FloriLettres

Dernières parutions, édition janvier 2023. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition janvier 2023

Dernières parutions

RÉCITS

Douna Loup, Boris, 1985. « Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai eu l’élan si fort de m’intéresser à toi. Mais je sais que je suis faite de ce qui me précède, tissée de liens venant de loin. Je n’émerge pas du néant, je viens de ce terreau passé. » Lors d’un concert en janvier 2018, la chanson Vino del mar dédiée à Marta Ugarte, la militante communiste assassinée par la police secrète du régime de Pinochet, agit comme un déclic sur Douna Loup. Trente-quatre ans après la disparition jamais élucidée de son grand-oncle Boris Weisfeiler, dans les Andes en janvier 1985, elle décide de partir sur les traces de ce « fantôme » familial. De janvier 2019 à mars 2020, son périple la conduit aux États-Unis, au Chili et en Russie. Olga, la sœur de Boris, a bataillé pendant des années pour connaître la vérité et a mis à jour un faisceau d’indices sur la probable implication de la Colonia Dignidad, cette secte allemande fondée par Paul Schaefer au Chili au début des années 1960, base d’atrocités de la dictature. L’enquête de Douna Loup, sorte de journal de bord, se nourrit de ses rencontres avec des membres de sa famille, avec des amis proches de Boris, des militants chiliens pour les droits des victimes, avec l’avocat et le policier chiliens missionnés par Olga, des lettres de son grand-oncle à sa sœur, de ses carnets de voyage ou encore d’archives déclassifiées. L’écrivaine tente de cerner cet être insaisissable. « Tu es une sorte de fauve très particulier que j’apprends à rencontrer dans les ombres. » Né en 1941 à Moscou, le brillant mathématicien savait qu’il avait très peu de perspectives en Union soviétique en tant que juif, aussi s’est-il résolu à immigrer aux États-Unis en 1975 où il a pu se consacrer pleinement à ses recherches et à l’enseignement à l’Université de Pennsylvanie. Se fondre dans la nature, dans les contrées les plus reculées et les plus sauvages qui soient lui était vital, après la Sibérie, il a exploré toujours en solitaire le Canada, l’Alaska, l’Amérique du Sud. « La marche comme procédé de dépouillement volontaire, de proximité contaminante avec les vivants sans langage humain, avec les vivants qui parlent en couleurs, en sons, en traces, en fientes, en floraisons. » Douna Loup comprend sans mal le souffle de liberté qui devait habiter Boris lors de ses expéditions, elle que la nature enivre tout autant. En s’approchant au plus près de ce mystérieux grand-oncle, elle a pu mesurer « tout ce que cette poursuite d’un autre vivant (lui a) fait découvrir (d’elle-même) et du monde. » Éd. Zoé, 160 p., 17 €. Élisabeth Miso 

Couverture du livre d'Emmanuel venet, titre en rouge et bandeau peinture cubiste

Emmanuel Venet, La lumière, l’encre et l’usure du mobilier. De A comme « Auberge » à Z comme « Zweig », l’écrivain et psychiatre Emmanuel Venet, compose un abécédaire intime. Mêlant souvenirs d’enfance, déception ou nostalgie amoureuse, histoire, admirations littéraires, mythes, réflexions sur sa pratique de psychiatre, il met en lumière la multitude de ressorts complexes à l’œuvre dans notre psychisme et nous rappelle le pouvoir infini des mots sur nos vies. « Comme ce livre, nous sommes faits de pièces et de morceaux : d’un corps qui, tour à tour, nous réjouit et nous tourmente ; d’idées semées dans nos têtes à l’âge tendre ; de paroles entendues, proférées, lues, écrites ; d’expériences cruciales plus ou moins heureuses ; du moment historique où nous avons surgi du non-être ; des désirs confus et enchevêtrés dont nous procédons. » Emmanuel Venet a grandi à Lyon dans une famille pétrie de religion catholique et de conformisme. Sa mère croyante fervente, se passionnait pour les miracles et les diableries les plus extraordinaires. Enfant dans les années 1960, il aimait quand la ville disparaissait sous d’épais brouillards, ses repères habituels devenus invisibles, un sentiment de liberté l’étreignait alors. Il a gardé imprimé en lui, l’instant précis, où il a pris conscience à quatre ans de la notion d’espace, de temps, de sa présence au monde et de sa propre fin. En 1988, il a consacré sa thèse de médecine à la honte, affect qu’il a sondé dans les textes de Dostoïevski, de Proust et de Kafka et avec lequel il a dû lui-même composer, son grand-père ayant fait preuve d’une attitude déplorable pendant la guerre. Grâce à Jankélévitch, il a compris l’importance de connaître les limites de son savoir, une leçon de « modestie exigeante » qui l’accompagne chaque jour dans l’exercice de son métier. La toute puissance, l’arrogance et l’approche rationaliste de certains médecins sont à l’opposé de sa conception de la médecine. « (…) le métier de psychiatre relève d’une alchimie délicate et ne se résume pas à normaliser des conduites ou à redresser des déviances. Sa noblesse tient au développement d’une troisième oreille faite de bric et de broc, capable de saisir la chose immatérielle et précieuse émanant de ce qui nous constitue (…) » Et ce livre nous fait effectivement entendre, cette écoute, sensible, intelligente et poétique. Éd. Gallimard, 160 p., 17 €. Élisabeth Miso

