FloriLettres

Dernières parutions, édition janvier 2022. Par Élisabeth Miso et Corinne Amar

édition Janvier 2022

Dernières parutions

CORRESPONDANCES

Yves Yger, Florence Gendre, Lettres aux arbres. Il est conteur, marcheur sur les chemins de France, herboriste – il a découvert les plantes dès son plus jeune âge – fils de médecin et passionné d’ethnobotanique populaire, pharmacien pendant près de trente ans, qui tint ses propres officines en Bretagne, plus attiré par la botanique que par la chimie ; elle dessine, s’est formée au dessin dans les galeries du Muséum d’histoire naturelle, fascinée par les représentations florales des natures mortes anciennes et les planches botaniques -– elle qui avait grandi au sein d’une famille d’artistes et d’alpinistes et rêvait d’être entomologiste, pour voyager et dessiner les insectes. À deux, ils réalisent ce livre illustré qui rassemble vingt-huit lettres qu’Yves Yger adresse aux arbres, telle une ode à la poésie, à la contemplation, à la rencontre avec la nature. Lettres enflammées, lettres amoureuses, comme on écrit à celui ou à celle qu’on aime. En préface, il nous dit ceci : « Longtemps, je ne leur ai pas répondu. Ils m’envoyaient leurs messages, leurs bonnes feuilles, et je ne savais pas comment leur écrire. Je parlais dans les bois, chantais parfois, et leur récitais des poèmes inventés dans l’instant. » Il prend l’occasion d’une promenade au jardin des Plantes de Montpellier pour raconter sa première rencontre déterminante : un arbre, cousin de l’olivier, vieux de plusieurs siècles, au tronc immense et noueux. Dans ses multiples anfractuosités, se nichent des milliers de petits mots de promeneurs : vœux, déclarations, confessions, abandon de l’un ou de l’autre… Il n’ose faire de même, mais se surprend à envier ces messagers secrets, ces « êtres purs qui ont la foi des marronniers, la croyance dans les dryades et les divinités sylvestres ». Alors, après avoir observé les arbres, les avoir tant rencontrés, leur avoir tant parlé, lui qui partage ses causeries botaniques dans les villages et les jardins de France, il prend sa plume. Éd. Transboréal, Elytis, 174 p., 29,90 €. Corinne Amar    

AUTOBIOGRAPHIES / MÉMOIRES

Couverture de Porca Misera de Tonino Benacquista, collection Blanche, Gallimard

Tonino Benacquista, Porca Miseria. Dans le musée imaginaire de sa mémoire, Tonino Benacquista a accroché des portraits de ses proches ou de personnes croisées furtivement, comme autant de visages qui lui rappellent « la multitude d’interactions humaines qui [l]e constituent comme une mosaïque. » Son musée mental abrite aussi des toiles abstraites. « Elles illustrent mes états d’âme, mes questionnements, et d’une manière générale tout ce qui de mon passé reste inabouti ou irrésolu, idéaux abandonnés, rancœurs inoubliées, désirs inassouvis à jamais, doutes, frustrations incurables, malentendus persistants, langueurs, certitudes revues à la baisse, lâchetés éternelles. C’est dans ce bric-à-brac mental que je puise la matière de mes romans. Je suis un visiteur opiniâtre en quête de vérités dont la plupart resteront cryptées. » Jouant sur différents modes narratifs au fil de courts chapitres, le romancier et scénariste, compose un savoureux et sensible récit familial. L’hiver 1954, le plus froid du XXe siècle, son père Cesare installe sa femme Elena et ses quatre enfants à Vitry-sur-Seine. Originaires de la région du Latium en Italie, l’un comme l’autre ne se remettront jamais de ce déracinement. Contrairement à ses frères qui ont réussi en Amérique, Cesare restera ouvrier toute sa vie et noiera ses frustrations et ses humiliations dans l’alcool. Elena sera un bloc de mélancolie et de fragilité,  incapable de se débrouiller seule en dehors de son foyer. Tonino Benacquista aurait aimé que ses parents lui transmettent autre chose que leur souffrance, que ce sentiment d’usurpation, de culpabilité d’émigré. Pour lui, le petit dernier de la fratrie, né à Choisy-le-Roy en 1961, l’Italie n’a que très peu de réalité, hormis les vacances d’été. L’école rime avec ennui mortel ; sa culture, sa curiosité, il se les façonne seul, avec ses amis, cette fenêtre sur le monde qu’est la télévision, Gotlib, Goscinny, ou encore le cinéma. Très tôt il a rêvé d’écrire, bien que le goût de lire lui soit venu tardivement. « J’ai peut-être trouvé là une manière de revanche à tant me laisser envahir par la culpabilité de ne pas dépasser le premier paragraphe d’un livre : en écrire un. » L’auteur de La commedia des ratés (1991) et de Saga (1997) sonde ici ses origines, les questions de double culture et d’appartenance et retrace son cheminement intime à la lumière du pouvoir salvateur de l’écriture. Éd. Gallimard, 198 p., 17 €. Élisabeth Miso

RÉCITS

Couverture du livre de Joan Didon, pour tout vous dire, avec photo de l'auteur jeune

