurs étapes, mêlant précisément différentes disciplines, pour aboutir les 7 et 8 juin derniers à de nombreux spectacles au cœur de la ville. Parlez-nous de la mission, de l’élaboration et de la teneur de ce projet...
S.D. Le kaléidoscope, effectivement, c’est ce merveilleux instrument de diversité optique qui, par un jeu de miroirs et de fragments colorés, offre des combinaisons d’images infinies et multicolores. Cela correspond bien à notre idée de départ : un projet participatif, impliquant un groupe très large – 300 personnes, de 9 à 86 ans – pour créer 19 spectacles inédits. Le projet s’est implanté dans les deux quartiers de prédilection que j’évoquais à l’instant avec qui nous avons établi des relations très suivies : le 1er arrondissement de Lyon et Vénissieux.
Kaléidoscope était inscrit dans la durée : un projet de presque deux ans. Son objectif était l’élaboration et la représentation publique de spectacles brefs. Cela a impliqué de la part de tous les participants une rigueur, une exigence, un suivi, conditions indispensables je pense à l’expression de la créativité individuelle ; cela a également crée des relations de confiance – et même de complicité – entre les participants.
Dans le monde multiculturel qui est le nôtre, nous avons voulu suscité des rencontres entre les différentes cultures et, par conséquent, enrichir la connaissance mutuelle, faciliter le dialogue et l’échange. Kaléidoscope voulait démontrer que l’Opéra est bien plus qu’un musée des oeuvres du passé et qu’il peut devenir un véritable centre de ressources pour le présent et pour l’avenir. Il s’agissait de permettre à ceux qui le souhaitaient de vivre leur créativité et d’exercer leurs talents propres, rassemblés autour du projet. C’est en accompagnant ces citoyens dans leur démarche d’expression et de création que nous jouons un rôle politique, au sens premier du terme : mettre la culture non pas à la périphérie mais au cœur de la vie.
Est-ce qu’un thème principal tissait un lien entre les différents spectacles ?
S.D. Le thème principal que nous avons proposé aux participants s’inspirait de celui de la saison 2007-2008 de l’Opéra de Lyon : la nuit et le secret. Mais chaque groupe pouvait se l’approprier de façon très libre pour le faire vivre et parler, en s’inspirant des histoires de la vie des participants, travaillées par l’écriture.
Quelles étaient les expressions artistiques proposées et les différentes étapes de mise en œuvre ?
S.D. expressions artistiques proposées étaient celles de l’Opéra : musique, théâtre et danse. Le travail s’est déroulé en trois étapes : phase d’invention sur le thème et d’écriture (d’octobre 2006 à mars 2007) ; phase de création musicale où les participants ont mis en musique les textes qu’ils avaient écrits (d’avril à décembre 2007) ; et enfin la phase de mise en espace et en théâtre de ces formes (de janvier à juin 2008).
Comment s’est passé le travail de création, les ateliers, les échanges entre amateurs et professionnels ?
S.D. Les participants était accompagnés et conseillés par des équipes professionnelles avec, pour chaque étape, un coordinateur, des intervenants et des témoins. On peut dire que le travail s’est passé dans de très bonnes conditions, même s’il faut tenir compte des difficultés que peut présenter une telle démarche pour tous – professionnels et amateurs : comme dans tout processus de création et de production, il peut y avoir des moments de doute et de tension. Mais je pense que ces moments-là font partie d’un projet culturel qui avait ses exigences de rigueur, de travail, de discipline collective, d’esprit d’équipe.
Avez-vous rencontré des difficultés quant à l’élaboration d’un tel projet ?
S.D. On ne peut pas vraiment parler de difficultés. Mais néanmoins, un tel projet demande à la fois beaucoup d’énergie et de rigueur : il en faut énormément pour faire travailler autant de gens – amateurs et professionnels – ensemble et dans la même direction. Par ailleurs, c’est un projet qui demandait aux participants une prise de risque, une mise en question. Il n’est pas si simple de monter sur une scène. C’est pourquoi nous avons tenu à ce le public soit également impliqué, d’une façon ou d’une autre, dans un processus participatif. En fait, je peux dire que tout s’est plutôt très bien passé.
Est-ce que les écrivains, musiciens, metteurs en scènes, les professionnels du spectacle et les participants ont témoigné de leur expérience au cours de ces deux années de création collective ?
S.D. J’ai bien sûr été en contact régulier avec l’ensemble des intervenants du projet pendant la durée de Kaléidoscope. Et je crois pouvoir dire que chacun a vécu l’expérience comme quelque chose de positif, comme une source enrichissante de rencontres, de découvertes et même d’étonnement et de belles surprises. Je ne peux pas tout citer, mais juste un exemple, parmi d’autres : Faïma, rencontre de chants du Maghreb et d’un big band de jazz, un métissage superbe et surprenant.
L’année 2008 a été marquée par la mise en espace des représentations.
Etes-vous satisfait du résultat ?
S.D. Sans aucun doute, surtout pour une première expérience et une première étape. Certes, certains de ces 19 spectacles étaient perfectibles. Mais il ne faut pas perdre de vue que la plupart de ces amateurs n’avait absolument aucune expérience de pratique artistique quelle qu’elle soit. Cela étant, je pense que la sincérité et la spontanéité de l’expression peuvent faire naître et communiquer l’émotion aussi bien que les techniques artistiques les plus virtuoses.
Quelle a été la réaction du public, des artistes ?
S.D. Près de 4000 personnes ont pris part à ce week-end des 7 et 8 juin où les 19 spectacles ont été présentés à Lyon et à Vénissieux. Je crois que ces journées ont été vécues et partagées comme une « fête de fin de projet », le point d’orgue de près de deux ans de travail, une fête que les 300 participants se sont offerts à eux-mêmes et ont offert au public : succès populaire malgré le mauvais temps.
Souhaitez-vous continuer cette démarche de proximité dans les années à venir ?
S.D. J’envisage d’ores et déjà une nouvelle étape, Kaléidoscope 2, qui pourrait commencer dès octobre 2008. Il renforcerait la dynamique et les exigences artistiques du processus, en développant l'implication des équipes artistiques et techniques de l'Opéra, en construisant sur la base du travail accompli depuis 2006.
De quelle façon le projet Kaléidoscope et la Fondation La Poste collaborent-ils ?
S.D. Au-delà d’un soutien financier déterminant pour la réussite du projet, la Fondation La Poste a été – et demeurera je l’espère pour Kaléidoscope 2 – un vrai partenaire de projet avec, de la part de ses responsables, une participation active, des qualités d’écoute, d’échange et de proposition.
Par ailleurs, des postiers se sont eux-mêmes impliqués dès le départ sur la scène de ce Kaléidoscope : je tiens à faire un salut amical aux postiers du centre de tri de Vénissieux qui ont donné Changement d’adresse, excellent spectacle de jeux vocaux, de jeux de sons, construit sur les adresses de l’annuaire.