ROMANS

Couverture du livre, Malgré de Colin Lemoine, titre en rouge

Colin Lemoine, Malgré. Que savons-nous des êtres que nous croisons rayonnants en face de nous, invincibles à leur insu, que savons-nous de leur secret, dans l’effervescence de leur vie sociale, de leur métier ? Que peut la douceur sur le mal ? « Un jour, j’ai eu mal », nous dit l’auteur d’emblée, de ce jour à l’aube de la quarantaine solaire, inattaquable. Mal çà et là, subitement, une « décousure » du corps, une déflagration, pour toujours, advenue sans prévenir et sans que les médecins n’y comprennent quelque chose – Il y a six ans, à Claire : « Songe que j’ai sans cesse mal depuis trois jours. » Hier, à la même : « Songe que j’ai mal depuis deux mille jours ». Une souffrance insituable, irrévocable, inconsolable : clouant au pilori, exilant de soi, et condamnant à demeure à l’ici et maintenant le familier de Venise, formé aux lettres classiques, à l’opéra italien, à la peinture flamande. C’est l’histoire de cette douleur, de la Douleur. Le texte jaillit, d’une telle ampleur qu’on ne peut que le lire d’une traite, dans la beauté de la phrase ciselée chapitre après chapitre. Perpétuel qui vive et sans feinte de l’ébranlement d’un homme qui tente de cerner, apprivoiser son mal d’acier. Nostalgie du monde d’avant, de la liberté désinvolte. La douleur rend fou : le monde, sans plus de futur, de projets, de certitudes, et résumé, impuissant, à : « si je n’ai pas mal, j’irai…, je ferai ». Auprès des proches qui doutent, certains que cela partira, le réconfort ne vient pas toujours. Le mal est invisible qui rend le supplice impartageable et le vœu de tendresse et de douceur, vulnérable, « je veux être cajolé et chéri, aimé, je veux la grâce ». Des instants qui n’existent plus, des laps de temps gagnés sur l’éternité, de cette douleur rendue liturgique, Colin Lemoine réussit à partager ce secret dont il ne voulait pas, à en faire une œuvre littéraire, dans la continuité de son premier roman, Qui vive (Gallimard, 2019), habité par cette même puissance d’écriture et déjà sous le signe de la mélancolie des paradis perdus. Éd. Gallimard, 176 p., 18,50 €. Corinne Amar   

CORRESPONDANCES

Couverture du livre avec portrait de Milena sur fond blanc

Marie-Philippe Joncheray, J’avance dans votre labyrinthe, Lettres imaginaires à Franz Kafka. « Vienne, le 14 juin 1920, De quoi avez-vous peur au juste ? De ne pas me plaire ? De me décevoir ? De n’être pas à la hauteur de vos désirs ? Moi, je veux vous vénérer comme un dieu (…) » Ainsi écrit celle qui fut, sans même maitriser parfaitement la langue allemande, la traductrice tchèque de Franz Kafka (1883-1924), Milena Jesenskà (1896-1944). Milena a vingt-trois ans et Kafka, trente-six ans, lorsqu’ils se rencontrent au printemps 1920, dans un café, à Prague, en compagnie du mari de Milena, Ernst Pollak. Le couple habite Vienne, est déjà en pleine dissolution. Milena veut connaître Kafka, traduire sa nouvelle, Le chauffeur, et lui, entendit probablement parler de cette jeune femme cultivée, littéraire et intéressée par la jeune génération des écrivains allemands. Franz et Milena vont s’écrire d’avril 1920 à juin 1924, auront peu l’occasion de rencontres réelles, pourtant, ils vivront une liaison passionnée dont les Lettres à Milena tiennent compte. Bonheur de s’être rencontrés, de s’aimer, de s’écrire sans limite, et complicité très rapidement, puis l’angoisse chez Kafka reprend le dessus, la peur mortifère. Cette passion tint en quelques mois, mais leur relation perdure, et la rupture sera longue. Nous savons peu de choses de ces lettres de Milena à Kafka, qui disparurent. L’auteure nous dit dans sa préface qu’à sa lecture des lettres de Kafka, l’absence de sa destinataire s’était muée en présence. Avec une tendresse pour son sujet, une connaissance sûre, mais aussi l’empathie qui donne le ton, elle entreprend d’entrer dans l’existence de Milena pour restituer avec toute la fièvre et l’impétuosité de caractère de la jeune femme amoureuse, inquiète, entière, le dialogue manquant. Elle imagine son amour au cœur de ses jours, ses nuits, ses préoccupations, son travail, sa solitude qui l’emplit, son romantisme exacerbé, ses rêves. Milena mourra vingt ans après Kafka, dans le camp de concentration de Ravensbrück. Éd. Le nouvel Attila, 253 p., 19 €. Corinne Amar