Joan Didion, Pour tout vous dire. Traduction de l’anglais (États-Unis) Pierre Demarty. Préface de Chantal Thomas de l’Académie française. « S’il m’avait été donné d’avoir un tant soit peu accès à mon propre esprit, je n’aurais eu aucune raison d’écrire. Je n’écris que pour découvrir ce que je pense, ce que je regarde, ce que je vois et ce que ça signifie. Ce que je veux et ce que je crains. », dévoilait Joan Didion dans Pourquoi j’écris en 1976. Publié en français pour la première fois, Pour tout vous dire rassemble des chroniques, courant de 1968 à 2000, de l’une des icônes des lettres américaines, disparue le 23 décembre 2021. Pionnière du « Nouveau journalisme » à l’instar de Tom Wolfe, Truman Capote, Norman Mailer ou Hunter S. Thompson, elle a ausculté sans relâche l’Amérique dans ce qu’elle avait de meilleur ou de pire. Ses reportages sur la contreculture, la politique, la Californie (elle est née à Sacramento), les grands mouvements sociaux des années 60-70, ont fait sa renommée. Pendant cinquante ans, son style direct et son regard acéré ont alimenté les colonnes de journaux prestigieux comme The New Yorker, The New York Review of Books, The New York Times, Life ou Esquire. Plus récemment, elle avait exploré ses affres personnelles avec L’Année de la pensée magique (2005) et Le Bleu de la nuit (2011), les deux très beaux récits de deuil dédiés à son mari et à sa fille Quintana. La romancière, essayiste, journaliste et scénariste, évoque dans ce recueil ses débuts à Vogue en 1956, et la formidable école d’exigence d’écriture que cela a été. Qu’elle relate une réunion de Joueurs Anonymes, celle des survivants de la 101e Division aéroportée débarquée en Normandie ou la quête de magie de son ami le réalisateur Tony Richardson, elle déploie invariablement une intelligence aigue des choses et des êtres. À plusieurs reprises, elle partage sa vision de l’écriture, soulignant l’importance d’une narration subjective, sans fioritures, du choix des mots, du rythme. Au passage, elle ne manque pas de rendre hommage à Hemingway, dont le premier paragraphe de L’Adieu aux armes avait retenu toute son attention à l’âge de douze ans. Loin des concepts abstraits, Joan Didion s’est toujours attachée à « voir, goûter, toucher » pour élaborer une pensée et rendre compte du monde. Éd. Grasset, 220 p., 17 €. Élisabeth Miso

ROMANS

Couverture livre de Jérôme Attal, L'âge des amours égoïstes, avec photo de femme sur jacquette

Jérôme Attal, L’âge des amours égoïstes. « Laura partait trois semaines en Espagne. Chez qui, avec qui, je n’osais prendre le risque de m’en informer. De quoi devais-je me plaindre ? Laura s’intéressait à moi, passait ses bras autour de moi pendant que nous dansions, comme les particules de glace d’eau tournent autour de Saturne dans le vide infini du Système solaire. » C’est l’âge des amours estudiantines et des passions qui se battent pour leurs lendemains, c’est l’âge des espérances et des grandes mélancolies qui les traversent ; c’est l’âge des longues lettres pudiques et enflammées que l’on donne à l’autre dans la main parce qu’on n’ose pas dire ou encore, qu’on va déposer en secret, dans sa boîte aux lettres. C’est l’amour des longs mails qu’on envoie, obsédé par l’image, la pensée de l’autre. Il s’appelle Nico, il a vingt-six ans, et on le suit dans les rues de Paris et dans sa vie, pendant une année, d’un soir de réveillon à l’autre. Étudiant en histoire de l’art à Paris, c’est sa dernière année ; il travaille un mémoire à rendre sur Francis Bacon, chante dans un groupe aussi, est amoureux surtout – de Laura, qu’il a croisée ce premier soir de réveillon. C’est l’âge des incertitudes et des brûlures au cœur, quand l’autre ne vous aime pas comme vous l’aimez, quand tout à coup le fantasme d’amour, le désir de l’autre, perdent de leur grave intensité, mais sans trop de douleur ; « un coup dans l’estomac pour la forme. Une moufle au lieu d’un gant de boxe. » Un roman qui porte en lui une musique douce et poétique comme la grâce du souvenir ou encore, qui fait apparaître des phrases et des images qui d’elles-mêmes font comme des chansons. On peut alors comprendre que le romancier soit tout autant auteur compositeur interprète : la musique n’est jamais très loin de son univers romanesque. Éd. Robert Laffont, 225 p., 19 €. Corinne Amar  

REVUES

Photo des diaristes luxembourgeois
Ian De Toffoli, Cristina Dias de Magalhães, Laurent Fels, Tullio Forgiarini, Danielle Hoffelt, Pierre Joris, Carla Lucarelli, Paul Mathieu Jean Portante, Nathalie Ronvaux, Jeff Schinker, Lambert Schlechter, Jean Sorrente, Florent Toniello, Hélène Tyrtoff.

Les moments littéraires, n° 47 : « Les diaristes du Luxembourg ». Les Moments littéraires poursuivent la série des numéros « géographiques » entièrement consacrés aux diaristes francophones. Après les écrivains suisses (n°43, Amiel & Co, janvier 2020), les diaristes belges (n°45, janvier 2021), les diaristes du Luxembourg sont les invités du numéro 47.
Des carnets de voyage (Ian De Toffoli, Jean Portante …) aux journaux datés (Carla Lucarelli, Lambert Schlechter…) ou non datés (Laurent Fels, Jean Sorrente...), la diversité et la richesse de l’écrit intime transparaissent au travers des quatorze textes présentés.
Après une introduction de Frank Wilhelm (Professeur émérite de littérature française et francophone de l’Université du Luxembourg), ce numéro propose des extraits des journaux ou carnets intimes de Ian De Toffoli, Laurent Fels, Tullio Forgiarini, Danielle Hoffelt, Pierre Joris, Carla Lucarelli, Paul Mathieu, Jean Portante, Nathalie Ronvaux, Jeff Schinker, Lambert Schlechter, Jean Sorrente, Florent Toniello, Hélène Tyrtoff. Tous ces textes sont inédits.
Un portfolio de dix autoportraits de Cristina Dias de Magalhães complète le sommaire et montre l’apport de la photographie dans le récit de soi. Site de la Revue