REVUES

Couverture de la revue avec lettre manuscrite de Proust et photo en pied de l'écrivain

Jean Paulhan et ses environs. Nouvelle série n°10 (44e année) : Marcel Proust et la NRF. Lettres 1916-1922 à Gaston Gallimard, Jacques Rivière, Jean Paulhan,  retranscrites et annotées par Jürgen Ritte. 
Sommaire : ÉDITORIAL, par B. Baillaud / DOSSIER : « MARCEL PROUST ET LA NRF (COMPLEMENTS) » (p. 9) / Lettres 1916-1922 de Marcel Proust à Gaston Gallimard, Jacques Rivière, Jean Paulhan & lettres de Jacques Rivière à Jean Paulhan annotées par Jürgen Ritte
IN MEMORIAM JACQUELINE PAULHAN (p. 64) par Bernard Baillaud, Marie-Louise Audiberti, Armande Ponge, Laurence Brisset, Fabienne Alvarez-Giro, Bernard Fournier, Bernard Dandois, Joelle Isal, Tonino Benacquista, Sophie Robert.
PETIT HOMMAGE À BRUNO ROY (p. 84) par Bernard Baillaud, suivi du récit d'un rencontre de Jean-Pierre Clerc et Bruno Roy avec Jean Paulhan en 1967.
CRITIQUES & NOTES (p. 90)
par Paul Giro, Chantal Aubry, Bernard Baillaud, Jean-Kely Paulhan & Patrick Kéchichian /
Bernard Baillaud, Nouvelles en trois lignes (et plus) (p. 120) / Jean-Kely Paulhan, Nugae (p. 122) / Patrick Kéchichian, « En parcourant les lettres retrouvées de Blanchot… » (p. 127)
ABÉCÉDAIRE DES RECHERCHES, TRAVAUX EN COURS, PUBLICATIONS & MANIFESTATIONS, par Claire Paulhan (p. 129. Société des Lecteurs de Jean Paulhan

Couverture de la revue avec titre et liste des diaristes libanais qui ont contribué

Les Moments littérairesLa revue de l'écrit intime. n° 49 : « Diaristes libanais ». Avec ce numéro dédié aux écrivains libanais, Les Moments littéraires poursuivent la série des numéros « géographiques » consacrés aux diaristes francophones (n° 43, Amiel & Co, les écrivains suisses ; n° 45, les écrivains belges ; n° 47, les écrivains du Luxembourg).Par les journaux ou les carnets intimes d’écrivains vivant au Liban ou faisant partie de la diaspora libanaise, la littérature réussit à rendre compte de la crise protéiforme que connaît le Liban depuis de nombreuses années.Karl Akiki note dans sa préface : « L’exercice que proposent Les Moments littéraires à ces différents diaristes libanais […] est excitant d’un point de vue intellectuel. Cette mise à nu personnelle et collective corrobore la marche de l’histoire de la littérature libanaise francophone. Deux mouvements clairs et perpendiculaires parcourent ces écrits en suivant deux sentiments antithétiques. D’une part, celui de la pudeur qui refuse de se livrer, de se dénuder et de marcher en pleine lumière. […] D’autre part, s’installe le sentiment de la dénonciation externe, celle qui plonge le doigt dans la plaie et qui crie ces vérités que tous les Libanais connaissent et qu’ils taisent. L’écriture de l’intime devient miroir fractal fait de morceaux de verre recollés où l’identité individuelle tente de se reconstituer en harmonie avec l’identité collective. »Dix autoportraits de Laura Menassa nous offrent « un souvenir nostalgique, un journal délicat sur l’étrangeté de la vie et du temps ». (Date de publication : 9 Janvier 2023). Présentation de l'éditeur.
Les Moments Littéraires - la revue de l'écrit intime